MosaikHub Magazine

6 septembre 1952. Le premier jet supersonique britannique tue 31 personnes lors d’un meeting aérien.

dimanche 6 septembre 2015

Juste après avoir franchi le mur du son, le de Havilland D.H.110 se fragmente, traçant un sillon sanglant dans la foule de Farnborough

Le 6 septembre 1952, une foule de 130 000 personnes assiste au meeting aérien de Farnborough, en Angleterre. On est venu en famille, on pique-nique sur place. L’ambiance est joyeuse. Les avions, tous britanniques, pourfendent le ciel en effectuant de spectaculaires figures aériennes. Chandelles, tonneaux, virages sur l’aile, vrilles, vol sur le dos, tout y passe. Dans la foule, vingt-neuf spectateurs ne se doutent pas qu’ils vivent leurs dernières minutes.

Vers 14 h 30, John Derry, 30 ans, pilote d’essai chez de Havilland et as des airs de la Seconde Guerre mondiale, pousse à fond les gaz de son zinc sur la piste de décollage. C’est à son tour de faire le spectacle. Il compte bien se déchaîner, puisqu’il pilote le dernier bijou de sa firme, le D.H.110. C’est un monstre de puissance, le premier chasseur biréacteur nocturne britannique à avoir franchi le mur du son, un an plus tôt, le 26 septembre 1951. L’armée britannique hésite encore à passer commande. Il faut montrer ce dont il est capable. L’observateur de 25 ans qui a également pris place à bord se nomme Anthony Richards.

Public incrédule

Sitôt décollé, Derry grimpe jusqu’à 12 000 mètres d’altitude avant de jeter son jet dans un piqué supersonique. La foule a déjà remarqué le petit point noir qui grossit à vue d’oeil. Deux minuscules flocons blancs fleurissent de part et d’autre de l’appareil, puis, une minute plus tard, c’est le formidable double bang, signature du franchissement du mur du son. La fierté britannique envahit 130 000 cerveaux. Le chasseur déboule au-dessus de la foule à plus de 840 kilomètres à l’heure. Quelques secondes plus tard, il disparaît à l’horizon.

Derry effectue un virage pour refaire un passage au-dessus de la foule. C’est alors que, sans crier gare, l’avion se disloque à moins de 200 mètres d’altitude. Le nez et les deux moteurs d’une tonne se détachent du fuselage, lequel poursuit son vol au ralenti avant de se planter dans la piste. Derry et Richards n’ont pas le temps de s’éjecter, ils sont instantanément transformés en jelly rose. Profitant d’une occasion qui ne se reproduira certainement pas, le prince Charles, trois ans, pousse sa mère vers l’endroit où il pense que l’avion va s’écraser... Un des deux réacteurs ricoche sur le sol, taillant un sillon sanglant parmi des pique-niqueurs installés sur une éminence, tandis que l’autre s’empale sur un camion et deux motos sans faire de victime. Un silence de mort s’abat sur le public incrédule. Le speaker gueule inutilement : "Attention !"

The show must go on

Les organisateurs du meeting sont pris de court devant l’ampleur de la catastrophe. De nombreux véhicules de pompiers et des ambulances finissent par converger vers les victimes. Les organisateurs décident de poursuivre le meeting pour détourner l’attention de la foule. The show must go on... Aux commandes d’un Hawker Hunter Jet, le pilote Neville Duke, un ami proche de Derry, entreprend d’effectuer à son tour un vol supersonique. Pendant ce temps, les secours embarquent vingt-neuf morts et une bonne soixantaine de blessés. Clin d’oeil du destin, John Derry est mort quatre ans, jour pour jour, après son premier vol supersonique à bord d’un autre avion de Havilland.

Pour la petite histoire, il faut savoir que de Havilland avait prévu de faire voler le jour du meeting son prototype n° 2, mais celui-ci ayant présenté un problème de surchauffe de l’un des moteurs, c’est finalement le prototype n° 1 qui a fait le vol. En un an, les deux appareils avaient déjà effectué une centaine de vols supersoniques sans connaître le moindre pépin. Le rapport d’accident publié en avril 1953 incrimine une faiblesse structurelle du bord d’attaque de l’aile. Du coup, la Royal Air Force, qui envisageait d’en commander plusieurs exemplaires, y renonce, lui préférant son concurrent, le Gloster Javelin, moins performant, mais peut-être plus fiable. Trois ans plus tard, le D.H.110 modifié entre au service de la Royal Navy sous le nom de De Havilland Sea Vixen. Charles cherche une nouvelle combine pour s’emparer de la couronne. Un chapeau piégé, peut-être ?


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie