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Deux bébés nés siamois séparés à Mirebalais

mardi 26 mai 2015

Deux fillettes nées siamoises du côté de l’ombilic le 24 novembre 2014 ont été séparées le vendredi 22 mai à l’Hôpital universitaire de Mirebalais (HUM) après une longue opération minutieusement menée par une équipe de spécialistes haïtiens et étrangers, sous le leadership du chirurgien pédiatre Henri Ford. Retour sur les temps forts de cet événement hors du commun dans l’histoire médicale haïtienne. -

Vendredi 22 mai 2015. L’ambiance est comme à l’accoutumée dans les parages de l’Hôpital universitaire de Mirebalais, un site de Zanmi Lasante. Dehors, en face de l’HUM, l’atmosphère est partagée entre, notamment le va-et-vient des chauffeurs de taxis motos et le bourdonnement des marchands de fritures, de restauration rapide. Tandis qu’à l’intérieur, dans la grande salle d’attente ou devant les différents services, des patients attendent placidement de voir leurs médecins. Cependant, ce qui va se passer à la salle d’opération de cette jeune institution sanitaire possédant des équipements de dernier cri n’a rien d’habituel dans l’histoire de la médecine en Haïti. Deux fillettes, partageant le même foie et une bonne partie de leur corps, au niveau de l’abdomen, vont être séparées, six mois après leur naissance. Il était 9 h 58 lorsqu’on a introduit les deux fillettes siamoises dans la salle d’opération. A leur chevet, plus d’une vingtaine de spécialistes venus de différents hôpitaux du pays et des Etats-Unis, dont les Centres Gheskio, l’hôpital Bernard Mews, Children’s Hospital de Los Angeles, Florida Hospital, Cornell Weil Hospital, Children’s Hospital de Oakland et Boston Children. Mais l’équipe au complet mobilisée pour l’événement est composée de plus d’une quarantaine de membres partagée, entre autres, entre des chirurgiens, des pédiatres, des chirurgiens pédiatres, des plasticiens, des anesthésistes, des psychiatres et des infirmières. Dans une salle adjacente, Manoucheka et David Bernard, les parents, assistés d’une psychiatre, retiennent leur respiration. L’inquiétude est au rendez-vous. Manoucheka, (cette mère qui avait enfanté une triplée, dont deux siamoises, le 24 novembres 2014 dans le même hôpital), le sanglot dans la voix, n’arrive presque pas à exprimer ses sentiments. De ses mains, elle essaie vainement de stopper des larmes qui dégoulinent sur son visage. « C’est un moment vraiment tragique pour nous, confie David Bernard, le père des enfants. C’est dur mais nous ne pouvons qu’accepter cette opération pour le bien de nos enfants », explique David, visiblement optimiste. Tandis qu’à l’étage, une quarantaine de résidents et d’employés de l’institution assistent à l’opération dans une grande salle de réunion via deux grands écrans. Un journaliste du CBS, le Dr Lapook, a fait le déplacement pour l’événement. 13 h 15. C’est le moment tant attendu de l’opération. Les médecins commencent à séparer les bébés. Depuis les grands écrans, on pouvait voir les chirurgiens, munis de bistouris, entre autres instruments, séparer avec minutie la peau, l’épiderme puis le foie des bébés. Ensuite, avec leurs mains gantées, ils séparent les intestins, …, et font en sorte que chaque corps ait tous ses organes. Dans moins de deux heures plus tard, l’incision a déjà pris fin. On met chaque enfant sur un lit séparément et l’équipe se divise en deux groupes pour les coudre. 