MosaikHub Magazine

13 juillet 1793. La Normande Charlotte Corday poignarde Marat dans sa baignoire.

lundi 13 juillet 2015

Avec un incroyable aplomb, la descendante du grand Corneille poignarde "la bête féroce" pour sauver la France.

Le samedi 13 juillet 1793, vers 11 h 30, une jeune femme descend d’un fiacre devant le 30 de la rue des Cordeliers, à Paris. Les cheveux châtain clair, les traits bien dessinés, la taille souple, elle pousse la porte d’un air décidé. L’allure martiale d’une Femen prête à faire prendre l’air à Orbi et Urbi dans la cathédrale de Notre Dame... Marie-Anne-Charlotte de Corday d’Armont, 24 ans, arrière-arrière-arrière-petite-fille du tragédien Corneille, a décidé de tuer la "bête féroce" qui martyrise le pays. C’est ainsi qu’elle désigne Jean-Paul Marat, 50 ans, médecin, physicien, rédacteur de L’Ami du peuple, et surtout député montagnard. Charlotte monte au premier étage, frappe à la porte et déclare vouloir parler au citoyen Marat sous prétexte de lui apprendre des choses fort intéressantes. Simone Évrard, la concubine du révolutionnaire, lui répond que c’est hors de question car Marat est malade. Bien que Charlotte insiste, Simone ne fléchit pas. "Mais quand faudra-t-il revenir ?" "Je ne peux vous assigner d’époque, ne sachant quand Marat sera rétabli", répond Simone en claquant la porte au nez de la visiteuse. Charlotte peste, elle n’a pas fait tout ce chemin depuis Caen pour renoncer. Autant demander à Fillon de s’effacer devant Sarko...

De retour à l’hôtel de la Providence où elle est descendue, Charlotte de Corday réclame du papier et une plume, puis se met à rédiger une missive destinée à Marat : "Je viens de Caen. Votre amour pour la patrie doit vous faire désirer de connaître les complots qu’on y médite. J’attends votre réponse." Tombera-t-il dans le piège ? Elle fait porter son mot et attend. Les heures tournent. N’y tenant plus, Charlotte décide de retourner au domicile de Marat. C’est que la demoiselle n’est pas du genre à reculer après avoir pris une décision. Une véritable petite Ségolène... Vers 20 heures, elle frappe de nouveau à la porte du député. Cette fois, c’est la concierge de la maison qui apparaît pour lui répéter qu’il n’est toujours pas visible. Charlotte insiste, élève la voix. Marat, assis dans sa fameuse baignoire sabot pour calmer ses irritations cutanées, ordonne qu’on laisse venir à lui cette emmerdeuse. Son bon coeur le perdra...

Mon Dieu ! Il est assassiné !

Présente dans la pièce, Simone se retire, laissant Charlotte seule avec Marat. Celle-ci s’assoit à la tête de la baignoire, derrière son occupant, de façon à ce qu’il ne puisse pas la voir. Il s’enquiert : "Que se passe-t-il à Caen ?" Elle lui fournit une liste des députés réfugiés dans la ville. "Ils ne tarderont pas à être guillotinés", répond-il. C’est alors qu’elle se lève, sort un couteau acheté le matin même pour 40 sous au Palais-Royal, chez Badin. Sans hésiter, elle le plonge sous la clavicule droite de Marat avec la maestria d’un boucher casher... La lame traverse les poumons avant de sectionner le tronc des carotides. Le révolutionnaire s’exclame : "À moi, ma chère amie, à moi !" avant d’expirer. La guillotine n’aurait pas été plus efficace.

Le sang continue à jaillir de la blessure, arrosant l’eau de la baignoire et le sol. Attirés par le cri, la cuisinière et un domestique se précipitent sur Charlotte qui se débat comme une diablesse. Simone découvre avec épouvante la baignoire : "Ah ! Mon Dieu, il est assassiné !" Puis s’empresse de prêter main-forte aux domestiques qui tentent en vain de maîtriser la meurtrière. Elle est déjà dans l’antichambre quand le domestique lui assène un coup de chaise sur la tête. La voilà groggy, mais elle se relève encore. Alors, fou de rage, l’homme l’attrape par les seins et lui file une véritable trempe. Calmée, la Charlotte.

