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Retour à Sermages - Le village de la force tranquille #2

dimanche 10 mai 2015

Voyage en France : retour sur quelques lieux qui ont fait notre pays"

Cette série est une invitation à revenir aux lieux. Connus ou inconnus, l’histoire de France s’y est écrite. Il y aura des batailles, des châteaux, des abbayes, mais aussi des lieux d’invention, industriels, agricoles, artisanaux, artistiques. Tous, ils ont façonné notre pays.

Suite de la première partie

En avril 1981, toutes les affiches des candidats furent évaluées et celle de Séguéla reçut la plus mauvaise note. C’est pourtant elle qui suscita le plus de commentaires, alors même qu’elle fut seulement diffusée à 800 exemplaires, quand une campagne habituelle tournait autour de 5 000. Mais, après le 10 mai, elle devient, avec la rose déposée au Panthéon, l’emblème de la gauche qui gagne. Un symbole du changement sur fond de permanence, de traditions, de douce France éternelle. Elle donne aussi son bâton de maréchal de la pub à Séguéla, qui ne saurait citer tous les pays où elle a fait des petits... Sermages a voyagé dans le monde entier. Mais Séguéla n’est jamais retourné dans ce village où le quart d’heure qu’il y passa assura sa gloire.

Peu de monde, à vrai dire, entreprend le pèlerinage de Sermages. Dans l’histoire, c’est un peu le dindon de la farce. L’oublié de la Mitterrandie. On court généralement se recueillir à Château-Chinon, étrange sous-préfecture de 2 000 habitants, qui paraît plus morte que son grand homme tant le souvenir de celui-ci semble bien vivant ou, du moins, bien entretenu. Son action a passé, l’usine Dim négociée avec le baron Bic a fermé en 2008, l’imprimerie militaire parachutée de Paris a suivi le même chemin en 2010. Heureusement, il reste les musées : 1 700 cadeaux de chefs d’État étrangers disposés dans un ancien couvent dominant la ville, point d’orgue d’un "circuit" François Mitterrand. Ou faudrait-il parler d’une élévation, d’une "passion", qui débute en bas, devant la mairie, avec la sculpture mobile cosignée Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, une commande inaugurée en 1988 qui donne des signes de rouille.

Ce n’est plus Château-Chinon, mais Château-Mitterrand. Le grand projet du maire, Guy Doussot, très ancien jeune adjoint de Tonton, est une cité muséale qui reliera ce musée des Septennats au musée voisin du Costume, également ouvert à l’initiative du président, en 1992. On ne ratera plus rien alors de la collection complète de cadeaux, 3 500, dont le premier fut une photo dédicacée du prince Charles encore fringant et le dernier, une médaille de Yalta, remise en 1995 par un Eltsine déjà fatigué. Dans la Nièvre, Mitterrand a semé à tout vent : le musée Romain-Rolland, de Clamecy, renferme les tableaux qui lui avaient été offerts. La médiathèque de Nevers abrite près de 18 000 livres, parsemés d’envois parfois outrageusement flatteurs signés de nos grands auteurs. Mais le plus mitterrandien des musées, on le trouve à une vingtaine de kilomètres, au sommet du mont Beuvray. Ruines gallo-romaines et hêtres s’enchevêtrent sur des centaines d’hectares hantés par une autre ville fantôme, Bibracte, ville qui se donna aux Romains avant de résister, sous la férule de Vercingétorix. Mitterrand l’inaugura un mois avant son départ, très affaibli, mais il était si amoureux de ce lieu où la nature s’entremêlait à l’histoire qu’il voulut se faire enterrer au sommet de ce mont dominant la Nièvre.

