MosaikHub Magazine

Tour d’Haïti : La France met son expertise dans nos bananes

mardi 12 mai 2015

Le projet Agritrans, établi sur 1 000 hectares dans le département du Nord-Est et dédié uniquement à la production de bananes, se déroule jusqu’ici sans anicroche et est en passe de réussir, doucement mais sûrement, le pari de replacer Haïti sur la carte des pays exportateurs de bananes. Première zone franche agricole, et aussi la plus grande plantation de bananes du pays, Agritrans a bénéficié, dès ses premiers pas, de l’appui technique de l’ambassade de France à Port-au-Prince.

Confortablement installé dans son rocking-chair, dans sa demeure à Trou-du-Nord, à quelques kilomètres seulement de sa bananeraie, Jovenel Moïse, le tenant de cet ambitieux projet, n’a pas eu à forcer sa mémoire au moment de narrer ses premiers contacts avec les Français pour solliciter une expertise technique pour son projet.

A en croire Jovenel Moïse, sa décision de recourir à la France pour accompagner techniquement son projet – un projet qu’il porte à bout de bras depuis plus d’une décennie – a un fondement historique. Entre la France et le Nord d’Haïti, fait-il remarquer, il existe, depuis plusieurs siècles, une étroite relation commerciale et, à date, cette relation se perpétue. D’ailleurs, « le cacao produit dans le Nord est exporté vers la France aujourd’hui encore. »

Allain Moncœur, chargé de mission Sécurité alimentaire et développement agricole à l’ambassade de France, rencontré quelques semaines auparavant dans son bureau au Champ de Mars, a confié que « Jovenel Moïse, dès le départ, a sollicité l’appui de l’ambassade de France ». « Si la France n’est pas impliquée dans la gestion directe du projet, par contre, elle a été à la genèse de ce projet », a-t-il poursuivi.

Après que Jovenel Moïse ait exposé sa requête auprès de l’ambassadeur d’alors, Didier Le Bret, Allain Moncœur a effectué une visite des lieux afin de produire un rapport de « diagnostic organisationnel. » Pour savoir si la France allait donner suite ou non à cette requête. Le rapport de Moncœur ayant convenu de la viabilité du projet, la France, depuis lors, lui apporte son appui de deux manières. D’abord, en finançant, à travers le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’expertise technique et scientifique inhérente à la bonne marche du projet.

« Ainsi, Agritrans, depuis 1 an, jouit d’une assistance technique permanente », a fait savoir Allain Moncœur, qui dit avoir accompagné sur place Thierry Lescot, l’un des experts du CIRAD. « A l’époque, le travail de l’expert consistait à prévenir les maladies […], et veiller à l’approvisionnement de la ferme en intrants, en semences et en engrais », a poursuivi Allain Moncœur.

Jovenel Moïse dénombre 6 visites des experts du CIRAD à Trou-du-Nord et s’en remet à ces derniers pour améliorer sa façon de produire. Il souligne que trois ambassadeurs se sont succédé depuis que l’ambassade de France a décidé d’apporter son soutien à Agritrans. A savoir Didier Le Bret, Patrick Nicoloso et Elizabeth Beton Delègue, actuellement en poste. « Mais seule cette dernière a pu visiter la ferme », a-t-il ajouté.

Ensuite, l’ambassade de France a procédé à la mise en relation commerciale d’Agritrans avec BANAMART, qui dispose plus de 40 ans d’expérience dans la filière et qui regroupe des planteurs de la Martinique et de la Guadeloupe, dans le but de favoriser l’exportation des bananes de Trou-du-Nord.

« BANAMART, à l’instar d’une courroie de transmission, va nous encadrer dans tout le processus de transport et de récolte, tout en s’assurant que la banane arrive à destination en de bonnes conditions et touchera une commission sur chaque tonne de bananes vendue », a expliqué Jovenel Moïse, qui en a profité pour annoncer la signature du protocole d’accord avec BANAMART lors de la visite de François Hollande le 12 mai 2015 en présence du président Martelly.

Faisant référence à ce marché sur le point d’être conclu, l’entrepreneur haïtien parle de « contrat soutenable » et de « commerce équitable ».

« Notre idée est d’anticiper les problèmes à venir […] Nos actions s’inscrivent dans la durée », a déclaré Allain Moncœur, qui admet volontiers que la banane est une filière importante pour le pays et que les opportunités pour valoriser les quelques 64 000 hectares de terre encore incultes existent vraiment.

Un an après sa première mission à Trou-du-Nord, l’expert Thierry Lescot, de renommée mondiale, était de retour au pays pour évaluer la mise en terre des plantules. Depuis, constate Allain Moncœur, le projet Agritrans n’a cessé de monter en puissance. La première récolte est prévue en juin ou en juillet prochain.

Toutefois, Moncœur fait remarquer que le projet demeure très vulnérable en ce sens qu’il est une monoculture et qu’à tout moment, une maladie, si elle n’est pas prise en main à temps, peut commettre d’irréparables dégâts.

En ce sens, pour parer à toute éventuelle déconvenue, Jovenel Moïse, dans la banane depuis 22 ans, a indiqué, toujours dans le cadre du soutien de l’ambassade de France, l’envoi d’un agronome haïtien en Martinique pour suivre une formation en technologies post-récolte. Allain Moncœur, de son côté, annonce qu’il accompagnera, dans les mois à venir, des techniciens d’Agritrans en Martinique pour un voyage de formation qui sera animée par les experts du CIRAD.

« D’autres sociétés vont se lancer », a-t-il prédit. En effet, non loin d’Agritrans, un enclos, qui mesure plus de 1 000 hectares, a été constaté. Si Jovenel Moïse n’a pas révélé pour l’instant le nom de son voisin entrepreneur, il croit savoir que ce terrain sera aussi dédié à la production de banane. « Si les demandes sont arrêtées, nous aurons dans les 5 prochaines années une production entre 400 et 500 000 tonnes de banane […] Après exportation, nous aurons de quoi satisfaire largement notre autosuffisance », a déclaré ce dernier, qui croit qu’Haïti sera obligée de rentrer dans la chaîne de valeurs.

Outre la France, Jovenel Moïse a dévoilé qu’il est actuellement en pourparlers avec des membres du secteur privé d’Allemagne, d’Angleterre et de la Corée du Sud et que des compagnies privées de ces pays seraient très intéressées à faire du commerce de la banane avec Haïti. « Récemment, nous avons reçu la visite de deux attachés commerciaux de l’ambassade américaine », a fait savoir Jovenel Moïse, qui estime que la signature du protocole d’accord avec BANAMART va motiver les autres pays qui veulent commercer depuis des lustres avec Haïti.

AUTEUR

Patrick SAINT-PRE

sppatrick@lenouvelliste.com


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie