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« J’arrive en Haïti les yeux ouverts », dit Peter F. Mulrean, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis

vendredi 23 octobre 2015

A 72 heures des élections, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis accrédité en Haïti, Peter F. Mulrean, soutient que ce scrutin est très important pour qu’il y ait une gouvernance stable et fonctionnelle pour répondre aux exigences de la population haïtienne. Le diplomate américain – qui a visité Le Nouvelliste le jeudi 22 octobre – déclare que son pays n’a pas de candidats ni de parti politique préférés dans la course. L’ambassadeur, optimiste quant au bon déroulement du scrutin, souhaite que « les résultats représentent la volonté du peuple haïtien ». Après avoir servi son pays pendant plus de 25 ans un peu partout à travers le monde, le diplomate découvre Haïti. Il arrive ici « les yeux ouverts ». il y a 1 jours Publié le 22 octobre 2015

L.N. : Monsieur l’ambassadeur, vous venez d’arriver en Haïti, qui êtes-vous ? Peter F. Mulrean : Je suis Peter F. Mulrean, né à Boston. Je fais un parcours dans la diplomatie depuis maintenant 27 ans. Au cours de ma carrière, j’ai suivi les grandes lignes et les priorités de la politique extérieure des Etats-Unis depuis 27 ans. J’ai débuté en Yougoslavie pendant et après la guerre en Bosnie. J’ai géré des programmes d’assistance en Europe de l’Est, après la chute du mur de Berlin. J’ai créé des programmes de réforme démocratique et économique au Moyen-Orient où j’ai vécu pendant plusieurs années. J’ai géré nos programmes civils en Afghanistan. J’ai travaillé à Bruxelles avec l’Union européenne. J’ai vécu à Genève pour travailler avec l’ONU. J’ai certainement eu un parcours divers. Mais, je pense que c’est un parcours qui a donné la priorité à certains sujets. Premièrement, la gestion des programmes d’assistance ; deuxièmement, les questions de gouvernance, les élections, les réformes économiques, troisièmement, nos relations et la diplomatie multilatérale. Avec ce parcours, le secrétaire d’Etat John Kerry a jugé que mon expérience serait utile en Haïti, vu les priorités ici. Il a fait les recommandations à la Maison-Blanche. Monsieur le président Barack Obama m’a fait le grand honneur de me nommer ambassadeur en Haïti. Donc, me voilà. L.N. : Vous connaissiez déjà Haïti, vous avez déjà travaillé sur un dossier relatif à Haïti ou vous découvrez Haïti ? P.F.M. : Je découvre Haïti. Depuis un an, j’essaie de m’informer le plus possible sur Haïti, en étudiant votre histoire, en lisant votre merveilleuse littérature, en lisant bien entendu Le Nouvelliste en ligne tous les jours et en parlant à des gens qui ont traité les questions relatives à Haïti depuis longtemps. Ces derniers mois, avant mon arrivée, j’ai été à Washington où j’ai rencontré beaucoup de monde. Des membres du Congrès américain, des Haïtiens de la diaspora qui vivent aux Etats-Unis, des hommes d’affaires, etc. j’ai été frappé de voir à quel point votre pays un très grand nombre de supporteurs, des gens qui aiment Haïti, qui veulent voir une Haïti indépendante et dynamique. Je souligne cela parce que dans ma fonction, je vais surtout m’occuper des relations entre nos deux gouvernements. Ce qui est un partenariat déjà fort, mais au-dessous de cela, il y a tout un lien, une dynamique personnelle entre individus. Ce sont les échanges culturels avec la diaspora haïtienne, les va-et-vient des familles dans les deux sens. Je pense que cela montre à quel point le partenariat entre Haïti et les Etats Unis d’Amérique est fort. L.N. : Votre français est excellent, vous parlez un peu le créole ? P.F.M. : Malheureusement non, je n’ai fait que quelques semaines dans un cours de créole avant de venir ici. Cela m’aide beaucoup pour écouter la radio, pour avoir un peu la musique de la langue dans la tête, pour la comprendre. Je compte suivre des cours de créole durant mon séjour ici. Parce que j’ai trouvé la langue belle et fascinante, vu les racines différentes de cette langue. L.N. : Vous êtes arrivé à un moment où Haïti est en pleine période électorale. Le premier tour des législatives a déjà eu lieu. Dimanche, ce sont les élections présidentielle, législatives et municipales. Les Etats-Unis supportent ce processus électoral. Avec quel regard vous suivez nos élections ? P.F.M. : Comme vous le savez très bien, monsieur Kerry, mon secrétaire d’Etat, était de passage à Port-au-Prince il y a quinze jours et je pense que lui, il a déjà évoqué les grandes lignes de notre position en Haïti. Nous soutenons fortement ces élections. Nous pensons que c’est très important qu’elles aient lieu et qu’elles se tiennent d’une façon transparente et pacifique. Nous insistons beaucoup sur les violences qui n’ont pas de place dans les élections. Nous pensons qu’il est très important d’avoir ces élections pour deux raisons : 1) D’abord, parce que cela fait partie du processus démocratique haïtien et nous avons vu pendant les deux dernières années, si je peux le dire comme ça, un certain blocage politique qui a entravé les progrès dans certains domaines. Alors, nous pensons que d’abord, pour garder le processus démocratique fort en Haïti, il est nécessaire d’aller de l’avant, d’aller au-delà des blocages politiques 2) Elles sont nécessaires aussi parce que Haïti se trouve à un moment où elle a besoin d’une gouvernance capable et qui fonctionne bien. Cette gouvernance doit se baser sur un gouvernement et sur un Parlement. Pendant, ces deux ans de blocages politiques, il y a eu des décisions importantes qui n’ont pas été prises. Alors, on espère bien qu’après ces élections, qu’Haïti aura un gouvernement et un parlement capables de travailler ensemble pour faire avancer les priorités du pays. L.N. : Les élections, c’est aussi les partis politiques, l’opposition, le gouvernement parce que le président Michel Martelly supporte son candidat. Comment vous voyez la classe politique haïtienne ? P.F.M. : Je ne peux pas me prononcer sur la classe politique haïtienne. Je suis ici depuis seulement trois semaines. Je ne peux pas faire un discours sur ce sujet. En trois semaines, j’ai vu qu’il y a un processus électoral en place. Je souligne que chaque pays a son propre processus politique électoral avec ses particularités souvent historiques. Quand je regarde le processus même des élections à travers le monde, chaque pays a son système. Ce que j’ai vu depuis mon arrivée, c’est que ce système a des mécanismes qui fonctionnent. On prend par exemple, le scrutin du 9 août. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a eu des problèmes lors du déroulement des élections. Une des questions les plus grandes pour nous, est-ce que ce système ou ce processus est capable de prendre en compte les leçons du 9 août et de les appliquer au déroulement des élections du 25 octobre ? Et d’après ce que j’ai vu, il y a des mesures qui ont été prises, que ce soit le CEP qui a sanctionné des candidats, qui a donné des avertissements aux partis politiques, qui a changé le règlement pour renforcer l’organisation des scrutins ; la police qui a sanctionné des agents de police qui ont été trop passifs et qui a changé son profil de sécurité d’une façon assez importante ; le gouvernement qui avait débloqué des fonds trop en retard la dernière fois et qui cette fois-ci a effectué des transferts de fonds assez tôt. Tout cela me montre qu’il y a des mécanismes qui fonctionnent. On peut être d’accord ou ne pas être d’accord avec certaines décisions. Mais en tant qu’observateur externe, je pense que le premier signe d’un système qui fonctionne, c’est qu’il y a des acteurs qui ont des responsabilités et qui jouent leur rôle. L.N. : Les Etats-Unis pèsent beaucoup dans le jeu haïtien, les Etats-Unis des fois soutiennent l’opposition, des fois encouragent la continuité. Si on essaie de décrypter la position des Etats-Unis à trois jours des élections, qu’est-ce qu’on va voir dans les signaux de fumée ? P.F.M. : A trois jours des élections ou à trois mois des élections ou même après les élections, notre position ne sera pas difficile à décrypter. En ce qui concerne les élections, l’important pour nous c’est le processus. Nous n’avons pas de candidats ni de partis préférés. Nous cherchons à avoir des élections ; je le souligne en public et en privé, la réussite de ces élections reste entre les mains des Haïtiens. Nous espérons que ces élections du 25 octobre donneront des résultats qui représentent la volonté du peuple haïtien, qui se prononcera pour déterminer qui va être dans quelle position et nous nous, n’espérons que ça : avoir un partenariat au