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Forum mondial sur l’éducation/Incheon

Trop de gaspillage dans le système éducatif

jeudi 21 mai 2015

Haïti, via son ministre de l’Education nationale, Nesmy Manigat, a participé mercredi à Incheon au panel sur le financement de l’éducation - un des six panels thématiques du Forum mondial sur l’éducation qui définiront l’agenda du secteur pour les 15 prochaines années. Pour Nesmy Manigat, il faut non seulement plus d’investissement, mais il faudra aussi mieux investir. En Haïti, déplore le ministre, il y a trop de gaspillage dans les investissements au niveau du système éducatif.

Les discussions se poursuivent à Incheon (République de Corée) où se tient le Forum mondial sur l’éducation du 19 au 22 mai. Mercredi, les ministres de l’Education nationale d’Haïti, du Sénégal, de la Tanzanie, le vice-président de la Banque mondiale, Keith Hansen, la directrice générale du Partenariat mondial pour l’éducation, Alice Albright, le ministre d’Etat du Pakistan et le représentant spécial de l’initiative gouvernementale pour l’éducation de la Norvège formaient le panel sur le financement de l’éducation. Chacun y est allé de ses idées, de ses expériences. L’objectif était d’essayer de partager et de trouver des modèles de financement innovants axés sur les résultats.

Après les échanges où il a présenté la situation en Haïti, le ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle a indiqué au Nouvelliste, que 15 ans après Dakar et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), Haïti se devait, comme tous les autres pays, de faire le bilan de son parcours, que ce soit en termes d’accès, de qualité ou de gouvernance.

« En Haïti, comme l’ont souligné des collègues d’autres pays, il faut non seulement investir plus, mais investir mieux », soutient Nesmy Manigat, soulignant qu’Haïti a montré qu’il était possible d’avoir accès à des financements innovants avec le Fonds national pour l’éducation (taxes sur les transferts et les appels internationaux).

« Face au déclin de l’aide publique au développement dans l’éducation, les pays sont en train de chercher d’autres sources de financement innovants, parce qu’il y a tellement d’autres urgences dans le monde que l’aide publique au développement diminue, explique le ministre de l’Education nationale. Haïti ne pourra pas toujours compter sur ce financement international quoiqu’il nous faille davantage développer des plans crédibles pour mobiliser des ressources internationales, mais aussi imaginer d’autres mécanismes de financement. »

Refonder l’école publique

Déplorant « beaucoup de gaspillage dans l’investissement au niveau du système éducatif », Nesmy Manigat dit opter davantage pour des appuis budgétaires au lieu « des approches projets, programmes ». « Il y a tellement de gaspillage dans ce système qu’il faut qu’on regarde l’investissement d’une double manière, tant et aussi longtemps que l’on n’arrivera pas à réformer le système éducatif, à éliminer les dépenses inutiles (graduations, examens officiels qui n’ont pas de portée pédagogique réelle), on n’avancera pas », déclare le ministre de l’Education nationale après son intervention devant une salle bondée, dont Michaelle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et ancienne envoyée spéciale de l’Unesco en Haïti pour l’éducation, au troisième niveau de l’hôtel Sheraton, à quelques mètres du Songdo Convensia où se tient le forum.

« Il y a beaucoup trop de gaspillage dans le système, insiste le ministre. Quand l’Etat haïtien ou les bailleurs de fonds au nom de l’Etat dépensent de l’argent pour des subventions à des écoles privées qui ne les méritent pas ; dépenser de l’argent pour des enseignants qui ne sont pas en salle de classe… Si on arrive à diminuer ces gaspillages, on pourra faire le double de ce qu’on fait déjà », croit le ministre, très critique envers le secteur qu’il dirige.

Selon Nesmy Manigat, Haïti a besoin de renforcer son école publique. « Ce n’est pas une position contre de bonnes écoles privées, mais l’éducation gratuite, obligatoire pour les neuf premières années, passe par le renforcement de l’école publique », nuance le ministre.

« Quand un pays investit autant d’argent dans l’éducation, soit 5% de son PIB, comme le fait Haïti, c’est beaucoup, poursuit le ministre visiblement agacé par les dérives du système. Quand il y a autant de redoublements, autant d’abandons, c’est beaucoup d’argent que les parents, l’Etat ou encore les partenaires étrangers, perdent. »

L’éducation n’est pas comme la santé où il est plus facile de mesurer l’impact des investissements, ou encore les retours sur l’investissement. Quoi qu’il en soit, Nesmy Manigat souhaite une meilleure gouvernance du système.

Haïti, fait-il remarquer, « compte une vingtaine de bailleurs qui financement tout le système éducatif à différents niveaux. Il y a un grand défi de coordination de l’ensemble de leurs actions, que ce soit au niveau du gouvernement ou des bailleurs eux-mêmes », affirme le ministre.

La gouvernance du système prendra du temps. « C’est essentiellement la responsabilité de l’Etat haïtien, du gouvernement, d’avoir une planification de ses cycles scolaires, une bonne compréhension de la carte scolaire », soutient le titulaire du MENFP. « Ceci prendra du temps, parce qu’on n’est pas dans une course de 100 mètres, mais dans un marathon, estime ce dernier. Il n’y aura pas de miracle possible, il faut qu’on prenne le temps de bien et de mieux faire les choses dans le système éducatif. »

33 ministres en 33 ans, un handicap pour le système ?

Selon Nesmy Manigat, le plus grand danger est, face à l’immensité des problèmes, d’essayer des solutions d’urgence pour éteindre le feu. Le ministre déplore qu’il y ait trop d’acteurs qui interviennent de façon intempestive dans des décisions qui ne devraient concerner que le MENFP. « Il y a trop de groupes de pression et d’intérêts au niveau du système », critique le ministre.

« Nous avons également trop d’instabilité dans le pilotage du système éducatif en Haïti, poursuit Nesmy Manigat. 33 ministres en 33 ans, ceci a tout son poids dans la dérive que l’on observe aujourd’hui. Outre la question de peu de financement, il n’y a pas de suivi », ajoute le ministre qui, à l’issue du forum, espère des engagements pour éviter ou du moins réduire les gaspillages au niveau du système. Vaste chantier.

Le forum mondial sur l’éducation se poursuit ce jeudi à Incheon, en Corée du Sud, et le ministre Nesmy Manigat devra à nouveau prendre la parole. Haïti est non seulement présente à travers une délégation conduite par le ministre, mais aussi à travers de représentants d’associations syndicales œuvrant sur le terrain. L’enjeu est de rester dans les petits papiers des bailleurs dans un secteur où l’argent fond comme neige au soleil.

AUTEUR

Valéry Daudier

vdaudier@lenouvelliste.com


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