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23 mai 1920. Le président Deschanel chute sur la voie en ouvrant la fenêtre de son compartiment

samedi 23 mai 2015

Même pas blessé, le président est retrouvé par un cheminot qui le ramène chez lui, le prenant pour un ivrogne

Le 23 mai 1920, vers 21 h 20, le président de la République Paul Deschanel embarque à bord du train présidentiel à la gare de Lyon pour se rendre à Montbrison, où il est attendu pour assister à l’inauguration d’un monument. Quoique grippé, il tient à effectuer le déplacement. Vers 21 h 45, il quitte le salon de la voiture spécialement aménagée pour les déplacements officiels afin de se coucher dans la minuscule chambre mise à sa disposition. Malgré la chaleur étouffante, il demande à son valet de laisser les deux fenêtres à guillotine fermées. Il craint d’attraper froid. Il avale un cachet pour dormir, puis donne la consigne d’attendre 7 heures pour le réveiller. Il se met en pyjama, se glisse dans le lit et s’endort heureux comme un Hollande persuadé de renverser la tendance économique...

Une heure plus tard, Deschanel est réveillé par lla chaleur devenue suffocante. Il décide d’ouvrir une des deux fenêtres à guillotine. À moitié dans le coaltar, il commence par baisser la partie inférieure. Une particularité de ces deux fenêtres est de s’ouvrir également vers le bas pour permettre au président de se pencher hors de la voiture de façon à pouvoir serrer la main aux personnes venues l’attendre dans les gares sans avoir à descendre du train. Le président s’acharne maintenant à relever la partie supérieure de la fenêtre. Comme celle-ci résiste, il tire, pousse... Elle se relève brutalement. Privé soudain de point d’appui, le président bascule dans le vide. Double chance : le train roule lentement et le ballast qui est recouvert de gazon à cet endroit précis, amortit sa chute. Quoique sonné, Deschanel ne perd pas connaissance. Il se relève en titubant, puis se met à marcher le long de la voie en direction d’une lumière qu’il voit au loin. Le convoi disparaît dans la nuit, le laissant, seul, en pyjama. Il rencontre un autre homme en pyjama se présentant comme un certain Jacques Chirac. Le nom ne lui disant rien, il poursuit son chemin...

"Je suis monsieur Deschanel !"

Au même moment, le cheminot André Radeau marche le long de la voie, revenant d’un chantier qu’il surveillait. Il aperçoit soudain un homme marchant d’un pas hésitant. Il s’approche, interloqué. "Il avait la face ensanglantée, était vêtu simplement d’un pyjama gris blanc, les pieds nus dans ses pantoufles." Le prenant pour un ivrogne, le cheminot s’écrie : "Qui va là ?" L’inconnu lui répond : "Je suis blessé, je suis monsieur Deschanel !" Bien entendu, Radeau pense qu’on se fiche de sa gueule. Le président, lui ? Et pourquoi pas un extraterrestre tombé d’une soucoupe volante ? C’est que le gus insiste. Le voyant blessé au visage, Radeau le conduit à la maison du garde-barrière Dariot pour le soigner, lequel arrive à propos pour aider Radeau. "Cedit blessé dit être monsieur Deschanel !" "Tu blagues", répond l’autre en haussant les épaules. Et pourquoi pas François Hollande élu à la présidence de la République ? L’inconnu en pyjama marmonne : "Mais où allait donc ce train et où suis-je ?" Dans la maisonnette, madame Dariot nettoie les blessures de Deschanel pendant que Radeau file prévenir la gendarmerie de Corbeille et réveiller le docteur Guillaumot pour lui demander de venir examiner le blessé. Il fait également prévenir la gare de Montargis qu’"un homme se disant monsieur Deschanel est tombé du train présidentiel". Le message ne sera transmis au sous-préfet que vers 5 heures du matin.

Pendant ce temps, Gustave Dariot et sa femme ont couché le président dans leur lit, où il s’endort comme un bébé. Le docteur Guillaumot, qui finit par arriver vers une heure du matin, confirme, à la stupéfaction de tous, qu’il s’agit bel et bien du président Deschanel. Le lendemain matin, le sous-préfet de Montargis arrive à la maisonnette vers 6 h 20 pour embarquer le président, qui remercie chaleureusement ses hôtes. Interrogée par les journalistes, la femme du garde-barrière confie : "J’avais bien vu que c’était un monsieur : il avait les pieds propres !" Le président est conduit chez le sous-préfet de Montargis où il reçoit une piqûre antitétanique avant de se recoucher.

Ils découvrent le lit vide

Malgré tous ces événements inhabituels, le train présidentiel continue à filer dans la nuit. Personne ne s’aperçoit de la disparition de Deschanel, le croyant profondément endormi. À 5 h 13, le convoi s’arrête vingt minutes à Saint-Germain-des-Fossés. Un agent en profite pour remettre à l’inspecteur de service du train une dépêche ainsi rédigée : "Individu se disant M. Deschanel dit être tombé du train présidentiel." L’homme ne peut y croire. Néanmoins, il parcourt les voitures à la recherche de l’individu qui aurait pu tomber du train et se fait passer pour le président. Il entre dans tous les compartiments, vérifie toutes les fenêtres. N’oubliant pas le compartiment des journalistes ébahis. Les 53 voyageurs embarqués à la gare de Lyon sont tous là. Même Claude Guéant, surpris en train de compter des piles de billets de 500 euros... Cependant, l’inspecteur n’ose pas frapper à la porte de la chambre de Deschanel, qui a donné des consignes formelles de tranquillité. Le train repart. À Roanne, nouvelle dépêche affirmant que l’homme trouvé sur la voie serait bien le président. Le valet et le secrétaire particulier se résolvent à réveiller le président. Personne ne répond. Ils entrent, découvrent le lit vide, la fenêtre ouverte...

Le sous-préfet de Montargis s’est empressé de prévenir Paris. Le président du Conseil, monsieur Millerand, et madame Deschanel prennent le rapide de 12 h 10 pour Montargis. Ils ramènent le soir même le malheureux Deschanel à l’Élysée. La mésaventure du président de la République déclenche un raz-de-marée de moqueries dans tout le pays. Les chansonniers et les caricaturistes de la presse s’en donnent à coeur joie, faisant du président un fou. Toute la France reprend en choeur : "Il n’a pas oublié son pyjama, c’est épatant, mais c’est comme ça !" Cyril Hanouna enchaîne : "Et quand il pète, il troue son slip."

Il signerait... Vercingétorix

Cette terrible campagne finit de détruire psychologiquement un Paul Deschanel déjà fragile. C’est, en effet, un homme d’une grande nervosité. Son élection à la présidence, quelques mois plus tôt, l’avait déjà vu passer d’une grande excitation à un état de dépression postélectorale. Il a le comportement typique d’un neurasthénique. Ses premières phrases après son accession à l’Élysée sont : "Ce peuple m’acclame et je ne suis pas digne de lui. (...) ces murs m’écrasent." Ses premiers mois d’exercice du pouvoir sont marqués de comportements excessifs, hystériques. Il convoque tous ses amis à un déjeuner au Fouquet’s pour fêter sa victoire... Un jour où le maire de Cap-Martin regrette son passage trop rapide, il répond, d’abord doucement, "j’y reviendrai, j’y reviendrai", puis en gonflant la voix "j’y reviendrai, mais seul, tout seul, sans personne, car aujourd’hui je suis entouré de policiers". Un autre jour, il ramasse dans la boue les fleurs qu’on lui lance, pour les relancer vers la foule. Ce comportement fantaisiste inquiète son entourage. Les rumeurs les plus folles courent à Paris : il se baignerait dans les bassins du palais de l’Élysée avec les canards ; il signerait les documents officiels du nom de Vercingétorix ou encore de Napoléon. Cela n’est pas avéré.

Démission, puis rémission

En tout cas, son accident de train le fait tomber dans une sévère dépression, il ne parvient plus à présider les grandes cérémonies comme celle du 14 Juillet. Ne se sentant plus à la hauteur de sa charge, il présente une première fois sa démission quelques semaines après sa chute, mais Millerand parvient à l’y faire renoncer. Deschanel passe l’été à Rambouillet, où il tente de se remettre. Il tombe au fond d’un trou noir, ne parvenant pas à signer les documents qu’on lui présente. Il n’en peut plus. Il craque définitivement. Le 21 septembre, il présente une deuxième fois sa démission. "Mon état de santé ne me permet plus d’assumer les hautes fonctions dont votre confiance m’avait investi", écrit-il à l’Assemblée nationale. Libéré de sa fonction, il se retire dans une maison de santé de Rueil. Peu à peu, il remonte la pente. Le voilà même qui se fait élire sénateur le 9 janvier 1921. Au premier tour ! Apprenant cette élection, Jérôme Cahuzac est le premier à se réjouir, comprenant que rien n’est jamais perdu... Cette embellie ne dure pas bien longtemps puisque Paul Deschanel s’éteint d’une pleurésie le 28 avril 1922.


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