printemps prochain avec qui on peut travailler pour aller de l’avant. L.N. : Vous êtes ambassadeurs des Etats-Unis, il y a un bureau spécial des Etats-Unis pour Haïti, dirigé par l’ancien ambassadeur des Etats-Unis en Haïti. Comment est-ce que ces deux postes coexistent, avec quelqu’un qui avait déjà occupé votre poste ? P.F.M. : Il n’y a rien de nouveau dans ces deux postes. Ce bureau du représentant spécial pour Haïti existe depuis le tremblement de terre de 2010. C’est tout à fait logique parce qu’il y avait tellement d’intérêts et on avait un programme d’assistance tellement important, avec tant d’agences de départements différents du gouvernement américain qui étaient impliqués, avec un grand intérêt du Congrès américain, qu’il était nécessaire de créer un bureau à Washington pour faire la coordination de tout cela. Mais c’est une coordination de ce qui se passe à Washington qui gère la politique de ce côté-là et qui dessine les grandes lignes de notre politique. A l’ambassade, comme dans tous les pays, il y a un autre bureau qui gère les relations au jour le jour avec le gouvernement haïtien. Le fait que l’ambassadeur Merten soit maintenant à la tête de ce bureau à Washington est une très bonne chose à mon avis, parce qu’il joue un rôle tout à fait différent de celui qu’il a joué auparavant en tant qu’ambassadeur. Lui et moi, nous avons des rôles complémentaires. Le fait d’avoir quelqu’un qui connaît le pays, qui connait le contexte et qui connaît même les programmes pour répondre aux questions du Congrès, pour mieux coordonner, c’est tout à fait normal. Pour moi, il est bienvenu. L.N. : Depuis le séisme la coopération entre Haïti et les Etats-Unis a beaucoup augmenté, vous n’êtes pas seulement là pour jouer un rôle politique, un rôle de représentation, vous êtes aussi le coordonnateur de tout cela… Quels sont les programmes d’aide, de coopération avec Haïti que vous allez pousser ou qui sont à un point que vous estimez qu’il faut relancer ou bien favoriser un peu plus ? P.F.M. : Il y a deux côtés dans cette question : Le côté qui dépend de nous et le coté qui dépend d’Haïti. J’ai évoqué des décisions qu’il y avait à prendre au Parlement. Nous avons de grandes lignes d’assistance qui vont continuer, que ce soit sur les infrastructures ou la relance économique, tout va continuer. Vous savez très bien que nous avions fait des investissements avec le gouvernement d’Haïti, la Banque interaméricaine de développement (BID) dans le parc industriel à Caracol. Nous avons soutenu la partie énergétique. Nous sommes sur le point de lancer un grand projet de réaménagement du port de Cap-Haïtien qui est très important pour développer le couloir économique Nord-Nord-Est. Nous travaillons beaucoup sur la santé ; la santé publique est essentielle. L’éducation est essentielle. Alors, ce que nous pouvons apporter, c’est de l’aide financière, c’est de l’assistance technique. Mais parfois, nous avons besoin que le côté haïtien fasse des avancées pour créer les possibilités d’aller de l’avant. Si nous regardons les difficultés des entrepreneurs, qu’ils soient haïtiens ou étrangers, pour créer une entreprise, pour faire du commerce ici... il y a des décisions à prendre. En lisant les rapports de la Banque mondiale et du FMI sur le secteur de l’énergie ici, il y a de grandes difficultés qui sont soulignées, des décisions sont à prendre dans ce secteur. Je comprends que ce sont parfois des décisions politiquement difficiles à prendre, mais Haïti a besoin de l’électricité constante, de la santé, de l’éducation pour avancer, pour attirer des investissements. Nous sommes prêts à accompagner Haïti dans beaucoup de domaines, mais nous avons aussi besoin d’efforts qui sont à faire du côté haïtien. L.N. : Le dossier énergie est très important d’autant plus que c’est un sujet qui est sur le tapis ces jours-ci. Les Etats-Unis, en 2004, avaient favorisé des compagnies privées qui génèrent de l’électricité. C’est un modèle qui a été mis en place avec l’appui de l’USAID et qui avait financé à un certain moment le carburant pour les opérateurs privés. Ce modèle arrive à son terme ? Il faut passer à autre chose ? P.F.M. : Tout d’abord, ce ne sont pas les Etats-Unis qui décident de quoi que ce soit, nous n’avons pas à décider si ça arrive à terme ou non. Il y a plusieurs possibilités pour gérer l’énergie nationale. Il y a des exemples qui marchent (tout nationaliser, tout privatiser) et d’autres qui sont un mélange. Ce qu’il faut en Haïti, c’est un plan logique pour gérer un réseau d’énergie qui arrive à fournir de l’électricité, qui arrive à avoir un budget logique. Il faut savoir combien ça coûte pour fournir de l’électricité…il y a plein de choses à prendre en compte. Nous ne cherchons pas un modèle spécial, mais un système logique et un plan pour l’avenir de l’énergie en Haïti. L.N. : L’ambassade américaine a sorti l’année dernière deux communiqués qui ont fixé les montants pour les frais consulaires. En fixant ces montants, on avait quasiment fixé le taux de change. Depuis, on peut dire que la gourde a suivi la tendance qui avait été dessinée par l’ambassade. Y aura-t-il encore des interventions de ce genre ou avez-vous estimé que c’était malheureux de le faire ? P.F.M : Je vais vous expliquer un peu le système. L’intention des Etats-Unis n’était pas de fixer le taux de change. Loin de là, et ce n’est pas notre rôle. Ce qui s’est passé, c’est que nous avons un système qui est appliqué globalement, dans toutes nos ambassades du monde pour les coûts consulaires. Selon notre règlement, les frais consulaires doivent financer les dépenses consulaires, nos opérations. La formule n’est pas appliquée pour Haïti, mais globalement. Si ça a eu un effet négatif, je suis désolé. L.N. : La différence cette fois c’est que les deux communiqués ne s’étaient pas contentés de dire que le service coûte 130 ou 140 dollars, mais avaient dit que le dollar vaut tant de gourdes… P.F.M. : Je comprends, mais je reviens sur la formule. Il faut que nous soyons sûrs que les frais vont couvrir les coûts de nos opérations. Alors, dans la formule, c’était ça ; en tenant compte de la situation on a fixé ce taux-là et non avec l’intention de faire quoi que ce soit sur le marché. L.N. : Votre prédécesseur, Pamela White, était arrivé avec beaucoup d’optimisme et est repartie un peu déçue, particulièrement en ce qui concerne le dossier de la corruption qui n’avait pas assez avancé à son goût. Vous avez une image d’Haïti en arrivant ? Qu’est-ce qui vous préoccupe dans les différents dossiers qui concernent Haïti ? P.F.M : Je pense que c’est une question vaste. Mes impressions sont qu’Haïti a de grandes potentialités. C’est difficile de dire après trois semaines mes premières impressions parce que c’est basé sur ce que j’ai appris, sur ce que les gens m’ont dit. Ce que je vois en arrivant, c’est un peuple dynamique, créatif, mais qui se retrouve dans une situation où il veut sortir de la période immédiate de redressement d’après-séisme. Le peuple veut aller vers une période de développement normal. Il veut voir la création d’emplois, aller de l’avant. C’est pourquoi j’insiste, pour prendre ce chemin-là, il faut une gouvernance stable et fonctionnelle. Il faut avoir un gouvernement et un Parlement responsables, qui vont répondre aux exigences du peuple. Il y a des problèmes, ce n’est pas un secret. Il y a des problèmes de corruption. Un problème de capacité. C’est toujours difficile en arrivant quelque part de voir la racine de certains problèmes, si c’est un manque d’infrastructure, de capacité ou de volonté politique… Dans tous les systèmes, de tous les pays du monde, il y a des intérêts personnels, commerciaux. Il n’y a rien de mal à cela. Avec un système de gouvernance stable, cohérent, un système judiciaire qui a des capacités de faire de vraies poursuites sur la corruption ou autre chose, on ira vers un système où les gens commencent à croire que tout est possible. Moi, je suis optimiste de nature, mais j’arrive ici les yeux ouverts et avec beaucoup d’expériences à travers le monde. Je vois des problèmes qui pourraient être résolus plus facilement et plus vite et d’autres qui vont prendre du temps. Mais je pense qu’en faisant les premiers pas, tout est possible. J’arrive à un moment clé. Je vois qu’Haïti se retrouve à un tournant. J’ai toujours vu le mot « partenariat » avec deux parties : le respect mutuel qui est essentiel, mais il y a aussi la responsabilité mutuelle. Je pense qu’il faut ces deux aspects pour avancer. Moi, je m’engage à suivre cette approche pendant mon mandat ici. -


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