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« Juste un mot » : autiste ?

vendredi 1er août 2014

Dans les commentaires politiques que je lis depuis quelque temps un mot revient sans cesse, un mot qui me trouble, me dérange : lorsqu’un éditorialiste ou un analyste qualifie quelqu’un - prenons le président de la République, par exemple - d’autiste. Cet agacement m’est venu il y a deux ans à la lecture, sur un grand site d’informations, d’un post de blog : "François Hollande est-il (quelque part) autiste ?" Depuis, je remarque que ce qualificatif revient dans des centaines de titres : "M. Hollande et l’autisme français", "Hollande autiste face à l’économie", "L’autisme comme ligne politique", et même "François Hollande autiste sur l’entrepreneuriat" !

Je sais. C’est une hyperbole, une exagération de sens, une figure d’emphase. Je sais aussi que, si l’on commence à interdire d’utiliser les mots que l’on veut quand on veut, on tombe dans la caricature du politiquement correct. Mais "traiter" une personne d’autiste me choque. Que veut-on souligner exactement ? Il s’agit de quelqu’un qui a du mal à saisir son environnement, à communiquer, à parler, à écouter, à "capter" comme on dit souvent aujourd’hui. Quelqu’un de fermé, de renfermé. On comprend.

Mais pourquoi utiliser le nom d’une maladie si complexe, un handicap si lourd qui touche environ 1 % des nouveau-nés (1 pour 68 aux Etats-Unis) pour parler de tel ou tel personnage public ? On pourrait se contenter de décrire qu’il fait la sourde oreille face à tout ce qui le dérange. Qu’il paraît indifférent à ce qui l’entoure. Qu’il est sans voix face aux vrais problèmes, qu’il se réfugie dans son mutisme, etc. Sourd et muet sont des handicaps pénibles utilisés au figuré depuis des siècles. De même, dit-on d’un maladroit, en plaisantant, qu’il est manchot. Mais faut-il étendre cet usage aux maladies neurologiques ?

SIDA MENTAL"

Certes, depuis la fin des années 1960 et la popularisation de la psychologie et de la psychanalyse, on s’est mis à utiliser les termes cliniques de ces disciplines comme s’il s’agissait de légères affections passagères. On entend qu’untel est complètement "névrosé" parce qu’il s’agite ou qu’il s’enferme ; celui-là est "parano" car trop précautionneux ; celle-ci est "schizo" : elle a deux maisons ou des intérêts divergents ; "mytho" est devenu le synonyme d’affabulateur de comptoir ou de cour de récré. Et, si l’on en croit les couvertures des hebdomadaires, nous sommes entourés de passifs-agressifs et de pervers narcissiques. Pour couronner tout cela, voilà maintenant que le président est autiste. Diable !

Tout se passe comme si ces maladies n’en étaient pas vraiment. On peut utiliser leur nom comme des caricatures, des exagérations aimables, des propos de salon. Pas grave. Pourtant, il ne viendrait à personne l’idée de traiter quelqu’un de cancéreux, de cardiaque... ou de séropositif, au figuré. Rappelons-nous le scandale provoqué en 1986 par l’éditorial de Louis Pauwels dans Le Figaro Magazine lorsqu’il écrivit que la jeunesse de gauche défilant contre la loi Devaquet était atteinte de "sida mental".

Ou lorsque Jean-Marie Le Pen désigne "Monseigneur Ebola" comme solution à la question de la surpopulation africaine. Les épidémies, les graves maladies, semblent taboues (ou presque : on parle quand même de "peste brune"). Comment se fait-il, alors, qu’on puisse sans ciller qualifier un président de la République du nom d’un trouble du développement ? Je suis sans doute bouché à l’émeri (tiens, elle n’est pas mal cette expression), mais je ne comprends pas.

Didier Pourquery


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