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Vaudou : les grandes visions de Max Beauvoir

mardi 15 septembre 2015

Max Beauvoir s’est éteint le 12 septembre 2015. Nous publions à nouveau cette interview qu’il avait accordée au Nouvelliste en juillet 2008. Dominique Domerçant y faisait le point avec Beauvoir fraîchement intronisé Ati national.

Le Nouvelliste (LN) : « Ati national », un titre nouvellement proposé dans notre société par la communauté des vaudouisants, quelles en sont vos responsabilités qui vous sont imposées par ce poste ?

Max Beauvoir (MB) : Le titre « Ati » fait référence aux traditions de « Legba », « Legba Atibon », « Loko Atibon, Loko Atisou » et de « Ati Danyi Boloko » qui signifient le grand arbre de la forêt qui protège les petits arbres qui sont au-dessus de lui contre les rigueurs du soleil et des intempéries etc. Le nom « Ati » est aussi l’un des autres noms d’Haïti, qui serait basé sur le fleuve Artibonite (Atibonit, sans la lettre « r »). Fleuve qui sépare géographiquement le pays en deux parties (le haut Artibonite et le bas Artibonite). Le poste d’Ati place l’individu dans une position d’intermédiaire entre le monde des humains et le monde des esprits, et c’est pourquoi la traduction du mot « Ati » tout comme le mot « Wanken » signifie dans le vaudou ’’chef suprême’’ ou guide spirituel de la nation.

LN : En quelques mots, faites nous une présentation du rôle d’un houngan ou d’une mambo, en tant qu’acteur religieux et social ?

MB : le houngan est avant tout un prêtre vaudou, une personnalité religieuse qui a la responsabilité sociale, culturelle et religieuse. On le retrouve à différents niveaux dans sa communauté. Depuis la cueillette des feuilles des plantes destinées à la conception et à la préparation des traitements pour les personnes souffrantes. Il a un rôle de psychologue ou de conseiller dans sa communauté, fort souvent disponible lors des problèmes entre les membres d’une même famille, assurer l’arbitrage dans le cadre des conflits entre les individus d’un même quartier et entre les habitants de différentes sociétés. Sans pour autant négliger son rôle de prêtre pratiquant les multiples rituels associés à chacun des Lwa, 401 au total. Ces esprits ou Lwa qui, dans l’ensemble, représentent ce que le monde occidental appelle Dieu. Cependant, dans la religion vaudou ces 401 Lwa représentent les 401 aspects de Dieu.

L.N. : comment avez-vous parcouru les étapes menant à votre initiation ?

M.B. : L’initiation en elle-même a été relativement facile. J’ai suivi le rituel. En somme, j’avais accepté de le faire. Donc, il ne s’agissait pas de se rebeller. Bien que pendant cette période d’initiation on soit sans cesse brimé.

LN : Nous savons, en plus de votre premier voyage en Afrique qui a duré 45 jours, que vous avez effectué plusieurs autres périples sur le continent américain. En quoi le vaudou haïtien diffère t-il des autres pratiques religieuses se rattachant aux cultures et aux cultes brésiliens et afro-américains ?

MB : Je me suis rendu en plusieurs occasions en Afrique pour visiter les nombreux sites mystiques (les Hounfor) du Dahomey, du Togo, du Nigeria, du Ghana et du Sénégal. Ces travaux s’effectuaient autour des études comparatives du vaudou haïtien et du vodou africain.

J’ai assisté à des cérémonies au Brésil et j’ai beaucoup entendu sur le vaudou qui se pratique à Cuba. J’ai vu le vaudou tel qu’il se pratique au Togo, à Allada, à Ouidah, à Porto-Novo et aussi au Bénin. Au cour de mes voyages au Togo, je n’ai eu l’occasion de voir les Mahi, je n’ai les ai pas vus chez les Yoruba, chez les Nago. Pour moi, le vaudou haïtien est pratiquement très différent des autres vaudous qui se pratiquent dans d’autres pays.

En observant les rites pratiqués dans les autres pays, on se trouve face aux Orisha, aux lwa, aux Vodoun, aux esprits de façon générale. On reconnaît ces noms qui font partie aussi du vaudou haïtien. On a tendance à les assimiler immédiatement, a penser que tout est du pareil au même, que le vaudou haïtien est pratiqué de la même manière à Cuba, au Brésil ou en Afrique. Mais les structures sont radicalement autres. Au Brésil ou à Cuba, les rites sont divisés entre maisons, entre casas, comme en Afrique. Le nom des dieux n’est pas tout à fait identique. Parfois, d’une maison à l’autre, certains dieux disparaissent.

