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COP21 - Hakima El Haité : "Je peux vous dire que Paris est déjà un succès"

samedi 19 septembre 2015

INTERVIEW. Alors que François Hollande et Mohammed VI signent l’Appel de Tanger pour la COP21, la ministre marocaine de l’Environnement s’est confiée au Point Afrique

Le Point Afrique : Qu’est-ce que le Maroc a à dire aujourd’hui sur les questions d’environnement ?

Hakima El Haité : Nous avons constitutionnalisé la protection de l’environnement, et le droit au développement durable. Nous avons institutionnalisé l’environnement dans toute ses dimensions, du ministère de l’Environnement aux agences d’efficacité énergétique, en passant par l’agence des énergies renouvelables, la société des investissements énergétiques et l’institut de recherche sur les énergies renouvelables. Nous avons mis en place toutes les institutions pour nous inscrire dans cette trajectoire de durabilité.

Qu’est-ce qui caractérise votre politique environnementale ?

Nous l’avons assise sur un socle, celui prôné par notre roi [Hassan II] en 1992, lors du Sommet de Rio. Nous n’avons pas tout fait. Mais si vous prenez la politique de l’eau, elle est l’une des meilleures avec son outil de développement, d’adaptation, de la protection des ressources, de lutte contre les changements climatiques. Notre politique de l’eau s’inscrit dans une logique durable. Toutes les politiques marocaines, dans leur développement, ont pris en considération ces aspects de durabilité. Si vous prenez le plan vert, le plan agricole marocain, vous allez voir qu’il a intégré la composante des changements climatiques en mettant en place tout un système d’économie de l’eau, de sa valorisation aussi... La politique touristique, 2020-20, est essentiellement basée sur le développement durable. Dans la politique énergétique, le Maroc ambitionne d’atteindre 42 % des énergies renouvelables à l’horizon 2020. Au moment où tous les autres pays commenceront, nous nous atteindrons 42 % des énergies renouvelables. Autre point : la politique de gestion des déchets. Elle participe à hauteur de 18 % dans les taux d’émission au Maroc. Actuellement, on est en train de mettre en place toute une politique de gestion intégrée des déchets. Notre roi [Mohammed VI] a toujours porté le développement durable dans ses priorités. Cela est soutenu au plus haut sommet de notre organigramme gouvernemental.

Dans le cadre de l’élaboration de votre contribution nationale présentée en juin dernier, votre pays a été soutenu par le ministère des Affaires étrangères allemand. Pourriez-vous dire en quoi consiste le projet 4C (Centre de compétence changement climatique) ?

Le 4C est un projet maroco-marocain, réalisé dans le cadre d’une coopération avec le ministère des Affaires étrangères allemand et le GIZ qui est le bras opérationnel [du gouvernement allemand]. La première mission du 4C était de former les négociateurs marocains de manière à les rendre aptes à participer efficacement aux COP [conférences sur le climat]. Cela a pris une année. De fait, le 4C est un centre qui a permis d’intégrer des experts au niveau national et de constituer une base de données.

Le 4C a-t-il aussi pour ambition de favoriser le partenariat Sud-Sud ?

Quand je suis partie à Lima [la conférence de l’ONU sur le climat en 2014], j’ai pensé que mettre notre expertise à la disposition de nos compatriotes africains rendrait service à notre continent. Cette idée a été applaudie par nos compatriotes africains et nous avons commencé à y travailler. Nous avons donc ouvert les formations aux techniques de négociations aux autres négociateurs africains. Ensuite, la vision s’est développée et, avec nos partenaires, nous envisageons de créer un centre de compétence, une plateforme d’échange de savoir-faire, de renforcement des capacités et de travail sur la législation. Dans le cadre du 4C, nous travaillons sur l’approche méthodologique afin que nos partenaires [d’Afrique] puissent préparer eux-mêmes leur contribution. Parce que faire une contribution, ce n’est pas facile, aussi n’est-ce pas un hasard si les pays mettent du temps à définir les éléments de leur contribution et les présenter. Il s’agit en fait de passer d’un secteur à un autre, de faire des analyses, des calculs aussi.
On se dirige vers la COP21, à partir de quel moment pourra-t-on dire que la COP est bien partie pour atteindre ses objectifs ?

Je peux vous dire que Paris est déjà un succès. Pourquoi ? Parce qu’avant, quand on venait négocier dans des COP, la question était surtout de chercher le responsable de la pollution et de lui demander de payer pour ses erreurs. Aujourd’hui, la dynamique est nouvelle. On est dans une autre trajectoire. Les pays pollueurs reconnaissent leur responsabilité historique. Ils disent : « Nous sommes disposés à financer et accompagner les pays les moins développés, afin qu’ils soient outillés pour lutter contre les changements climatiques. » Deuxième chose, on a décidé à Varsovie [Conférence de l’ONU sur le climat en 2013] que l’enjeu climatique était un enjeu humanitaire. Autrement dit, l’enjeu climatique ne concerne pas seulement les pays industrialisés ou les pays vulnérables, il concerne le monde entier. C’est un enjeu humanitaire et tout le monde doit contribuer. Soit pour aider les pays les plus vulnérables et les moins avancés à faire face au changement climatique, soit à s’armer de technologies sobres en carbone, pour se développer, et pour éviter les erreurs faites par les pays industrialisés. Cela dit, tout ne se fera pas à Paris. Nous sommes sur une trajectoire qui va nous permettre d’atteindre l’objectif des 2 degrés à court et moyen terme, parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a l’innovation. Nous avons des intelligences qui portent l’innovation au niveau mondial. Je pense donc qu’avec la mobilisation, avec l’innovation, avec la bonne volonté, avec beaucoup d’humain, nous allons relever les défis qui se présentent à nous.

Le continent africain peine à obtenir des financements climatiques. Le fonds vert pourrait être la solution mais seuls 10 milliards ont été promis à ce jour par 35 pays. Pouvez-vous situer l’enjeu financier dans tout ça ?

L’enjeu financier est extrêmement important. Il est même décisif. On peut signer tous les accords mais s’il n’y a pas d’argent et de signal fort à la communauté internationale, les COP vont être décrédibilisées. Les finances peuvent libérer toute cette énergie latente qui ne demande qu’à être utile. C’est très important qu’il y ait des signaux forts à commencer par ceux de la France. L’Allemagne a fait une déclaration et promet 2 milliards de dollars. La France devrait faire de même. Les États-Unis aussi. Tous les pays industrialisés devraient faire de même. C’est un signal extrêmement important pour les populations les plus vulnérables. Innover dans le financement va être une nécessité à côté de l’accord. Celui-ci devrait préparer le terrain pour dire que d’autres mécanismes financiers sont les bienvenus.


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