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À Téhéran, on ne veut plus des voitures "made in Iran"

lundi 14 septembre 2015

Avec 20 000 morts par an, la qualité des voitures locales est décriée par les réseaux sociaux. Un enjeu au moment où les constructeurs étrangers reviennent.
Source AFP

Une campagne citoyenne qui accuse les voitures construites en Iran d’être trop chères et peu sûres provoque une vive controverse à Téhéran. Ses auteurs ont été qualifiés de "contre-révolutionnaires" par un ministre furieux. La campagne intitulée "Don’t buy brand new cars" ("N’achetez pas de voitures neuves") a été lancée sur les réseaux sociaux pour faire pression sur les constructeurs locaux afin qu’ils baissent leurs prix et améliorent la qualité de leurs véhicules.

"Ceux qui suivent cette campagne trahissent les intérêts du pays", a réagi le ministre de l’Industrie et du Commerce, Mohammad Reza Nematzadeh. "Cette campagne est (...) honteuse et contre-révolutionnaire. Elle porte atteinte à l’économie et la production nationales", a-t-il tempêté.

Plusieurs journaux ont dénoncé les propos du ministre et défendu le droit des consommateurs à ne pas acheter de voitures iraniennes. "Le ministre ne dit rien aux constructeurs qui mettent en danger la vie des gens avec des voitures de mauvaise qualité", a ainsi protesté le quotidien Ghanoon. Environ 20 000 personnes meurent chaque année sur les routes, un chiffre qui a pourtant baissé fortement par rapport aux 28 000 morts d’il y a une dizaine d’années.

Sécurité en question

"Les consommateurs n’achètent pas un produit, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens, soit parce qu’ils ne sont pas satisfaits", a fait remarquer le quotidien Javan. "Imposer à la nation des voitures qui ne sont pas aux normes, cher et non exportables est une trahison", a également rétorqué sur Twitter un consommateur, Hassan Mostafavi. Après un avertissement du président Hassan Rohani, le ministre a rectifié le tir, affirmant qu’il voulait juste protéger l’industrie locale.

La Pride, une petite voiture d’origine sud-coréenne conçue il y a 30 ans, coûte 200 millions de rials (soit 6 700 dollars), 22 fois le salaire minimum. © DR

Le marché est dominé par les groupes iraniens Iran Khodro et Saipa, en l’absence des constructeurs étrangers qui l’ont déserté depuis l’application des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne en représailles au programme nucléaire. Seul le français Renault continue d’assembler quelques voitures sur place.

La campagne citoyenne vise en particulier la Pride, une petite voiture d’origine sud-coréenne conçue il y a 30 ans et qui coûte 200 millions de rials (soit 6 700 dollars), 22 fois le salaire minimum. Sous la pression des réseaux sociaux et des journaux, plusieurs constructeurs ont présenté des excuses et promis d’améliorer la qualité.

D’autant que les critiques ont reçu un soutien de poids lorsque le chef adjoint de la police, Eskandar Momeni, a jugé que la sécurité des voitures n’était "pas satisfaisante", évoquant "un manque de concurrence et de contrôle de la production".

Un marché à redéployer

Le marché automobile iranien est très protégé avec des taxes allant jusqu’à 100 % sur les voitures importées. L’année dernière, seuls 106 000 véhicules produits à l’étranger ont été acheminés dans le pays. L’industrie automobile est le second secteur de l’économie iranienne après l’énergie : elle pèse entre 2 % et 3% du PIB et 12 % du marché de l’emploi.

La production, qui était de 1,65 million de véhicules en 2011 a fortement chuté à 740 000 en 2013 à cause des sanctions internationales. Mais la production est repartie à la hausse pour atteindre 1,1 million de véhicules en 2014 grâce à l’allègement des sanctions contre ce secteur. Et l’Iran est désormais le 18e constructeur automobile mondial.

Saïd Laylaz, un expert qui travaille dans le secteur depuis 20 ans, note que le marché automobile reflète "l’effondrement de l’économie iranienne". "La moitié des Iraniens ont perdu 40 % de leur pouvoir d’achat au cours des trois dernières années", de la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), dit-il. "Pour 70 % des Iraniens, il est impossible d’acheter une voiture étrangère."

Dans un marché protégé, les constructeurs espèrent qu’après l’accord sur le nucléaire et la perspective de levée complète des sanctions, ils pourront rapidement s’allier à des partenaires étrangers pour augmenter la production et améliorer la qualité. Des constructeurs allemands, français, italiens, japonais, sud-coréens et chinois ont déjà entamé des discussions.

L’Iran, qui compte 17 millions de voitures pour 79 millions d’habitants, veut en produire 1,6 million en 2016 puis 3 millions, en collaboration avec des fabricants européens et asiatiques.


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