La tradition du vaudou haïtien est une construction unique qui recouvre la culture et l’esprit du peuple haïtien. Le vaudou haïtien est composé d’esprits indiens, d’esprits africains et désprits haïtiens, de manière à ce que chacun trouve sa place, d’une manière spirituellement démocratique. En Haïti il y a une fabrication haïtienne du vaudou. Bien que le mot vaudou soit un mot africain qui signifie le grand esprit de Dieu, cette culture traduit pour nous une réalité profondément haïtienne. Notre approche est haïtienne, nos structures font une place à tous les esprits qui constituent la nation haïtienne, dans sa dimension historique. Il fallait éliminer d’autres esprits qui étaient amenés par nos ancêtres africains. Mais il s’agissait simplement de rassembler 401 divinités. Tout ceci a été pensé pour constituer un corps de croyance unique. Tous les Haïtiens qui forment ce que l’on peut appeler l’ethnie haïtienne possèdent leurs esprits dans le panthéon. En un mot, on est Haïtien cela veut dire qu’on est vodouisant !

L.N. : Parlez-nous de l’éventuelle contribution de vos connaissances scientifiques en tant que chimiste dans l’univers des lwa ?

MB : En suivant mon premier cours de biologie à City Collège de New York (CCNY), mes premières expériences avec le microscope m’ont permis, à partir de l’étude des cellules, d’observer le trou brillant au-dessus de la cellule qu’on appelle « organelle ». Je suis ainsi parti de ces démarches pour initier manifestement ma carrière de chercheur avisé et ouvert à toutes les formes de connaissances techniques, scientifiques et mystiques. Je crois que les gens de science se limitent à tout ce qu’on peut voir, toucher, manier, tout ce qui est matériel. Cependant, la vie n’est pas seulement matérielle, elle contient plus que cela. J’ai compris que le côté matériel des choses coexistait avec le plan immatériel qui ne connaît pas de frontières. En conclusion, face à ce plan, il ne suffit pas seulement d’agir ou de réagir, il faut se plonger dans ce bain spirituel tout en se laissant porter comme par les vagues de la mer. Ainsi, on comprend que les lois cartésiennes ne sont pas toujours les meilleures.

LN : Nous entendons souvent parler de ces nombreuses sociétés secrètes qui se manifestent souvent la nuit, et qui portent la marque de « vaudou dur », un vaudou de combat, dites nous ce que vous savez sur le « Bizango » ?

MB : En parlant de Bizango particulièrement, nous faisons référence ainsi à l’archipel des Bizango que l’on trouve au sud du Sénégal ; cette population est très connue pour ses qualités guerrières exprimées jusqu’à aujourd’hui. Nous avons toujours baigné dans un océan où les forces technologiques nous dépassent. Entre 1791 et 1804, il fallait affronter les plus grandes forces militaires de l’époque en particulier, l’Angleterre, l’Espagne... La France, c’était la plus grande armée du monde ; en face nous avons eu les bâtons et les pioches... Nous utilisions les forces spirituelles. Les esprits ne peuvent pas mourir et c’est dans ce contexte que les Bizangos ont contribué fortement dans les démarches devant aboutir à l’Indépendance du pays.

L.N. : Comment aborder la question de la mort dans le vaudou ou même chez le peuple haïtien en général ?

M.B. : La mort dans le vaudou est très frappante. Les Bizango, eux aussi, nous parlent aussi de la mort. Nous devons l’accepter dès le jour de notre naissance. C’est une conséquence naturelle du fait de vivre et d’exister.

Contrairement aux chrétiens, nous n’imaginons pas nous asseoir à la droite ou à la gauche de quiconque qui va nous juger éternellement et est capable de nous brûler dans les enfers. Nous, en tant que vaudouisants, ne sommes pas d’accord avec cette vision à propos de la mort. La mort constitue un passage obligé de tout être vivant, de l’individu, de l’animal ou de la plante. Nos ancêtres sont morts et nous leur sommes reconnaissant d’avoir laissé cette tradition qui s’appelle vaudou. Nous estimons que c’est grâce au vaudou que nous parvenons à exister. Nous célébrons ainsi la mémoire de nos ancêtres.

LN : Des crânes, çà et là, que nous retrouvons souvent dans les péristyles, avec quel sentiment aborder ces objets qui participent à la fois à la décoration des temples et à l’invocation des esprits ?

MB : Il y a des gens qui pensent que la présence de ces crânes rend l’environnement macabre. Pour moi, ce n’est pas plus macabre que d’élever un personnage en l’albâtre sur une croix en bois, il n’y a pas de différence. En l’albâtre ou en vrai os humain, c’est l’équivalent. Ces crânes représentent aussi, de temps à autres, nos ancêtres. Leur présence dans les péristyles ,une fois de plus, traduit une marque de respect pour la mémoire de ceux-là qui nous ont laissé cette terre en héritage.

LN : Revenons encore autour des raprochements entre ces deux champs : mystique et scientifique ?

MB : Les domaines scientifiques dans lesquels je me suis plongé, c’était la biologie, la physique et la chimie. Pour arriver à ce niveau de connaissance, comme celui de l’anatomie, par exemple, combien de cadavres ont été dépecés par lamelles, centimètre par centimètre, rien que pour établir le chemin que prenait telle veine à travers le corps humain. On en appelle à la médecine légale qui n’opère que par autopsie, pratique qui consiste à découper des morts. Imaginez, si un Houngan se mettait à dépecer les cadavres, si un seul Houngan se mettait à dépecer un seul cadavre sur le territoire d’Haïti, le tollé ! Je trouve cela absurde. Pourquoi le médecin a-t-il des droits que le Houngan n’a pas ?

L.N. : Qu’en est-il des grands chantiers et de la vision de l’Ati national, sept mois après votre intronisation ?

M.B.:Unifier la communauté des vodouisants, structurer le secteur en vue de le rendre plus fort et plus actif, plus dynamique, pour une meilleure reconnaissance dans la société. En plus d’avoir à rencontrer plusieurs membres du corps législatif haïtien, nos démarches se poursuivent dans le cadre de propositions de lois en faveur des vaudouisants, y compris notamment la loi électorale. Comment est-ce que l’Etat haïtien s’arrange à banaliser l’état civil, où le jeune Haïtien éprouve toutes sortes de difficultés pour se faire inscrire en tant que citoyen. Une fois de plus, la communauté des vodouisants revendique une place dans le conseil électoral provisoire ou permanent (CEP) et bien plus encore comme étant une religion officiellement reconnue par l’Etat mais trahi toujours par les dirigeants politiques.

Sur le plan administratif, nous travaillons en vue de faire voter des « Ati » dans toutes les régions en Haïti. Ces « Ati » vont constituer le grand conseil national du vaudou. Et ainsi, chacun de ces « Ati » va structurer ses propres régions jusque dans les sections communales. A ce moment, ils auront un vaudou très bien structuré.

LN : D’où viennent les moyens indispensables pour aboutir à des résultats, compte tenu de la réalité socio-économique du pays ?

MB : Je ne suis pas seul dans ce combat, je fais parti d’une équipe avant tout, et j’ai été choisi par un grand regroupement constitué de près de 30 à 40 associations de vodouïsants telles que : (Zantray, Konavo, Brav, etc.) et j’ai aussi avec moi Euvonie Georges Auguste comme secrétaire général, Anténor Guerrier responsable des finances et Mackandal comme porte-parole. Tous font partie d’un comité composé de 16 membres pour le sécrétariat général.

Ma grande satisfaction avant tout, c’est que ce sont les vaudouïsants qui contribuent avec le peu de moyens dont il disposent à l’avancement de nos projets aussi grands et exigeants qu’ils puissent être. A ne pas sous estimer que les vaudouïsants contribuent depuis toujours au développement de notre pays. Dans le secteur de la santé par exemple, ils participent jusqu’à aujourd’hui activement à l’amélioration et au bien-être de nombreux citoyens vivant dans les endroits les plus réculés.

En dépit des "dechoukay" et de toutes les autres formes de persécution et de discrimination dont sont victimes ces Haïtiens authentiques dans leurs croyances et pratiques culturelles de "nos frères et soeurs vaudouïsants", le vaudou est plus que jamais puissant !

LN : Comment voyez-vous les autres religions par rapport au vaudou, en raison des divergences existant dans les croyances fort souvent qui se terminent par des confrontations ?

MB : J’exprime avant tout un très grand respect pour toutes les religions. Je suis pour, avant tout, la cohésion sociale ; je suis très favorable à ce que catholiques, protestants, témoins de Jéhovah, baptistes, etc., tous les adeptes se donnent la main en tant que frères et soeurs pour enfin bâtir et sauver l’Haïti que nous avons reçue en héritage. Je crois fortement que tous les haïtiens doivent travailler inlassablement pour atteindre ce noble objectif.

De retour au pays en 1974, Max Beauvoir s’est initié la même année au vaudou. Peu de temps après, il effectuera de nombreux travaux dans le domaine médical, spécialement dans la médecine traditionnelle ; au point que de prestigieuses institutions internationales, telles que l’UNESCO, ont consenti des investissements en vue de favoriser une série de voyages de recherches au bénéfice de ce dernier et de la science en particulier.

Max Beauvoir a été élevé au rang « d’Ati national », chef suprême du vaudou haïtien le 7 mars 2008 par la Confédération nationale des vaudouisants haïtiens (CNVH). Cette cérémonie s’était tenue en présence des représentants de partis politiques, d’églises chrétiennes et autres cultes, des membres du gouvernement. Hougans, mambos, initiés et autres serviteurs des dieux vaudou venus des différentes régions du pays ont pris part à cette cérémonie organisée au Lambi Night-Club, à Mariani.

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