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Vocation (ou pas)

vendredi 1er août 2014

Une lectrice, Françoise M.-B., m’écrit sur une expression de langue de bois, faussement chic et assez agaçante : "avoir vocation à" ou, plus souvent, "ne pas avoir vocation à". "C’est flou et faussement technique", remarque-t-elle, rappelant la déclaration de Manuel Valls sur les Roms qui n’ont "pas vocation" à rester en France. Ma lectrice s’interroge sur la signification de cette phrase : "ne veulent pas, ne peuvent pas, ne doivent pas, n’ont pas le droit, n’ont pas les qualités pour, ne sont pas faits pour, pas destinés à... ? Pas appelés à (vocation), par une voix d’en haut ?" Elle cite aussi, en positif : "Les Verts ont vocation à gouverner" (Cécile Duflot, en quittant le gouvernement) - vocation contrariée, alors." Le Petit Robert date cela de 1967, dans le sens "être qualifié, indiqué pour" (en parlant d’une administration, d’une entreprise).

Reprenons. Pour Manuel Valls, ministre de l’intérieur, le 25 septembre 2013, "les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie". Dès le lendemain, le sociologue Eric Fassin, dans une tribune publiée par Le Monde, commente : "D’ordinaire, la vocation, c’est être appelé quelque part par quelqu’un. Or les Roms "n’ont pas vocation" ; autrement dit, ils n’ont vocation à rien, et personne ne les appelle. Bien entendu, ce n’est pas notre faute, ni même de notre fait : c’est ainsi."

Autre contexte, pour cet élément de langage : le militaire. Les forces françaises n’ont "pas vocation à rester durablement en Centrafrique", explique François Hollande, le 16 décembre 2013. Laurent Fabius sur LCI, le 18 février 2014, reprend : "Nous n’avons pas vocation à rester en permanence en Centrafrique." Puis le 25 février, Jean-Marc Ayrault assure aux députés que "la France n’a pas vocation à se substituer aux forces internationales" en Centrafrique. Chaque semaine, quelqu’un nous le répète. Et quand ce n’est pas la Centrafrique, c’est le Mali. Ainsi le général de division Marc Foucaud, commandant de la force Serval, déclare-t-il le 13 mai à Jeune Afrique : "Nous n’avons pas vocation à rester vingt ans au Mali." On a compris.

CLICHÉ

Pas question de faire la liste de toutes les phrases politiques, trop nombreuses, reprenant ce cliché. Un seul exemple, François Bayrou au Grand Jury RTL, le 4 mai : "Le centre n’a pas vocation à être une roue de secours, ni une force d’appoint ni à être accessoire. Il a vocation à être un moteur, une volonté..." Notez, pour un démocrate-chrétien, une vocation ça ne se discute pas...

On le voit, cette tournure s’est bien installée dans la novlangue politique (et économique). Depuis quand ? Là aussi, mon aimable lectrice Françoise M.-B. me met sur une piste, en me rappelant le travail d’un fin professeur de linguistique, Jean Véronis, aujourd’hui disparu. Ce dernier, co-auteur de l’ouvrage Les Mots de Nicolas Sarkozy (Seuil, 2008), avait réalisé un travail de statistique lexicale remarquable d’où il ressort que, pendant la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy use et abuse de l’expression, environ dix fois plus que les autres candidats : "Tous les pays n’ont pas vocation à intégrer l’Union", "L’Etat n’a pas vocation à se mêler de tout", "L’Europe a vocation à protéger", "L’OTAN n’a pas vocation à se substituer à l’ONU", etc.

Il faudra un jour rendre hommage aux trouvailles lexicales sarkoziennes (ou "guainoiennes"). En effet, en période politique atone, ces formules emblématiques du chic toc et du pompeux creux ont vocation à servir à jet continu.

Didier Pourquery
Journaliste au Monde


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