MosaikHub Magazine

Et Dany devient Laferrière

mardi 26 mai 2015

Cela s’est passé en une ou deux phrases, tout de suite après le séisme du 12 janvier 2010. Le sol tremble encore, les hommes aussi, quand un journaliste tend une question à Dany Laferrière que la catastrophe a surpris en Haïti, dans les murs de l’hôtel Karibe. L’écrivain, homme de média chevronné, trouve instantanément les formules justes et fortes qui disent ce que ni le président, ni le Premier ministre, ni aucune autorité religieuse, morale, intellectuelle ou artistique indigène n’énoncera, même des mois après. Dany, en quelques mots bien choisis, colore le drame de tous les Haïtiens d’espoir, met un digne linceul sur nos souffrances. Il est inspiré, le petit-fils de Da, comme souvent il peut l’être. Personnalité connue, là pour participer à la version haïtienne d’Etonnants voyageurs, Dany est parmi les rares Haïtiens en position de donner la voix qui n’est pas directement affecté par le drame, qui ne s’est pas laissé abattre. Les autres, écrivains, autorités, porte-paroles de toutes les causes, sont occupés à fouiller les décombres, à secourir des victimes, à courir après leur bon sens et les âmes envolées en ce début de janvier sanglant. Pendant que Port-au-Prince peine à enterrer ses morts, Dany enchaîne les interviews. Il fait au malheur ambiant une contre affiche. Erige ses mots en barricades. Il est seul et suffit à la cause. Heureusement qu’il est là Dany, debout, vaillant, les mots plein la bouche et heureusement qu’il a vu de ses yeux la catastrophe, le désastre, ce pays sans barre de direction. Il prend toute la mesure de son devoir, de son moment, de ses responsabilités. Alors que nous vivotons, encore plus mal que d’habitude en ce mois de janvier 2010, Dany est flamboyant. Les Canadiens le font rapatrier, il continue à parler. Il occupe la scène médiatique pour le meilleur, car déjà les reportages des pilleurs de tragédie nous recouvrent du drap qu’on offre aux orphelins de la mondialisation médiatique. C’est sorti des décombres du désastre du 12 janvier 2010, à Port-au-Prince, que Dany est devenu Laferrière, notre citadelle. Celui qui nous a défendûs quand on était plus bas que terre. Celui qui entre à l’Académie française cette semaine n’y entre pas pour son style particulier de chroniqueur de l’Amérique, pour son éloge permanent de la paresse, pour Petit-Goâve et sa grand-mère élevée au rang de personnages de roman, pour son amour pour Borges ou son « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » et autres titres accrocheurs. Ce n’est pas le Dany de radio Canada, ce n’est ni le Québécois, ni le Canadien, ni le Japonais qui sont en lui qui lui ouvrent la porte et le glissent sous la coupole du Quai Conti. C’est le Dany Laferrière, pur produit de Port-au-Prince, conteur, maître du verbe, le journaliste, le subversif de ses débuts dans l’Haïti des années 70, celui qui est parti la peur au ventre après l’assassinat de son ami Gasner Raymond, celui qui a su gueuler la désespérance et l’espoir après le 12 janvier, qui entre à l’Académie française. C’est le porte-parole du malheur, de la joie, de l’insouciance du peuple haïtien qui entre à l’Académie française faire une place à l’écrivain. Bon vent, Monsieur Laferrière, que Dany vous accompagne, Da et les anges et les saints du 12 janvier aussi. - See more at : http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/145267/Et-Dany-devient-Laferriere#sthash.cu08DG3v.dpuf


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