4 h 44, les médecins s’applaudissent, se donnent des accolades. Signe que tout s’est très bien passé. C’est la fin de l’opération des siamoises qui a débuté à 8h a.m. Lorsqu’on a annoncé la bonne nouvelle à Manoucheka Bernard, un large sourire se dessine sur son visage. Soudain, ses larmes de tristesse se muent en joie. Lui et son mari en profitent pour remercier les personnes et les institutions qui ont contribué à la réussite de l’opération de séparation de leurs deux bébés siamois. « L’opération est réussie à 100 %. Les fillettes sont actuellement en soins intensifs et dans 8 à 10 jours nous pourrons les remettre à leurs parents, s’il n’y a pas de complication », déclare, quelques minutes après, le Dr Mac Lee Jean Louis, chef de service du département de chirurgie de l’HUM, aux deux médias déplacés pour l’événement à la demande des parents. Il a en outre affirmé que les bébés sont placés en conditions pour que l’étape postopératoire soit également un succès. En ce qui a trait à la batterie de spécialistes déployés pour l’événement, le Dr Jean Louis fait savoir que, vu que c’est la première fois qu’ils réalisent une telle opération, ils étaient obligés de faire appel à d’autres spécialistes haïtiens et étrangers. « Seuls, ajoute-t-il, nous n’aurions pas pu la faire. De plus, pour faire une opération pareille, on doit en avoir l’habitude. Même aux Etats-Unis, c’est généralement les mêmes équipes qui les réalisent. On intègre parfois des chirurgiens pour assurer la relève », a expliqué celui qui a travaillé pendant 30 ans aux Etats-Unis comme chirurgien avant d’assumer la responsabilité du département de chirurgie à l’HUM. Une opération soigneusement préparée et planifiée Selon les Dr Bitar de Bernard Mews, les préparations de l’opération ne commencent pas le jour de l’événement. « C’est une expérience que nous vivons depuis six mois…, poursuivent-ils. Nous y avons participé parce qu’en fin de compte, un seul chirurgien ne peut pas faire ce type d’opération, qui exige en outre plusieurs spécialités », soulignent les jumeaux chirurgiens, qui souhaitent la continuité de ce partenariat, ainsi qu’un budget beaucoup plus adapté aux besoins du système de santé du pays. Par ailleurs, le Dr Millien Christophe, chef de service d’obstétrique et de gynécologie à l’HUM, a fait savoir que le service de pédiatrie de l’HUM a assuré complètement la prise en charge des bébés six mois après leur naissance, notant que tout a été gratuit pour leurs parents depuis le premier jour où ils sont venus à l’hôpital. « Nous avons maintenu la mère à l’hôpital pour pouvoir suivre les enfants, affirme le Dr Christohe. Nous leur avons ensuite loué un appartement pour se loger parce qu’ils viennent de Port-au-Prince… » De son côté, le chirurgien pédiatre Henri Ford, responsable d’un hôpital pour enfants à Los Angeles, indique que les préparations pour cette opération ont commencé en septembre 2014, date à laquelle l’HUM l’avait contacté pour l’opération, bien avant l’accouchement (par césarienne). Il explique avoir fait plusieurs voyages dans le pays pour suivre les bébés et planifier l’opération, profitant de chaque occasion pour partager sa connaissance avec les jeunes chirurgiens du pays. Selon le Dr Ford, qui a assuré le leadership de l’opération, pour transférer les enfants à Los Angeles, où il travaille, en vue de les opérer, cela coûterait près de 500 000 dollars américains. Une somme qui serait très difficile à mobiliser pour l’hôpital, encore plus pour les parents, fait-il remarquer. « C’est pourquoi j’ai travaillé avec les responsables de l’HUM pour voir dans quelle mesure nous pouvions la faire ici même. » « J’étais sous la pression, a en outre confié Henri Ford, qui affirme avoir quitté le pays avant l’âge de 14 ans pour aller vivre aux Etats-Unis. Malgré mon experience, j’avais vraiment peur, pensant à comment les gens allaient critiquer cette décision au cas où cela tournait mal. Mais grâce à Dieu, cela a valu la peine. L’opération s’est passée d’une façon spectaculaire et miraculeuse. Je ne peux pas vous dire combien je suis content de voir les bébés dormir dans des berceaux séparés pour la première fois de leur vie. C’est une victoire non seulement pour les enfants et leurs parents, mais aussi pour l’HUM et pour le peuple haïtien parce que je sais que tout le monde se réjouit de ce qu’une opération aussi formidable puisse être réalisée dans notre pays… », a longuement expliqué le chirurgien pédiatre, qui croit que les Haïtiens de la diaspora doivent s’impliquer davantage dans le développement du pays. -


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