"Quel tribunal me jugera ?"

Alertés par le remue-ménage, les voisins envahissent l’appartement. Un chirurgien-dentiste fait déposer le cadavre sur le lit, applique des compresses et laisse la place au chirurgien Pelletan, le même qui autopsiera deux ans plus tard Louis XVII, lequel confirme le trépas de Marat. Charlotte ne cherche plus à s’enfuir, on lui tient les poignets. Elle baisse la tête, craint que la foule de plus en plus nombreuse dans l’appartement ne la piétine à mort. Il y a du sang partout. Les visages sont sombres, la peur et la colère s’y disputent. Le commissaire du quartier arrive enfin, il fait passer la meurtrière dans le salon pour l’interroger.

Sans se faire prier, elle décline son identité. "Qui vous a déterminée à commettre cet assassinat ?" aboie le commissaire. "Ayant vu la guerre civile sur le point de s’allumer dans toute la France et persuadée que Marat était le principal auteur de ce désastre, j’ai préféré faire le sacrifice de ma vie pour sauver mon pays." Quelques jours plus tard, elle précisera au Tribunal révolutionnaire qu’elle avait cru tuer non pas un homme, "mais une bête féroce qui dévorait tous les Français". En la fouillant, on trouve sur elle une lettre qu’elle avait pris la précaution de rédiger au cas où elle n’aurait pas pu voir sa victime ce soir-là. "Je vous ai écrit ce matin, Marat, avez-vous reçu ma lettre ? Je ne puis le croire, puisqu’on m’a refusé votre porte ; j’espère que demain vous m’accorderez une entrevue. Je vous le répète, j’arrive de Caen ; j’ai à vous révéler les secrets les plus importants pour le salut de la République. D’ailleurs, je suis persécutée pour la cause de la liberté ; je suis malheureuse, il suffit que je le sois pour avoir droit à votre protection." Elle porte également sur elle une feuille pliée en huit dans laquelle elle détaille ses motivations. "Français ! Vous connaissez vos ennemis, levez-vous ! Marchez ! que la Montagne anéantie ne laisse plus des frères, des amis ! J’ignore si le ciel nous réserve un gouvernement républicain, mais il ne peut nous donner un montagnard pour maître que dans l’excès de ses vengeances [...] Ô, France ! Ton repos dépend de l’exécution des lois ; je n’y porte pas atteinte en tuant Marat : condamné par l’univers, il est hors la loi. Quel tribunal me jugera ? Si je suis coupable, Alcide l’était donc lorsqu’il détruisait les monstres !"

Adieu, mon cher papa

Vers minuit, Charlotte Corday est transférée en voiture à la prison de l’Abbaye. La populace massée sur le passage l’aurait déchiquetée si le commissaire ne l’avait pas fait reculer. Le lendemain, elle est conduite à la Conciergerie pour comparaître, deux jours plus tard, devant le Tribunal révolutionnaire. Comme on s’en doute, le procès est vite expédié. Le tribunal prend, cependant, le temps de lire le mot qu’elle a écrit à son père, dans sa cellule : "Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j’espérais garder l’incognito, mais j’en ai reconnu l’impossibilité. J’espère que vous ne serez point tourmenté. En tout cas, je crois que vous aurez des défenseurs à Caen. J’ai pris pour défenseur Gustave Doulcet : un tel attentat ne permet nulle défense, c’est pour la forme. Adieu, mon cher papa, je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort, la cause en est belle. J’embrasse ma soeur que j’aime de tout mon coeur, ainsi que tous mes parents. N’oubliez pas ce vers de Corneille : Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud ! C’est demain à huit heures qu’on me juge. Ce 16 juillet."

Le 17 juillet 1793, Charlotte est guillotinée. Un aide du bourreau, charpentier de métier, fervent admirateur de Marat, empoigne brutalement la tête par les cheveux. La montrant à la foule, il la soufflette violemment. Certains prétendent que le visage de la pauvre fille en rougit. Reste qu’en assassinant l’homme au sabot, elle ne met pas fin à la Terreur comme elle le projetait. Au contraire, son meurtre sert de prétexte à l’extermination des Girondins et de tous les opposants. Il parait qu’elle était blonde et pas châtain comme on l’a longtemps cru. Cela explique tout...


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie