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4 juin 1896. Henry Ford teste sa première voiture construite au fond de son jardin

jeudi 4 juin 2015

Sachant à peine lire et écrire, il confectionne un quadricycle avec des roues de vélo et un moteur à essence.


Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Il est 4 heures du matin. Paresseux, le soleil se prélasse encore au lit. Deux ombres se glissent dans l’appentis d’une maison située sur Bagley Avenue, à Detroit. Elles s’affairent sur un engin bizarre perché sur quatre roues de bicyclette, puis le pousse vers la porte. Boum, l’engin heurte le chambranle ! Les deux hommes tentent de nouveau une sortie. Nouvel échec. Incrédules, ils s’aperçoivent que la porte est trop étroite. Mais quels cons ! Voilà plusieurs mois qu’ils fabriquent leur véhicule sans avoir vérifié ses dimensions. Henry Ford, 32 ans, et ami James Bishop ne veulent pas le croire. Le futur inventeur du travail à la chaîne incapable de prévoir un détail aussi basique ! Jean-François Copé qui passe par là les rassure : "Tout le monde peut faire des erreurs. Moi, j’ai bien pris les Français pour des cons... " Voilà les deux hommes obligés d’élargir l’ouverture à la hache.

Le quadricycle est enfin transporté dans la rue. Il est temps de faire le premier essai avant qu’il n’y ait trop de monde. Vêtu d’une vieille salopette, Henry Ford se penche sur l’avant de son invention où, durant quelques minutes, il manipule des leviers et un volant métallique. Une pétarade déchire soudainement le silence de la nuit. Le soleil ouvre un oeil, furieux d’être réveillé de si bon matin. Le moteur hoquette, puis se rendort. Henry continue à s’activer. Cette fois, la pétarade s’élève, plus ferme. Henry se hisse sur le siège fabriqué avec une caisse en bois recouverte de tissu. Il prend entre ses mains la longue tige métallique permettant de braquer les deux roues avant. Il esquisse un léger sourire à l’adresse de Bishop avant de pousser une manette. Le quadricycle s’ébroue, avance d’un centimètre, puis de dix et de cent. En voiture, Simone ! La première automobile fabriquée par Henry Ford roule !

Vitesse vertigineuse de... 8 km/h

Aussitôt, Bishop saute sur une bicyclette pour lui ouvrir le chemin. En faisant des signes de la main, il écarte les rares attelages et les passants déjà dans la rue à cette heure matinale. Après une première panne vite réparée, le quadricycle dévale la Grand River Avenue, puis parcourt plusieurs rues avant de revenir à son point de départ. Ford dispose de deux vitesses qui lui permettent de pousser des pointes jusqu’à 35 km/h, il n’a ni marche arrière ni frein, mais une sonnette de maison en guise d’avertisseur. Le moteur à essence transmet la force motrice aux roues par l’intermédiaire d’une simple chaîne de vélo. De retour à l’appentis, Henry est fier, très fier : lui, le p’tit gars de la campagne, il a su fabriquer un véhicule à essence fonctionnant à merveille ! N’allons pas lui gâcher sa journée en lui racontant que la bagnole se révélera à la fin du siècle suivant une machine infernale qui pollue, réchauffe la planète et tue les gens par millions...

La passion de la mécanique a gagné ce fils de paysan dès sa plus tendre enfance. À 15 ans, déjà en rupture avec l’école (il ne saura jamais écrire ni lire couramment), Ford construit sa première machine à vapeur. Lorsqu’il fabrique le quadricycle, Ford est déjà devenu chef ingénieur chez Edison Illuminating Company, à Detroit, où il est chargé d’assurer la maintenance des machines à vapeur pour 75 dollars par mois. Un bon salaire et pas mal de temps libre, qu’il consacre à la mise au point de moteurs à essence. Il fait fonctionner le premier le 24 décembre 1893, dans l’évier de sa femme, Clara. L’engin tourne moins d’une minute, mais c’est suffisant pour qu’il comprenne qu’il a trouvé sa vocation.

Désormais, il passe tout son temps libre dans le petit appentis qu’il a bâti au fond de son jardin. En novembre 1895, il lit dans l’American Machinist Magazine un article consacré à un véhicule actionné par un moteur à essence. Il décide d’en réaliser un à son tour. En mars 1896, il apprend alors qu’un autre ingénieur de Detroit a déjà fabriqué sa propre machine roulante avec une armature en bois, qui atteint la vitesse vertigineuse de 8 km/h. Henry souhaite faire mieux. Sa voiture sera plus légère, plus puissante et plus rapide.

"Jeune homme, vous tenez le truc !"

Il convainc une poignée d’amis, dont Bishop, de lui donner un coup de main. Ils testent une grande variété de moteurs à essence pour trouver le plus efficace. Pour alléger le véhicule, Ford choisit d’utiliser l’acier plutôt que le bois. Le moteur qu’il fabrique est un deux-cylindres d’une puissance de quatre chevaux, refroidi par l’eau. Quelques mois après les premiers tours de roue du quadricycle, il rencontre Thomas Edison, lors d’une convention à New York, qui l’encourage : "Jeune homme, vous tenez le truc ! Votre véhicule est autonome et transporte sa propre source d’énergie." La suite de l’histoire fait partie de la légende Ford.

En juillet 1899, il rencontre un riche marchand de bois, William H. Murphy, qu’il convainc de le financer après lui avoir fait faire un tour sur son quadricycle : 100 kilomètres en trois heures et demie. Ensemble, ils fondent, le 5 août 1899, la Detroit Automobile Company, pour fabriquer des camions de livraison. Mais, perfectionniste dans l’âme, Ford prend beaucoup de temps pour mettre au point son véhicule, au grand dam de son investisseur. Finalement, le premier camion est proposé à la vente en janvier 1900, mais il est lourd et compliqué à fabriquer. Les deux associés doivent mettre la clef sous la porte en décembre 1901, après la fabrication de seulement vingt camions. En 1903, ayant trouvé d’autres investisseurs, Ford et Murphy fondent la Henry Ford Company, qui bientôt multipliera les voitures comme Jésus les petits pains.


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