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14 juin 1789. Après 47 jours dans un canot, Blight et 17 marins de la Bounty sont enfin sauvés.

dimanche 14 juin 2015

Les révoltés de la Bounty, menés par Fletcher, avaient jetés le commandant et ses fidèles dans une coque de noix.

Le 14 juin 1789, la poignée de Hollandais installés sur l’île de Timor assiste à l’accostage d’un minuscule canot dans lequel s’entassent dix-huit hommes à moitié morts. Mais d’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Est-ce des intermittents du spectacles virés de France par des spectateurs excédés ? Sans se poser davantage de questions, les membres de la petite colonie s’empressent de les accueillir.

Dès les premières paroles échangées, ils comprennent leur erreur. Les pauvres hères à bout de forces leur expliquent qu’ils ont été débarqués de leur navire par des mutins. Ce navire, c’est la Bounty, chargée de plants d’arbres à pain à destination des Antilles. Quand le lieutenant de vaisseau William Bligh (il ne sera nommé capitaine qu’à son retour en Angleterre), 44 ans, explique qu’ils viennent de naviguer durant 6 700 kilomètres dans une coquille de noix ouverte à tous les vents, les Hollandais croient à une blague. Survivre ainsi durant quarante-sept jours avec des rations quotidiennes à effrayer une anorexique, Mijn God !

L’épopée commence le 28 avril 1789 quand une partie de l’équipage de la Bounty, menée par l’enseigne de vaisseau Fletcher Christian, se mutine. Les marins accusent Bligh d’être trop dur avec eux, de confisquer le fromage et le pain pour sa seule table. Et de toujours leur hurler dessus ! C’est qu’ils n’ont jamais eu Valls pour ministre ! En comparaison, Bligh est doux comme un lapin. Quoi qu’il en soit, après avoir pris le pouvoir à bord, Christian ordonne au commandant d’embarquer à bord d’un canot de sauvetage en compagnie des officiers et des membres de l’équipage qui lui sont restés loyaux. Dix-huit officiers et marins en tout.

Souvenir du capitaine Cook

Le canot est tellement chargé que son franc-bord dépasse à peine des flots. C’est une folie. Mieux vaut encore partager un ascenseur avec Laurence Boccolini. Christian n’a pas le coeur de les chasser sans rien leur donner. Il leur octroie 75 kilos de pain sec et 16 kilos de porc salé. Sans compter six quarts de rhum, six bouteilles de vin, deux cent dix litres d’eau douce, quatre sabres, un livre de bord, un sextant et un compas. Mais ni boussole ni carte. Autant dire que Bligh et ses compagnons ont, a priori, peu de chances de survivre dans ce coin d’océan où chaque île recèle des sauvages prêts à découper en carpaccio tous les visiteurs. William Bligh le sait trop bien, lui qui était aux côtés du capitaine Cook, dix ans auparavant, quand celui-ci s’est fait massacrer par les Hawaïens. L’avantage, c’est qu’il connaît la zone et que son excellente mémoire lui permet de naviguer même sans carte.

Le lendemain de leur abandon, Bligh décide de débarquer sur l’île de Tofua, dans l’archipel Friendly (aujourd’hui les îles Tonga) pour compléter les provisions du bord avec des noix de coco et des fruits de l’arbre à pain. Mais l’île est difficile d’accès, et les noix de coco rares. Bientôt, des indigènes s’approchent, Bligh en reconnaît plusieurs rencontrés lors de son voyage avec Cook. Pour autant, l’ambiance est tendue. Visiblement, les îliens trament un mauvais coup. Le 2 mai, après avoir obtenu quelques maigres provisions, les Anglais parviennent à rembarquer avant le déclenchement de l’attaque.

Comprenant que leur casse-croûte s’échappe, les indigènes se ruent sur eux. Trop tard, les marins s’éloignent à bord du canot. "Je n’étais pas plus tôt dans le bateau que deux cents hommes passèrent à l’attaque ; [...] et les pierres plurent comme une douche", écrit Bligh dans son journal de bord. Seul le quartier-maître John Norton s’écroule sur la plage, mortellement atteint. Les indigènes sautent alors dans une grande pirogue pour poursuivre les Anglais sur lesquels ils balancent de grosses pierres pour tenter de les blesser. Finalement, Bligh parvient à détourner leur attention en jetant à l’eau des habits qu’ils se disputent.

Tempête

Échaudé par une si aimable hospitalité, Bligh décide de mettre le cap sur le plus proche établissement européen, situé sur l’île de Timor. À plus de 6 000 kilomètres ! Malgré le défi insensé que cela représente, l’équipage approuve. Mieux vaut tenter le diable que de traverser l’oesophage d’un sauvage. Cap à l’ouest ! Les marins disposent d’une petite voile et de rames. Hardi, les gars ! Ils punaisent une photo d’Hugues Aufray sur le mât.

Pour épargner les réserves de nourriture, Bligh octroie à chacun 60 grammes de biscuits et un quart de litre d’eau par jour, utilisant une balance bricolée avec des coques de noix de coco pour peser les portions. La pêche ne donne rien. Un jour, ils attrapent un oiseau qu’ils dévorent cru. Dès le 3 mai, le canot est pris dans une gigantesque tempête. Bligh fait balancer par-dessus bord tout le superflu pour alléger le canot. Chaque homme n’a le droit de conserver que deux tenues. Ils réchappent de la tempête par miracle, mais ils doivent écoper tout le reste de la croisière. Le canot étant trop petit pour que tout le monde puisse s’allonger en même temps, il faut organiser des tours pour dormir. Le 24 mai, Bligh constate qu’il reste 29 jours de vivres, c’est théoriquement suffisant pour rallier Timor, mais, à titre de précaution, il diminue les rations pour qu’elles durent 43 jours. Un marin attrape un oiseau de la taille d’un petit pigeon qui est partagé en 18 portions, entrailles comprises. Plus tard, un plus gros volatile est attrapé dont le sang est donné aux trois marins les plus faibles.

Le 28 mai, Bligh se résout à débarquer sur une île pour faire provision d’eau et ramasser des huîtres. L’escale dure deux jours. "À quatre heures, nous étions sur le point d’embarquer quand une vingtaine de natifs apparurent, courant vers nous et nous saluant de la main, depuis l’autre rive. Ils étaient tous armés d’une lance et d’une courte arme qu’ils tenaient dans leur main gauche ; ils nous faisaient signe de venir vers eux." Bligh préfère se sauver. Au cours des jours suivants, les naufragés s’arrêtent sur d’autres îles pour faire le plein d’huîtres.

Paludisme

Enfin, le vendredi 12 juin, à 3 heures du matin, l’île de Timor se profile à l’horizon. "Ce n’est pas possible pour moi de décrire la joie qui nous a remplis à la vue de cette terre." Deux jours plus tard, ils atteignent l’établissement néerlandais de Kupang, après 6 701 kilomètres accomplis en quarante et un jours. Quatre hommes meurent peu après le débarquement, victimes de leur faiblesse et des fièvres tropicales. Parmi eux, le botaniste David Nelson s’éteint probablement du paludisme.

Un mois plus tard, les rescapés partent à bord d’un schooner acheté par Bligh. Mais Kupang n’en a pas fini avec la Bounty. Deux ans plus tard, le 16 septembre 1791, la colonie hollandaise voit débarquer, cette fois, de vrais naufragés : ceux de la frégate Pandora envoyée par l’amirauté britannique à la poursuite des mutins. Parmi les rescapés, il y a 89 hommes d’équipage, dont 10 mutins de la Bounty ! Et, pendant ce temps, les planteurs des Antilles attendent toujours les plants d’arbres à pain pour nourrir à bas coût leurs esclaves.


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