MosaikHub Magazine

Au Pakistan, l’inquiétant essor d’un petit frère de l’Etat islamique

dimanche 7 juin 2015

Derrière la première attaque revendiquée par l’Etat islamique au Pakistan, le mois dernier à Karachi, pointe l’ombre du LeJ, un groupe armé anti-chiite local dont les autorités craignent qu’il ne soit la tête de pont de l’expansion du "califat" jihadiste dans le pays.

Le 13 mai à Karachi, la mégalopole du sud pakistanais, plusieurs hommes armés ont pris d’assaut un bus peuplé d’ismaéliens, membres de la minorité chiite, et exécuté 45 d’entre eux.

Elle a été officiellement revendiquée par l’Etat islamique (EI), une première pour une attaque au Pakistan, à des milliers de km de la base du "califat" en Irak et en Syrie.

Le gouvernement pakistanais, déjà confronté depuis plus de dix ans chez lui à d’autre groupes armés islamistes, les talibans et Al-Qaïda, a toujours nié toute présence de l’EI sur son territoire.

A Karachi, des enquêteurs estiment que l’attaque du bus a été échafaudée et menée par le Lashkar-e-Jhangvi (LeJ). Ce mouvement extrémiste sunnite est connu comme le principal groupe armé "tueur de chiites" du Pakistan, auteur des attentats les plus sanglants perpétrés contre cette minorité (qui représente environ 20% de la population en majorité sunnite) ces dernières années.

"L’un des suspects (de l’attaque du bus) arrêté a des liens avec le LeJ", déclare à l’AFP l’un des enquêteurs sous couvert d’anonymat. Selon plusieurs enquêteurs, le LeJ a perpétré cette attaque très médiatisée "pour attirer l’attention de l’EI et son soutien financier".

- Jihadistes de retour -

Selon un cadre des services de renseignement qui suit depuis plusieurs années le LeJ, celui-ci, né dans le sud du Pendjab, la province la plus riche et la plus peuplée du pays, a envoyé ces dernières années plusieurs centaines de combattants, "la plupart issus de la classe moyenne et éduqués", en Syrie et en Irak.

Selon plusieurs sources, au sein des services de sécurité comme de la nébuleuse islamiste, une partie est ensuite revenue au Pakistan très inspirée par l’EI, et a commencé à travailler avec d’autres jeunes locaux, eux aussi issus de la classe moyenne éduquée, pour tenter de faire flotter le drapeau noir du "califat" au Pakistan.

Selon un ancien membre du LeJ, c’est l’EI et le Moyen-Orient, et non plus les talibans et Al-Qaïda, qui attirent le plus aujourd’hui les jeunes rebelles pakistanais prêts à en découdre.

"Contrairement à ce qui se passait avant, ce sont les informations en provenance de Syrie, d’Irak et du Yémen qui sont les plus partagées et débattues sur les forums jihadistes en ligne du Pakistan", souligne-t-il.

Pour Amir Rana, spécialiste pakistanais des questions de sécurité, le LeJ a des combattants en Irak depuis 2013, et même un camp d’entraînement là-bas. "Des Pakistanais ont participé à l’EI depuis sa création", dit-il, en soulignant la très grande "proximité idéologique" entre LeJ et EI, tous deux très anti-chiites.

Dès lors, la principale menace pour le Pakistan "sont ces combattants du LeJ qui reviennent d’Irak et de Syrie, car ils pourraient y alimenter les violences sectaires" contre les minorités, note-t-il.

Selon un cadre des services de sécurité pakistanais, le LeJ, qui fut également réputé très proche d’Al-Qaïda par le passé, cherche aujourd’hui à étendre ses opérations, à passer "du statut de groupe armé local anti-chiite à celui de réseau transnational".

- Des jihadistes de plus en plus instruits -

Le Lej est fortement soupçonné d’avoir perpétré ces dernières années un rare et sanglant attentat anti-chiite en Afghanistan fin 2011, et d’autres attaques meurtrières contre les minorités musulmane, chrétienne et hindoue au Pakistan.

"Nous avons des preuves que ces deux dernières années, le LeJ a été impliqué dans des attaques contre les minorités dans certaines villes, notamment Karachi, même s’il ne les a pas revendiquées", ajoute le responsable sécuritaire.

Selon lui, le LeJ maintient un réseau clandestin très atomisé et étanche, où les membres d’une cellule ne connaissent pas ceux des autres, et qui sous-traite parfois à des combattants extérieurs.

Le 20 mai, le gouvernement provincial du Sind, dont Karachi et la capitale, a annoncé de premières arrestations dans l’affaire de l’attaque contre le bus d’Ismaéliens : quatre suspects "très éduqués" qui auraient avoué leur implication, dont un diplômé de la plus prestigieuse école de commerce du pays, l’IBA de Karachi.

Ces annonces ont surpris au Pakistan, davantage habitué à des attaques menées par des rebelles issus des classes pauvres.

"Ces jihadistes instruits vivent normalement dans la société, en nourrissant leur idéologie (extrémiste) sur internet, c’est pour cela qu’il est difficile de les repérer", explique un responsable des services de renseignement. Et le conflit syrien et ses lignes confessionnelles (sunnites contre chiites) a tout particulièrement contribué à radicaliser de plus en plus de jeunes très instruits, note un de ses collègues.

07/06/2015 18:11:59 - Karachi (AFP) - Par Gohar ABBAS - © 2015 AFP


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie