MosaikHub Magazine

24 avril 1671. François Vatel se suicide à Chantilly, croyant la marée en retard.

vendredi 24 avril 2015

Lors d’un dîner offert par le Grand Condé à Louis XIV, le maître d’hôtel se fait hara-kiri sur son épée.


Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 24 avril 1671, François Vatel s’embroche sur son épée, la faute au retard d’un livreur de poissons prévus pour un banquet offert par le prince de Condé au Roi-Soleil. Ça, c’est un homme d’honneur ! Car le crime est grave ! S’il avait menti à toute la nation sur l’existence d’un compte en Suisse, on aurait pu lui pardonner, mais une promesse de poisson non tenue... À vrai dire, la raison du suicide paraît tellement vénielle que plusieurs historiens ont cherché une autre raison justifiant un tel acte insensé : il n’aurait pas supporté les railleries d’une grande dame de la cour dont il était amoureux, ou encore il aurait mal vécu une liaison homosexuelle avec Monsieur, frère de Louis XIV. C’est chercher midi à quatorze heures. En fait, la vérité tient peut-être tout simplement à son origine suisse - son véritable nom est Fritz Karl Watel. Or, quelle est la première vertu pour un Suisse ? La ponctualité ! Du poisson qui lui pose un lapin, c’est insupportable. Un suicide s’impose...

3 000 convives

Les faits ont été rapportés dans une des merveilleuses lettres écrites par la cancanière Madame de Sévigné à sa fille. En 1671, Vatel, qui a 40 ans, est le "contrôleur général de la bouche" du Grand Condé au château de Chantilly. Autrement dit, il fait office de maître d’hôtel chargé d’assurer la tortore de la boutique. Quand Condé lui annonce qu’il a invité Louis XIV et toute la cour pour trois jours de fastueuses fêtes, le bonhomme sent monter la pression. D’autant que son maître lui fait bien comprendre qu’il n’a pas intérêt à se planter, car il compte sur cette réception pour faire oublier au roi plusieurs de ses faux pas passés.

Vatel doit organiser trois banquets comptant au bas mot 3 000 convives chacun, dont 600 nobles. C’est autre chose qu’un défi de Top Chef... Car Louis XIV ne se satisfait pas d’un menu routier style entrée-plat-dessert. Il lui faut plusieurs dizaines de plats de viandes et de poissons à chaque repas. Sans compter que le maître d’hôtel doit également prévoir des distractions : ballets, pièces de théâtre, musique et même un feu d’artifice. L’ampleur de la tâche écrase déjà ce pauvre homme. Vatel va-t-il s’en sortir ? Rien que la conception des menus est un casse-tête à filer la migraine à un Chinois. Il envoie des dizaines d’émissaires dans tout le pays pour collecter les meilleurs produits. Il engage une armée de musiciens, comédiens, danseurs, cuisiniers, valets. C’est bien simple, au cours des douze jours qui précèdent la réception, Vatel ne ferme pas l’oeil une minute. Et à l’époque, pas de petit rail à renifler pour se maintenir au top.

"Tout va bien"

Le jeudi 23 avril, Louis XIV et la cour se pointent enfin à Chantilly. Durant la matinée, les invités participent à une grande chasse dans la forêt voisine. Autant dire qu’ils crèvent la dalle quand ils se mettent à table pour le premier banquet. Vatel est sur des charbons ardents. Il veille à tout. Il semble avoir la situation en main quand, soudain, drame ! Oh, mon Dieu ! La honte ! François Vatel est effondré : les invités sont plus nombreux que prévu. Du coup, des rôtis viennent à manquer sur deux des vingt-cinq tables d’honneur. Le maître d’hôtel est inconsolable, il se dit atteint dans son honneur, même si aucun reproche ne lui est adressé.

Le reste de la soirée se déroule impeccablement. Le spectacle mêlant danseurs, musiciens et acteurs est apprécié du roi, le cadre est magnifique, les illuminations sont superbes. Seul le feu d’artifice laisse à désirer à cause de nuages. Mais voilà, la viande a manqué ! En pleine crise d’hystérie, Vatel court d’un endroit à l’autre, répétant : "Je suis perdu d’honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas." Et de répéter à l’intendant de Condé, le baron de Gourville : "La tête me tourne, il y a douze nuits que je n’ai dormi ; aidez-moi à donner des ordres." Bon prince, le baron lui file un coup de main. Mais Vatel de continuer à se lamenter. Il monte se réfugier dans sa chambre. Gourville, qui commence à s’inquiéter, court prévenir Condé. Celui-ci vient trouver son maître d’hôtel : "Tout va bien, rien n’était si beau que le souper du roi." Mais rien à faire, l’ex-pâtissier répète en boucle : "Monseigneur, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables." Le prince répond avec patience : "Point du tout, ne vous fâchez point, tout va bien." Autant vouloir calmer un éléphant dépressif en lui jouant un air de viole.

Flux tendu

Cependant, Vatel finit par rassembler ses esprits, il lui faut enchaîner avec le banquet du lendemain. Le malheureux a prévu du poisson, beaucoup de poisson. Encore, s’il avait joué la sécurité en programmant du poisson d’étang facile à trouver dans les bassins du château. Mais non ! Cet imbécile choisit du poisson de mer. Du saumon, de la sole, du bar, de la plie, de la raie, du turbot... C’est prendre un immense risque en matière d’approvisionnement. Vatel passe commande dans une vingtaine de ports de Haute-Normandie. Comme à cette époque, on n’a pas encore eu l’idée, en France, de garder le poisson au frais avec de la glace, il faut l’acheminer le plus rapidement possible après sa pêche.

Pour être servi à la table du roi le vendredi, le poisson doit être ramené au port le jeudi matin, puis être conditionné pour le transport, et enfin parcourir un peu plus de 200 kilomètres en moins de 24 heures. C’est du véritable flux tendu. Vatel a pris un énorme risque. D’autant que la météo joue contre lui. Depuis plusieurs jours, la pluie rend les routes boueuses. Les chevaux ont du mal à avancer, les carrioles s’enlisent. Normalement, les chemins des marées menant à Paris sont spécialement entretenus par des élus de la mer autorisés à lever des taxes sur les paroisses à cet effet. Mais quelques années auparavant, Colbert avait mis fin à cette fonction, car certains élus détournaient une partie des sommes à leur profit. En fait, le ministre voyait d’un mauvais oeil des "privés" prélever des taxes publiques. Depuis lors, les chemins des marées se détériorent gravement. Voilà une raison, parmi d’autres, qui explique le retard du poisson commandé par Vatel.

"Est-ce là tout ?"

Bref, à 4 heures du matin, notre Suisse ne voit arriver à Chantilly qu’un petit pourvoyeur avec deux charges de marée. Citons Madame de Sévigné : "Il lui demande : Est-ce là tout ? Il lui dit : Oui, monsieur. Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point ; sa tête s’échauffe, il croit qu’il n’aura point d’autre marée." On imagine dans quel état se trouve le bonhomme, qui, déjà, la veille, se croyait déshonoré à cause de quelques rôtis manquants. À 8 heures, toujours rien à l’horizon. Vatel se voit déjà servir des plats vides. L’imbécile n’a pas prévu de plan B. Cela relève pratiquement d’une faute professionnelle. Il court se lamenter une fois de plus auprès de Gourville : "Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j’ai l’honneur et de la réputation à perdre." Cette fois, le baron en a ras la perruque et se moque du bonhomme. Celui-ci ne le supporte pas. Il monte dans sa chambre, cherche un moyen d’en finir avec la vie. Il saisit son épée, la fixe dans la porte pour se précipiter contre elle et s’embrocher. Pour un cuisinier, c’est une méthode appropriée d’en finir avec la vie. Mais le maladroit se rate. La lame ne touche aucun organe majeur. Décidément, ce n’est pas son jour. Une deuxième tentative se révèle tout aussi vaine. Enfin, il s’embroche le coeur à la troisième, et tombe raide mort.

Il expire au moment où la marée arrive de tous les côtés. On cherche le maître d’hôtel pour savoir comment distribuer le poisson aux cuisiniers. On l’appelle. On s’inquiète. On toque à la porte de sa chambre. Personne ne répond. Il faut l’enfoncer. On le découvre gisant dans son sang, aussi mort que les centaines de poissons qui l’attendent dans la cour du château. Prévenu, Condé accourt, désespéré. Madame de Sévigné ne précise pas s’il pleure son maître d’hôtel ou son banquet. Mis au courant, Louis XIV prétend que s’il avait attendu cinq ans avant d’accepter l’invitation du prince de séjourner à Chantilly, c’est qu’il comprenait l’excès de cet embarras. Faut-il vraiment le croire ? Il demande encore à Condé de réduire la taille du banquet à seulement deux tables. Gourville remplace Vatel qui est vite oublié. Madame de Sévigné achève sa lettre : "On dîna très bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse ; tout était parfumé de jonquilles, tout était enchanté..." Pendant ce temps, Gourville fait enterrer le malheureux Fritz Karl Watel en catimini. Histoire de ne pas plomber l’ambiance.

C’est également arrivé un 24 avril

2007 - Le constructeur Toyota accède au premier rang mondial des constructeurs automobiles .

2004 - Estée Lauder décède à l’âge de 97 ans.

2003 - Winnie Mandela, ex-épouse de Nelson Mandela, est reconnue coupable de fraudes et de vols.

1984 - Apple révèle son premier ordinateur portable Apple IIc.

1981 - IBM lance son ordinateur individuel PC. 16 à 64 Ko de mémoire vive.

1970 - Sortie du film d’animation Les Aristochats de Disney.

1967 - Vladimir Komarov est le premier cosmonaute à mourir en mission, la capsule Soyouz 1 s’étant écrasée.

1961 - Première apparition de Bob Dylan.

1953 - Winston Churchill est nommé chevalier de l’ordre de la Jarretière, ce qui lui donne le droit au titre de Sir.

1934 - Invention de l’orgue Hammond (sans tuyaux), permettant une économie de place et d’argent.

1915 - Début du génocide arménien à Istanbul. Six cents notables sont assassinés.

1913 - Inauguration à Manhattan du plus haut gratte-ciel du monde de l’époque, le Woolworth Building (241 mètres).

1898 - L’Espagne déclare la guerre aux États-Unis, après avoir refusé de se retirer de Cuba.

1061 - Apparition de la comète de Halley dans le ciel d’Angleterre, faisant prédire à un moine la fin du monde.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie