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Éducation, le difficile pari du virage vers la qualité

vendredi 27 mars 2015

Sur la cour du lycée Firmin en ce mercredi matin frisquet, entre des murs griffonnés de graffitis qui renvoient à des adolescences évaporées, des élèves tuent le temps entre de grands rires. Cette fois-ci, pas de grève des enseignants. Mais certains s’amusent à ne pas se présenter en salles de classe dépourvues elles-mêmes de lecteurs biométriques qui devraient déjà être installés dans tous les lycées de la République. « On devrait avoir un cours de mathématique », lâche, sournoisement, un élève de seconde, loin des 12 mesures appelées à aider au remodelage du système éducatif.

Non loin de l’avenue Charles Summer où siège le lycée Anténor Firmin, le ministre de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, Nesmy Manigat, souligne, depuis son bureau de l’avenue Jean-Paul II, que l’installation de ces dispositifs est retardée à cause du processus de régularisation d’environ cinq à six mille enseignants ayant intégré le système éducatif sans une lettre de nomination. Tout est encore une nouvelle fois renvoyé sine die. Serein, Nesmy Manigat égrène une à une les plaies du système, mais passe surtout en revue l’état d’avancement des 12 mesures qui devraient stopper l’hémorragie du système éducatif haïtien. « On avance avec beaucoup de détermination dans leur mise en œuvre », dit-il, soulignant que la commission nationale de la réforme du curriculum constitue l’acte majeur de leurs actions.

« La condition essentielle de la réussite de ces mesures repose sur un dialogue constant avec les partenaires du système. Elles ne sont pas toutes de même nature. Certaines sont de nature administrative, pédagogique […] », poursuit, posément, Nesmy Manigat, accompagné de son chef de communication. Mais parmi ces mesures, il y en a qui sont plus urgentes que d’autres. « Plusieurs milliers d’enseignants sont déjà recensés. On finalise actuellement les bases de données », selon l’économiste, qui rappelle que de grands pas sont également déjà franchis en ce qui a trait à la remise des Permis provisoires d’enseigner (PPE) et surtout des Cartes d’identité d’établissements (CIE).

Conscient que les mouvements perpétuels de grève des enseignants affectent le processus, Nesmy Manigat affirme néanmoins que la distribution des PPE et des CIE devrait prendre fin à partir du mois de juin prochain. Dans le même ordre d’idées, des séminaires de formation ont pu avoir lieu à l’intention des directeurs des lycées du pays. « Tous les dix départements sont déjà touchés », révèle-t-il, rappelant que dans l’Ouest, le Sud-Est, le processus a déjà pris fin et, dans d’autres départements, il est en cours. Dans cette quête constante vers la qualité, la plus prochaine étape devrait s’articuler autour de la formation des enseignants.

« Le MENFP est prêt »

L’une des 12 mesures qui a le plus alimenté les débats reste la question de la réalisation d’un bac unique pour couronner le cycle d’études classiques tant qu’on sait qu’ici les examens tenus dans certaines écoles se tiennent dans la tricherie, dans le désordre… Les chefs ne laisseront rien au hasard. « On va accompagner les directions départementales pour prendre les choses au sérieux. Il y a aussi toute une mobilisation là-dessus. Le MENFP est prêt », explique Nesmy Manigat. Le successeur de Vanneur Pierre indique, sans demi-mesure, que plus de 300 millions de gourdes sont récupérées suite à l’annulation du baccalauréat première partie. « Nous étions parmi les rares pays à avoir encore maintenu ce modèle : la réalisation de deux examens officiels pour élèves du bac I et II. Lequel, sans avoir une grande valeur pédagogique, était très coûteux. »

Pour mieux diagnostiquer les différentes faiblesses du système, il ne suffit pas de constater la réussite de certaines de nos progénitures et l’échec d’autres. Pourquoi l’enfant a échoué ? Comment y remédier ? « La plus grande déficience du système d’évaluation scolaire haïtien est qu’il s’est toujours gardé d’analyser les causes de l’échec et travailler là-dessus », estime Nesmy Manigat, motivé à suivre les traces de l’ancien ministre Bernard. « Quand l’État organise un examen, il doit également s’évaluer, analyser la performance des enseignants, celle des élèves […] »

En ce qui concerne l’intégration des étudiants de l’Ecole normale, Nesmy Manigat croit que c’est une mesure-phare. « Celle-ci a le mérite de prioriser tous ceux ayant le diplôme, les habilitant à enseigner », justifie-t-il, soulignant qu’environ 200 jeunes issus de la dernière promotion de l’ENS seront titularisés comme enseignants dans le système à partir de ce mois d’avril. Contrairement à ce qu’affirme le ministre, une source bien informée au niveau de l’École normale supérieure affirme, entre deux soupirs, qu’il n’en est pas question. « Oui, quelques dizaines sont fraichement recrutés pour des stages aux Gonaïves, à Port-au-Prince, mais ces 200 professeurs dont il parle, je n’en suis pas au parfum. »

Avec, dans sa besace, des dossiers délicats à gérer dont celui du PSUGO qui est lui-même source de grogne et d’insatisfaction, l’homme des 12 mesures n’est pas du genre à capituler. Même s’il reconnaît que l’entropie du système est telle qu’il est capable de se rebeller à la moindre circulaire, Nesmy Manigat n’en démord pas. « Les derniers chèques sont en passe d’être remis », plastronne-t-il, sans donner de date, soulignant, à demi-mot, ne pas se sentir impuissant face à un système tout au moins résistant au changement dans sa configuration.

Réformer le curriculum pour un autre homme haïtien

« Le MNEFP publiera dans les prochains jours, via support papier, la liste exhaustive des écoles privées ayant reçu les subventions du début du programme jusqu’à aujourd’hui », promet Nesmy Manigat avant de rappeler l’impérieuse nécessite de structurer financièrement les programme et intégrer les écoles qui méritent d’en faire partie. Soulignant au passage que la réforme du curriculum lui tient beaucoup à cœur et qu’on sait qu’une commission a été créée à cet effet, l’homme des 12 mesures explique que cette structure pluripartite poursuit son travail. Mais une chose est sure, le cours d’éducation civique sera ajouté dans le programme de formation de l’écolier haïtien. « Il est anormal qu’un jeune, après 13 ans de scolarité, n’ait jamais lu un article de la constitution de son pays. »

33ème ministre de l’Éducation nationale depuis la réforme de Bernard, Nesmy Manigat, qui concède qu’il y a un terrible problème de continuité dans la mise des programmes de réforme en Haïti, se veut confiant : « Nous essayons à mettre beaucoup de garde-fous tout en cherchant l’adhésion d’autres acteurs concernés par la chose éducative dans la mise en œuvre des mesures. »

Comme pour insinuer que ses 12 mesures que le président de la République avait qualifiées d’ « historiques » fin 2014 lors de la publication des résultats catastrophiques des examens officiels se projetteront dans la durée, Nesmy Manigat parie sur la mise en œuvre du Pacte national de l’éducation – lequel devrait être la résultante du forum des anciens ministres de l’Éducation. « On compte le présenter aux éventuels candidats à la présidentielle », avoue-t-il, rappelant que ce document sera de nature à aider les acteurs de la chaine éducative à s’entendre sur trois à quatre points capitaux susceptibles de couper court à la machine de la malformation massive.

Dans l’intervalle, le système reste et demeure ce qu’il est avec toutes ses béantes plaies qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain. La bonne volonté et l’apparente détermination du ministre ne seront qu’un catalogue de bonnes intentions sans une prise de conscience collective sur la nécessité de renverser la vapeur.

AUTEUR

Juno Jean Baptiste

jjeanbaptiste@lenouvelliste.com


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