Lire la première partie : Retour à Sermages - Le village de la force tranquille #1

S’il a comblé son département, qu’a-t-il donné à Sermages ? Trente-trois ans après le candidat, nous avons quitté à notre tour la D37 pour nous engager dans ce village qui représentait si bien la France profonde et tranquille. Mais qui apprit tardivement, après l’élection, qu’il avait été l’heureux élu du futur élu. Certains villageois s’étaient alors souvenus avoir vu passer quelques Volvo noires un jour d’hiver. Et madame Boulin avait affirmé haut et fort que la photo avait été prise depuis un de ses champs, sans qu’on lui ait demandé son autorisation. Bien sûr, les habitants de Sermages s’étaient fortement agacés d’avoir eu leur clocher décapité. C’est qu’ils l’aimaient bien, leur église, qu’ils avaient protégée avec des barricades en 1906, lors de l’inventaire des biens du clergé. Au début des années 1990, à l’occasion de l’inauguration d’un collège dans la ville voisine de Moulins-Engilbert, Jacques Simonot, le maire, était allé voir Mitterrand, présent ce jour-là, pour obtenir une explication : "des raisons esthétiques", s’était-il entendu répondre, moyennement convaincu.

La grande affaire des années 1980

Simonot, qui a quitté ses fonctions depuis le mois de mars 2014, nous fait faire le tour du propriétaire. Il avait écrit un jour à Séguéla, nous signale-t-il, pour obtenir l’affiche originale avant censure. Il n’a jamais reçu de réponse. Tout le monde le salue. On le sent aimé. Aimant aussi un village à sa manière, simple et naturelle, résolu ou résigné à n’aimer que lui. Près de l’église, un panneau détaille les chemins de randonnée. À gauche, l’affiche de Séguéla, à droite, un portrait de Charles le Téméraire, le duc de Bourgogne qui vint défier le roi Louis XI sur les terres de Sermages. L’autre grand événement qui défraya la chronique locale. Et déjà une victoire pour la France. Simonot, qui connaît son village sur le bout des doigts, n’oublie pas d’évoquer une troisième gloire locale : Georges Mathé, pionnier de la greffe de la moelle osseuse et cofondateur de l’Inserm. Une plaque discrète sur une maison rappelle qu’il est né là, en 1922. Six ans après Mitterrand dont il fut un violent opposant : "Tout ce que j’ai obtenu, les titres, les succès, les irradiés yougoslaves sauvés, les leucémiques guéris, tout cela ne me laissera qu’amertume et tristesse si, me désavouant, moi, le fils de votre terre, l’enfant de Sermages, l’homme du Morvan, vous roulez à l’abîme avec des politiciens au rancart", avait-il écrit aux Morvandiaux lors des législatives de juin 1968.

À cette époque, la population s’élevait encore à 319 habitants. En 1981, le chiffre n’était plus que de 250. Aujourd’hui, il est tombé à 215. Au début du siècle, ils étaient 800. La quinzaine de fermes de 30 à 40 hectares a cédé la place à de vastes exploitations. Elles ne sont plus que six ou sept, à la suite de remembrements qui furent la grande affaire des années 1980. Il a fallu modifier les haies, revoir le tracé des chemins, les esprits se sont échauffés et la commune s’est endettée pour de longues années. Heureusement, en 1983, un marché au cadran s’est ouvert à Moulins-Engilbert. Le Nivernais est une région de "naisseurs" : on y élève les veaux, les broutards, les laitonnes jusqu’à six mois ou deux ans, avant que le bétail ne file en Italie ou en Espagne. Je viens d’assister à des enchères, dans deux salles avec pupitres et boutons pour chaque acheteur. Ce n’est ni Christie’s ni feu les comices agricoles.

Moulins-Engilbert est le plus gros marché au cadran de France : chaque mardi matin, les transactions s’élèvent à près d’un million d’euros. Une installation qui, selon le chef des ventes, serait une fois encore due à Tonton. Mais à Sermages, six mois après son élection, le café-épicerie, situé au bord de la départementale, a fermé. Unique commerce du village, il faisait office de cabine téléphonique. La gérante, partie à la retraite, a continué à vivre sur les lieux. L’école n’accueille plus d’élèves depuis 2005. À son arrivée comme instituteur dans les années 1980, Jacques Simonot avait connu deux classes : CP-CE1 et CE2-CM1-CM2. Celle-ci a fermé en 1988, la première a survécu dix-sept ans et, désormais, la douzaine d’enfants de Sermages va en classe à Moulins-Engilbert. Comme partout ailleurs, la suppression de la taxe professionnelle a fragilisé le budget de la commune, alimenté jusque-là par une carrière de porphyre, à l’Escame, en direction de Moulins. Que reste-t-il à Sermages ? Des services sociaux. Élu sans étiquette en 1989, mais le coeur à gauche, Simonot a mis en place l’aide à domicile pour une population vieillissante. Une des deux salles de classe a été transformée en bibliothèque, l’autre sert d’atelier pour les associations. Une salle communale a été récemment construite, en remplacement de vieux préfabriqués. Dans quelques jours, elle hébergera un concours de rifles. Parmi les lots à gagner, un aspirateur cylindrique, des longes de porc entières. Cette France très tranquille se meurt doucement.

