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L’école n’est pas une récréation

vendredi 17 avril 2015

Lieu des corps libres mais aussi de la discipline, les cours d’école ont des usages divers. C’est une bonne vitrine de ce qui se passe à l’interieur des salles de classe et des inégalités entre les écoles. Visite guidée à Port-au-Prince.

Ils sont arrivés de toutes les directions et par différents moyens de transport : l’un emmné en auto par ses parents, un autre en taxi, un autre encore à moto-taxi ou à pied. Chez le cireur du coin, quelques-uns se débarrassent rapidement des séquelles du chemin parcouru : « Que les souliers soient propres est une obligation », confie Joane, 12 ans, impeccable dans son uniforme.

Un à un, ils passent la porte d’entrée étroite du collège Les Normaliens réunis, à Pacot. Puis une autre barrière en grillage pour accéder à la cour. Là, on salue, on rit, on jette quelques mots à des camarades tout heureux de se revoir. L’atmosphère est amicale, joyeuse. Elle l’est moins quand retentit la sonnerie. Peu à peu, les dernières conversations s’estompent. Des lignes se forment. En un rien de temps, la cour rectangulaire, 10 mètres sur 15, change radicalement d’aspect. On rentre les vieux bouquins de la collection Arlequin, on remet à plus tard la conversation sur la série américaine Game of Thrones et une image d’ordre s’installe. Même les plus récalcitrants s’y conforment. Deux enfants ont la charge de hisser le bicolore. Ils s’y mettent avec un tel sérieux. Derrière eux, des centaines d’écoliers chantent l’hymme national et d’autres chants religieux pas moins connus dans un rituel long, un strict protocole.

Sur le protocole, Roc Nimraud veille en personne. Mince, la trentaine, c’est sous son regard que tout se passe. Debout au seuil de la pièce exiguë qui lui sert de bureau, il doit vérifier que les tenues sont conformes, que le silence est maintenu, que tout est en bonne disposition pour une nouvelle journée de travail. L’ambiance décontractée doit être loin derrière. Et ceux qui pensent déroger à la règle verront sa mine dure.

« Je ne suis pas un censeur », dit-il. Ce terme m’est péjoratif. « Je suis responsable de discipline et professeur à la fois. À ce titre, j’administre des sanctions mais je dois aussi m’assurer qu’elles n’empêchent pas le travail académique. Certains sont certes plus arrogants que d’autres comme c’est le cas des ados, mais en général nous avons de bons élèves », poursuit M. Nimraud, son regard dans le vide, visiblement accablé de travail.

En une minute de conversation, l’homme est interrompu plusieurs fois. Par un professeur qui veut rétablir l’ordre dans sa classe, par un élève qui souhaite obtenir justice parce que frappé par un camarade ou un autre qui souhaite tout simplement se libérer le bas-ventre. Sur sa table, un ordinateur qui semble s’être éteint il y a longtemps et une marée de documents. Tout juste assis, on l’appelle parce qu’une fumée venant de la ravine voisine vient incommoder les élèves en classe. Quelques-uns sortent déjà en courant. Là aussi, il doit dire son mot.

Les heures filent. Ce n’est pas encore la récréation mais sur la cour, il y a encore une bonne dizaine d’écoliers. Ils ne jouent pas, ils sont punis. Plusieurs y resteront longtemps à copier des lignes. Voyelles en bleu, consonnes en rouge. En oubliant chez eux leur fiche de contrôle des conduites, ils savaient à quoi s’attendre. Ils ne verront leur classe que depuis la cour.

À deux pas, entre l’entrée principale et la barrière en grille qui donne accès à la cour, il y a les « impayés ». Ceux dont les parents et la direction jouent au chat et à la souris. Concernant ce problème qui enfle à l’école, le sort des écoliers sera traité au cas par cas. Pour le reste, on se réfère aux règlements. Une liste d’injonctions qui se prolonge à l’infini. Et pour que nul ne prétexte l’ignorer, les murs sont truffés d’affiches rappelant les interdits et chaque élève reçoit un livret rempli d’articles, des plus sérieux aux plus fantaisistes. Il concerne le paiement de l’écolage, la couleur des chaussettes à enfiler, la longueur de la jupe, la netteté de la chaussure, etc. Mais quoi qu’on fasse, « des contrevenants, il y en a toujours », précise t-il. Le travail est chaque matin à recommencer.

« Certains parents s’opposent à nos règlements », confie ce héros du quotidien, entre deux activités. À la recreation, son influence est moindre. Les plus jeunes courent, sautent sur une surface qui sert aussi de zone de stationnement de véhicules. D’autres reprennent les conversations du matin ou de la veille. Des dizaines d’autres accourent vers le bar de l’école. Les bras tendus, ils attendent de recevoir pâté ou soda. Certains en profitent pour s’amuser des tics de langage du responsable de discipline ou sur son maintien.

- Je n’ai pas peur de lui, lâche Jérôme, un écolier discutant avec ses amis.
- Ses sanctions sont souvent injustes. Je ne les respecte pas, dit un autre garçon.

Après la sonnerie, la discipline reprend ses droits. Plusieurs, en sueur parce qu’ils ont trop chahuté, seront interdits d’accès en salle quelques minutes.

« La discipline, c’est déjà l’essentiel, précise M. Nimraud. Une bonne école l’est par sa discipline. Ça prend beaucoup d’énergie, mais c’est pour la bonne cause. »

Dans un pays qu’on décrit en général comme chaotique, on observe pourtant une incroyable obsession de la discipline à l’école. La cour de récréation, avant d’être le lieu des corps libres, de la socialisation infantile, semble être celui de la sanction.

De l’obsession au manquement grave

À quelques kilomètres, au lycée Alexandre Pétion, le cérémonial d’entrée est comparable. Peut-être plus extravagant. Sur sa cour d’environ 40 mètres sur 10 avec une bonne partie en terre battue, on monte le drapeau au son de la fanfare. À l’heure exacte. 7h. Sitôt les rituels achevés, les problèmes d’hier ressurgissent. Tout à côté, le bâtiment de l’école en construction prend forme. Mais ce n’est pas ce qui occupe pourtant l’attention du directeur Nicolas Mathurin. « Les problèmes proviennent des élèves et de la zone », dit, désolé, le fonctionnaire nommé à ce poste en 2005 après un long parcours à l’école.

« Je ne connais pas la quantité d’élèves qu’on gère, dit-il. Cela doit être autour des 1700 élèves pour la vacation du matin. La cinquantaine, M. Mathurin passe sa journée à courir dans tous les sens. Ici, il doit apaiser des élèves qui, en l’absence de professeurs, font du bruit ou envahissent la cour, là, il reçoit des jeunes du quartier qui affirment le protéger et lui demandent des faveurs en retour. Mais il doit surtout contenir cette foule de jeunes en uniforme qui viennent tous les matins sans être régulièrement inscrits . « C’est qu’il y a beaucoup d’habitants du quartier, mais également des membres du personnel qui inscrivent des élèves à notre insu et, ensuite, font pression sur nous pour qu’on les accepte », explique le directeur.

Le problème n’est pas nouveau. Certains évoquent le temps où un directeur venait à l’école avec son pistolet. À l’entrée principale ou sur la cour, il y a effectivement quelques jeunes du quartier. Ces recruteurs parallèles font partie du paysage. Ils abordent les visiteurs pour leur proposer leur service. Ni gardiens ni responsables ne les questionnent.

Judith Pierre, une écolière, affirme qu’elle a donné 2000 gourdes à l’un d’eux pour son inscription. Elle n’a toujours pas accès à la salle de cours. Pas loin d’elle, deux de ces intercesseurs informels parlent d’un parent dont ils viennent d’inscrire l’enfant en 9e année. Ils indiquent du doigt la salle en question qui contient une centaine d’élèves, qui est séparée de la cour par une grille et qui est sans professeur.

À la récréation, c’est l’agitation totale. Quelques dizaines d’élèves jouent au foot, d’autres improvisent des scènes de combat, d’autres encore blaguent à gorge déployée. Au milieu de tout ce tohu-bohu, deux ados parlent de leurs déboires durant le cours de chimie. C’est qu’ils n’arrivent pas à y comprendre grand-chose.

Au lycée Pétion, deux choses frappent. Premièrement, la précarité du lieu. Deuxièmement, l’énergie de ces jeunes en uniforme dont beaucoup d’éternels redoublants qui, chaque jour, font le pied de grue, ne demandant rien d’autre que s’asseoir dans une salle de classe.

Surdimensionné

À l’Institution Saint-Louis de Gonzague, le décor change. Du tout au tout. En plus des gardiens, trois policiers sont à l’entrée et une cour immense s’offre à la vue. Quatre terrains de football, deux terrains de basket, deux terrains de volley et une piste d’athlétisme. Ici, le sport obligatoire a donné ses résultats. Dans la salle de réception, une cohorte de trophées, dont plusieurs remportés récemment, s’alignent.

Dans cette école congréganiste, la pratique du sport est sacrée. Il y a des cours de sport en plus des exercices parascolaires. À la pause de midi, les terrains s’emplissent. Chacun s’adonne à ces jeux, librement. Et si une bonne quantité de garçons sont en surpoids, ce n’est pas à mettre sur le dos de l’école. « Ils sont arrivés ainsi », explique le responsable du sport, Défaille Fédrick. « Le sport est essentiel, cela peut compter s’ils vont aux États-Unis. C’est dommage que bien des écoles ne jouissent pas d’infrastructures adéquates. »

Privé de cour mais pas de jeux

Aucune mention des États-Unis, lorsque l’on rencontre les responsables de l’institution mixte Assedel (Association pour sauver les enfants de la délinquance et le développement) à Carrefour-Feuilles. Dans la petite pièce sombre qui sert de bureau au directeur est posé un grand trophée. « Nous l’avons reçu en participant à un championnat de football à la fin de la dernière année académique. Nous avons pu obtenir la deuxième place », explique-t-il heureux. Le championnat en question était organisé sur un terrain vague du quartier, raconte Elsot Jean, un écolier qui jubile d’avoir marqué des buts.

La structure de l’école : quelques mètres carrés et une toiture recouverte de tôles ondulées est précaire. Pas de cour de récréation du tout. Juste deux mètres de trottoir sur lequel est installé le mât du drapeau. Derrière, c’est une ravine séparée des salles de cours par un simple grillage récupéré.

« Notre école est, avec celle du pasteur Harry, les seules écoles du quartier », confie le directeur de l’institution. « Pour moi, c’est un acte de foi pour stopper la délinquance. Nous avons eu plus de 80% de réussite aux examens de la 6e année. Au vu de cela, je peux dire que nous sommes une école de référence. »

À la récréation, c’est l’agitation folle. Dans la rue. On mange, on court, on discute, on chahute. Certains trouvent le temps de passer chez eux ou d’aller faire des jeux plus « cools » avec des amis de l’école voisine. Maître Gilbert doit surveiller tout cela. Dans sa journée, ce directeur joue à la fois les rôles de directeur, de réceptionniste qui reçoit les invités, de responsable de discipline, de père qui doit parfois donner à manger et de bon voisin. Il doit aussi surveiller qu’à la récréation ou à la sortie, voitures ou motos ne heurtent pas ses petits.

Il est de ce petit monde de l’école en Haïti où chaque acteur, du plus modeste au plus nanti, doit s’inventer au quotidien et donner du sens à sa cour de récréation.

AUTEUR

Dumas Maçon


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