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26 mai 1755. Le bandit Louis Mandrin est roué vif à Valence après sa capture en Savoie.

mardi 26 mai 2015

À la tête de 500 fusiliers déguisés en paysans, le capitaine La Morlière enlève le contrebandier dans son repaire savoyard.

Le lundi 26 mai 1755, le greffier du tribunal de Valence pénètre avec gravité dans la cellule de Louis Mandrin, le plus célèbre contrebandier du royaume de France. Celui qui depuis des années introduit en fraude des montagnes de tabac. Le fonctionnaire salue le détenu avant de lui lire la sentence du tribunal qui le condamne au supplice de la roue. C’était couru d’avance. Même s’il avait juré au tribunal que, dorénavant, il n’importerait plus que des cigarettes électroniques de Chine. Louis Mandrin, 30 ans, sait qu’il n’avait aucune pitié à attendre de la justice. Depuis plusieurs années, il a importé tellement de marchandises en fraude que les fermiers généraux, qui voient s’envoler les taxes perçues sur le tabac, le sel et autres marchandises, veulent sa peau. À l’époque, la justice est légèrement plus expéditive qu’aujourd’hui. Pas de Taubira pour sortir son mouchoir à chaque mise en examen. L’exécution de la sentence est immédiate. Vers 17 heures, les soldats viennent chercher le condamné, lui font enfiler une longue chemise blanche, lui passent une corde autours du cou et porter un écriteau sur la poitrine portant la mention "Chef des contrebandiers, criminel de lèse-majesté, assassin, voleur et trouble de l’ordre public".

Entouré de soldats, accompagné par un moine confesseur, tenant à la main une grosse torche de cire ardente, Mandrin est conduit jusqu’au parvis de la principale église de Valence. Conformément au programme arrêté, il dénonce ses crimes à haute voix, demande pardon au roi et à Dieu. Direction : la place des Clercs, où il doit donner sa dernière représentation. Il a le trac, mais parvient à le cacher. Il marche la tête haute, le regard est ferme. Il parvient à destination encore plus vif que mort, mais pas pour bien longtemps. Aujourd’hui, on joue à guichet fermé : il y a tellement de monde que même les toits sont pris d’assaut. Des gradins provisoires, certainement plus solides qu’à Bastia, ont été montés pour l’occasion. Les places vendues 12 sous s’envolent comme des petits pains. Par mesure de sécurité, des patrouilles circulent dans les rues de Valence et les portes de la ville sont fermées. Pas question que des complices viennent enlever le seul acteur de ce drame.

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Clou du spectacle

D’un pas assuré, Louis Mandrin monte sur l’échafaud. Il avale d’un trait le verre d’alcool présenté par un aide du bourreau. Son confesseur Gasparini en réclame un à son tour, car il se sent proche de défaillir. Le condamné prend la parole une dernière fois pour regretter ses actes de brigandage et inviter la jeunesse à ne pas suivre son mauvais exemple. Tu parles... Lié à la roue, Mandrin reçoit huit vigoureux coups de barre de fer sur les membres et le ventre. Ses os cassent comme du bois sec. Ferait-il de l’ostéoporose ? Quoi qu’il en soit, il souffre comme un damné. Le bourreau lève la roue pour que chacun puisse admirer son oeuvre. Normalement, le supplicié est exposé jusqu’au moment où il juge utile de rendre son âme à Dieu. Certains résistent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Dans le cas de Mandrin, l’évêque de Valence craque au bout de huit minutes. Compte tenu des regrets exprimés par Mandrin, il demande au bourreau de l’étrangler pour abréger ses souffrances. La foule siffle de dépit. Ainsi meurt Louis Mandrin, le plus grand contrebandier de tous les temps. Son corps sans vie est accroché au gibet.

Mais a-t-on châtié le véritable malandrin dans cette affaire ? Les véritables coupables de vol, ne sont-ce pas ces grands fermiers généraux qui empochent la plus grande partie des taxes perçues sur le sel, le tabac et les autres marchandises au nom du roi ? En effet, pas plus de la moitié, du tiers ou même du quart des sommes collectées aboutissent au Trésor royal. Le reste est conservé par les grands fermiers généraux. Ces détournements monstrueux conduiront, quelques décennies plus tard, à la Révolution française. En avance sur son temps, Mandrin est simplement coupable d’avoir voulu voler plus gros voleur que lui, en organisant son propre réseau d’importation de marchandises. Comment en est-il arrivé là ? En 1725, il part pourtant d’un bon pied dans la vie puisque son paternel est un marchand aisé de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs dans le Dauphiné. Mais celui-ci meurt quand Louis n’a que 17 ans. Courageusement, il reprend le commerce de son père pour nourrir sa famille.

"Passant, raconte à tes semblables..."

Tout commence à déraper à 23 ans quand il passe un contrat avec la Ferme générale pour ravitailler l’armée française bataillant en Italie. Lors de la traversée des Alpes avec "100 mulets moins 3", il affronte de terribles conditions climatiques qui lui font perdre 83 mules. Il est ruiné, car la Ferme générale insensible à ses malheurs refuse de régler, malgré tout, la facture. Quelques années plus tard, son frère cadet est pendu pour faux-monnayage et lui-même est recherché pour meurtre. Dès lors, Mandrin rejoint une bande de contrebandiers dont il prend vite la tête. Pour se mettre à l’abri des fermiers généraux, il installe son PC hors des frontières, dans les États de Savoie, d’où il dirige d’une main de fer son organisation qui compte bientôt plusieurs centaines d’hommes. Mandrin achète tabac, étoffes et autres marchandises en Suisse et en Savoie, qu’il revend directement dans les villes françaises en court-circuitant la Ferme générale et ses taxes. Autant dire que celle-ci est folle furieuse. D’autant que Mandrin se fout carrément de sa gueule en obligeant les employés de la Ferme à acheter ses marchandises sous la menace de ses armes. Il faut en finir. Les fermiers généraux font appel à l’armée pour le mettre hors d’état de nuire.

Mandrin est un malin. Il reste en Savoie hors de portée de l’armée française. Mais c’est sans compter sur l’obstination du capitaine La Morlière, chargé de le capturer. Celui-ci décide de traverser la frontière pour capturer sa proie au nid. Le 12 mai, à la tête de 500 fusiliers déguisés en paysans, La Morlière s’avance en pays savoyard jusqu’au château de Rochefort-en-Novalaise, le repaire de Mandrin. Profitant de la trahison de deux contrebandiers, la troupe pénètre dans la bâtisse, abat d’une balle dans la tête le bailli et saisit Mandrin dans sa chambre malgré sa vaillante défense. Le contrebandier et trois de ses lieutenants sont ramenés manu militari à Valence pour y être emprisonnés et jugés. Averti du rapt, le roi de Sardaigne, à qui appartient la Savoie, exige de Louis XV que le prisonnier lui soit rendu. Celui-ci va devoir s’exécuter, mais sa décision intervient trop tard, après l’exécution de Mandrin. Sentant que leur ennemi allait leur échapper, les fermiers généraux avaient expédié le procès le 24 mai 1755, puis programmé l’exécution deux jours plus tard. Ainsi meurt le roi de la contrebande. Pendant trois jours, une foule défile devant son corps accroché au gibet pour lui rendre hommage tant sa popularité est grande. Certains accrochent des épitaphes. L’une d’elles dit :

"Passant, raconte à tes semblables que Mandrin, dont tu vois les os,

Par des forfaits inconcevables

Fut égal à plus d’un héros,

Qu’il régna dans la contrebande,

Qu’il mourut sur un échafaud,

Que pour la gloire de sa bande, Mandrin régna trop tard, ou qu’il mourut trop tôt."


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