Un désert français, qu’on tente de fleurir sur les bas-côtés et les plates-bandes : Sermages, tiraillé entre le rural et le rurbain - des employés du tertiaire travaillant à Château-Chinon ou Moulins se sont installés -, arbore fièrement ses deux fleurs de "Village fleuri". Une troisième fleur devrait lui être décernée, ce qui ne peut que réjouir la dizaine de Hollandais arrivés depuis une vingtaine d’années. Une cohabitation très pacifique : ici, le FN réalise le score le plus faible du département aux cantonales - 10 % en 2002 et moins de 4 % en 2008. Rien à voir avec Château-Chinon ou Saint-Léger-de-Fougeret, où madame Mitterrand, au début des années 1990, a fait installer en pleine forêt une des deux écoles coraniques de France, pudiquement baptisée Institut européen de sciences humaines. Dans la région, on fait circuler la rumeur fausse que plusieurs imams formés dans cette école ont été reconduits à la frontière et que la DGSE a placé quelques hommes en surveillance à des postes stratégiques. En dépit de l’hommage involontaire que lui a rendu Mitterrand, Sermages ne peut pas se revendiquer terre socialiste. S’il l’avait emporté sur Giscard en 1981, il y est battu par Chirac en 1988 et Chirac et Sarkozy ont recueilli plus de voix en 1995 et en 2002 que Jospin et Royal. Hollande, en 2012, a rétabli l’équilibre. Électoralement, Sermages est aussi à l’image de la France, oscillant autour de son centre, tantôt à droite tantôt à gauche.

Aucun changement notoire

Tout en devisant sur les métamorphoses de son village, Simonot nous a conduits jusqu’au "point de vue" où tout a commencé. L’occasion pour lui de sortir le chien, un labrador, race éminemment mitterrandienne. Après quelques hésitations, nous retrouvons l’emplacement exact. De ce côté, aucun changement notoire, sinon les haies qui ont poussé et les arbres qui dissimulent une partie des maisons et le chevet de l’église. Les cloches qui se mettent à sonner rappellent à l’ancien maire l’épisode de la subvention exceptionnelle obtenue en 1990. Un trou énorme ayant abîmé le clocher, Simonot avait eu l’idée de s’adresser sinon à Dieu, du moins à ses anges. Un courrier envoyé à Jack Lang permit de débloquer une manne miraculeuse, 65 000 francs, qui compléta largement la subvention obtenue au titre du patrimoine rural non protégé. Là-haut, à Paris, on avait compris qu’il retournait d’un symbole, d’une relique. Ce clocher jadis censuré tenait donc enfin sa revanche et l’ancien maire nous avoue que les crédits dépassèrent le plafond des 80 % de subventions légalement admises. On en profita pour électrifier les cloches, refaire le toit et installer un éclairage dernier cri.

Mais aujourd’hui, l’église-relique est fermée au public. Sermages n’échappe ni à la crise des vocations ni au désert paroissial. L’été, le curé de Château-Chinon ne se déplace plus qu’une fois par quinzaine pour célébrer une messe. Seules ferveurs autorisées : la Saint-Pierre, le patron de l’église, et le jour de Notre-Dame de La Salette, en souvenir d’une famille qui, vers 1850, avait promis l’érection d’une chapelle dédiée à ce patronage si leur enfant guérissait. Si aucun pèlerinage ne célèbre la Saint-François, l’été, un employé municipal se plaît à ajouter à l’histoire de Saint-Pierre son épilogue politique. Le jour où le socialisme est tombé du ciel. Ses auditeurs apprécient généralement. Car il demeure tout de même quelques nostalgiques de la Mitterrandie qui font le détour par Sermages. Pour vérifier que ce village existe vraiment.


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