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24 juillet 1945. Deux kamikazes glissés dans des torpilles se font sauter avec l"Underhill" US

vendredi 24 juillet 2015

Les Japonais avaient conçu les torpilles Kaiten pilotées par des kamikazes pour couler les navires américains.
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le visage collé contre l’oculaire du périscope, le commandant Saichi Oba surveille le destroyer américain dont il peut lire le numéro d’immatriculation sur la coque : DE 682. L’Underhill. Un léger sourire cruel passe sur son visage. Constatant que le bâtiment ennemi est suffisamment proche pour déclencher l’attaque et qu’il n’y a pas d’enfant palestinien à bord (...), il fait signe aux quatre jeunes kamikazes de rejoindre chacun leur torpille. Le sous-lieutenant Jun Katsuyama, l’enseigne Toyooki Seki, et les deux officiers mariniers de 1re classe Tsutoma Kawajiri et Masahiro Arakawa saluent impeccablement leur commandant, avalent un verre de saké, récitent un très court poème dédié à l’empereur, avant de s’engouffrer dans les boyaux menant à l’intérieur des quatre Kaiten fixés sur le pont du gros sous-marin. Auparavant, ils ont écrit une lettre pour leurs parents et leur fiancée.

Les Kaiten sont de grosses torpilles reconditionnées pour pouvoir être pilotées par un kamikaze. Elles possèdent un mètre de diamètre pour une quinzaine de mètres de long. Leur autonomie ne leur permet que de parcourir 78 000 mètres avec une vitesse pouvant atteindre 56 km/h. Le compartiment avant de la torpille contient un peu plus de 1,5 tonne d’explosif, suffisant pour percer le plus gros blindage. Le pilote dispose d’un périscope pour affiner sa trajectoire. Avant que les quatre kamikazes ne se glissent dans leur boite de conserve, des mécaniciens disposent dans les habitacles des bouteilles d’oxygène et programment les gyroscopes de bord en fonction de la direction et de la vitesse du navire-cible.

Les quatre pilotes ont tous moins de 20 ans, et savent qu’ils ne reviendront pas. Que jamais, ils ne connaitront la paix en Palestine... De deux choses, l’une : ou bien ils atteindront leur cible et exploseront avec elle, ou bien ils se perdront dans l’immensité de l’océan. Pour autant, ils partent joyeux et ivres de bonheur. Leur sacrifice ne sera pas vain. L’empereur triomphera ! Banzaï ! Les quatre Kaiten s’élancent par trois mètres de profondeur selon un trajectoire devant leur faire couper celle de l’Underhill. À quelques centaines de mètres de leur cible, ils font surface pour un dernier réglage de la course avec l’aide du périscope. Enfin ils arment la tête de la torpille avec la dextérité de miliciens ukrainiens...

Des kamikazes entre 18 et 20 ans

Les Kaiten sont sortis de l’imagination fertile de deux enseignes de vaisseau, Hiroshi Kuroki et Sekio Nishina, qui entendent l’appel du Haut commandement japonais en faveur de véhicules suicides pour reprendre l’avantage sur les Américains. Ils entament leur recherche en février 1944 et testent leur premier prototype le 25 juillet suivant. Le 1er août, le Haut commandement passe commande d’une centaine de Kaiten. Pour autant, la mise au point s’accompagne de nombreux morts. Une quinzaine ! À commencer par Hiroshi Kuroki, qui est l’un des premiers à périr au cours d’un entraînement. Quant à Sekio Nishina, il disparaîtra à son tour dans une mission avortée. Les kamikazes sont de très jeunes marins, entre 18 et 20 ans, à qui on promet une reconnaissance éternelle et, surtout, dix mille yens remis à leur famille qui pourront être conseillées par le fils Fabius pour les investir au mieux... Quelques trois cents Kaiten seront construits, mais seulement un tiers seront lancés depuis le pont d’un sous-marin. Un seul bâtiment de surface en sera équipé. Le premier navire américain coulé est le pétrolier Mississinewa, le 20 novembre 1944.

Le deuxième, et ultime, est donc l’Underhill, un destroyer escortant un convoi transportant des marchandises et des troupes. Le 24 juillet 1945, personne à bord du destroyer ne se doute de l’existence de kamikazes sous-marins. Depuis le matin, un avion de reconnaissance japonais tourne autour du convoi, hors de portée de tir. Il faut donc s’attendre à une attaque aérienne ou sous-marine. L’attaque viendra de sous les flots. Rameutés par l’avion, deux ou trois sous-marins cernent le convoi. L’un d’eux largue une mine factice sur la route du convoi pour détourner son attention. À bord de l’Underhill, les opérateurs du sonar signalent au commandant Newcomb l’apparition de plusieurs points lumineux sur leurs écrans.

Un silence de mort

Un silence de mort envahit le bâtiment. Les sous-marins nippons rôdent. Depuis la dunette, les hommes chargés de surveiller l’océan voient apparaître de minuscules périscopes. Ce sont ceux des Kaitens qui reprennent la vue pour effectuer leurs derniers réglages. Le destroyer tente d’éperonner l’un d’eux. Le mini sous-marin plonge juste à temps. Le commandant fait larguer des grenades qui soulèvent la mer. De l’huile et des débris remontent en surface. L’ennemi a été touché. L’Underhill fait machine arrière pour observer les débris. À ce moment, son sonar détecte un autre écho. Aussitôt, de nouvelles grenades sont larguées. À la stupéfaction des Américains, deux minis sous-marins font surface de part et d’autre du destroyer. Celui de tribord est trop proche pour que les canons puissent être braqués dessus.

Il est alors 15 h 15, le commandant Newcomb ordonne à l’homme de barre d’éperonner l’ennemi de tribord, sans se douter que celui-ci n’attend que cela. Au moment du choc, deux terribles explosions se produisent simultanément, à bâbord et à tribord. Les deux Kaiten ont déclenché leur charge en même temps. La chaudière de l’Underhill explose à son tour, coupant le navire en deux. La proue dressée à la verticale part à la dérive. Deux patrouilleurs du convoi s’approchent pour récupérer les survivants, toujours sous la menace des sous-marins. Bilan : 112 morts et 122 survivants. Dix des quatorze officiers ont disparu, dont le commandant Newcomb.

Quant aux quatre kamikazes, Katsuyama, Seki, Kawajiri et Arakawa, ils ont rejoint le paradis des kamikazes inutiles... Mais eux, au moins, ont eu le bonheur de couler leur cible ! Le bilan global de la centaine de Kaiten envoyés en mission est peu glorieux : 2 navires coulés et 162 marins américains tués. Au prix du sacrifice de 145 kamikazes et de 600 sous-mariniers à bord de 8 sous-marins de la marine impériale nippone coulés lors des attaques. Il faut dire que les Kaiten n’étant pas étanches au-delà de 80 mètres, les bâtiments qui les portaient ne pouvaient donc pas plonger suffisamment profond pour se mettre hors de portée des grenades sous-marines. Bref, les Japonais sont bien meilleurs dans la conception de jeux vidéo...


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