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11 septembre 1853. Affrontant mille dangers, le Britannique Richard Burton atteint La Mecque.

vendredi 11 septembre 2015

C’est le plus grand explorateur du XIXe siècle. Se faisant passer pour un musulman pachtoun, Burton revient vivant de La Mecque.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 11 septembre 1853, un pèlerin pachtoun arrive en vue de La Mecque. Il accomplit le hadj que tout bon musulman doit réaliser au moins une fois dans sa vie : le pèlerinage de La Mecque. Seulement, cet homme imposant, à la longue barbe, n’est pas pachtoun, et encore moins musulman. C’est un des plus grands explorateurs du XIXe siècle. L’Irlandais Richard Francis Burton ! Un personnage hors du commun. Une brute, un obsédé sexuel, mais aussi le plus intrépide des aventuriers. Au cours de ses explorations, il a affronté la mort, il a tué. Burton a exploré de fond en comble une Afrique encore terrifiante. Pourtant, c’est aussi un grand écrivain, un poète magnifique. Il invente l’ethnologie sans le savoir. Il parle vingt-neuf langues et onze dialectes. Il est orientaliste, maître d’armes et maître soufi... N’en jetez plus, la cour est pleine.

Fasciné par l’islam, à 32 ans, Burton décide de traverser la péninsule arabique pour visiter La Mecque. À l’époque, pas encore de pèlerinages chartérisés pour 1 000 euros, ablutions comprises... Même pour un musulman, le voyage est terriblement dangereux, car les caravanes sont souvent attaquées par les Bédouins. Alors, pour un "infidèle", c’est mission quasi impossible. Sinon en se convertissant à l’islam ou en tant qu’esclave. Pas question de ça pour Richard Burton. Maniant suffisamment bien l’arabe et étudiant à fond les rituels de la religion de Mahomet, il choisit de se glisser dans la peau d’un musulman.

Il invente l’ethnologie

Après des études mouvementées, il part pour l’Inde comme officier de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Victime du choléra, il retrouve sa liberté et part se soigner en France. C’est alors qu’il peaufine son expédition et se rend à Londres afin d’obtenir la bénédiction de la Royal Geographical Society. Le 3 avril 1853, Burton quitte l’Angleterre pour Alexandrie, déjà doté de sa nouvelle identité persane. Il séjourne quelques semaines au Caire, se faisant passer pour un derviche, c’est-à-dire un mendiant suivant la voie ascétique soufie. Il se laisse pousser les cheveux jusqu’aux épaules, porte une longue barbe et se fonce le teint avec du henné. Il devient Mirza Abdullah el Bushiri, originaire d’Afghanistan. Il loue une paire de chameaux pour traverser le désert de Suez accompagné par Mohammed, une jeune garçon originaire de La Mecque. Arrivés à Suez, ils embarquent sur un navire avec 97 autres pèlerins à l’air féroce et armés jusqu’aux dents.

Après une croisière de douze jours, l’aventurier débarque à Yanbu, sur la côte de l’actuelle Arabie saoudite. Il loue des chameaux pour se mêler à une caravane se rendant d’abord à Médine, qu’il veut visiter. Mais le départ est retardé car le pays est à feu et à sang en raison d’une guerre entre les tribus bédouines. Finalement, Burton décide de tenter l’aventure seul avec Mohammed et, au bout de quelques jours, ils ont la chance de rencontrer une autre caravane en provenance de La Mecque et se rendant à Médine. Tout au long du chemin, il faut repousser les attaques de Bédouins. Au cours de sauvages affrontements, douze hommes sont tués. Les assaillants s’emparent des chameaux pour les manger et piller leur chargement. À tout moment, l’explorateur craint d’être confondu et étripé. La caravane finit par atteindre Médine, où Burton, censé être en pèlerinage, visite tous les lieux saints, les cimetières. Comme un bon musulman, il effectue les cinq prières quotidiennes. Mais, surtout, il prend une quantité de notes sur la vie quotidienne, il réalise également des esquisses. Il invente l’ethnologie.

Le sanctuaire ! Le sanctuaire !

Après un séjour de six semaines à Médine, Burton prend la route de La Mecque le 1er septembre avec la caravane de Damas composée de plusieurs centaines d’hommes. La chaleur épouvantable oblige à voyager de nuit. Les chameaux ont du mal à se frayer un chemin à travers les blocs de basalte. La soif est une torture. La distance à parcourir est d’un peu plus de 400 kilomètres. Encore une fois, il faut se battre contre les Bédouins. Enfin, le 11 septembre, vers 1 heure du matin, après dix jours de voyage, des cris éclatent : "La Mecque ! La Mecque !" D’autres répondent : "Le sanctuaire ! Le sanctuaire !" Un sentiment d’exaltation saisit chacun, y compris le faux pèlerin. Burton aperçoit au loin la masse sombre d’une ville. La caravane poursuit son chemin, dépasse des tours de guet et un palais fantôme. Elle laisse le cimetière saint de La Mecque sur la gauche. Burton est accueilli par la famille de Mohammed. Dès le lendemain, il se rend à la Kaaba pour y effectuer les sept tours rituels. "Je me suis alors frayé un chemin à travers l’immense foule pour l’embrasser." Burton a le temps d’examiner la pierre noire placée dans le mur de la Kaaba par le prophète Mahomet. Il est persuadé qu’il s’agit d’une météorite. Après plusieurs jours à tout voir, tout enregistrer, à craindre chaque minute d’être découvert, Burton pense à partir de La Mecque. Toujours accompagné du jeune Mohammed, il rallie Djedda sur des ânes. "Je dois dire que la vue de la mer et du drapeau britannique fut pour moi un agréable tonic." Il embarque à bord d’un navire.

Ses aventures ne font que commencer. Il enchaîne avec la visite de Harar, autre cité interdite aux infidèles. Il se fait toujours passer pour un musulman. Mais à quel prix ! Il manque de mourir de soif. Il repart en expédition avec un autre Britannique, le lieutenant Speke. Encore une galère. Ils se font attaquer et reviennent à moitié morts. Une lance a pénétré dans la joue de Burton, ressortant par l’autre. En 1856, Burton explorera encore la région des Grands Lacs en Afrique où il espère trouver la source du Nil. Son complice Speke l’accompagne encore. Ils découvrent le lac Tanganyika en 1858. Tous deux se fâcheront. Richard Burton achèvera sa vie comme diplomate. Mais quel diplomate !


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