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22 février 1358. Étienne Marcel empêche les émeutiers d’égorger le futur Charles V, il le paiera cher.

dimanche 22 février 2015

Le prévôt des marchands de Paris épargne le jeune dauphin pensant pouvoir le manipuler. Mauvais calcul. Il le paiera de sa vie


Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Sous les yeux du dauphin épouvanté, les émeutiers conduits par Étienne Marcel massacrent les maréchaux de Champagne et de Normandie. Le futur roi de France Charles V se voit embroché à son tour. Il vacille, perd un instant connaissance et se serait effondré si le prévôt des marchands de Paris ne l’avait pas soutenu. Étienne Marcel fait reculer les émeutiers et, s’adressant au jeune prince de 20 ans, lui affirme n’avoir rien à craindre. Et pour mettre le dauphin définitivement à l’abri de la vindicte populaire, Étienne Marcel le coiffe de son propre chapeau rouge et bleu, aux couleurs de la ville de Paris, le signe de ralliement des émeutiers. En échange, il s’empare de la toque à glands dorés de Charles pour la poser sur sa propre tête. C’est ainsi qu’Étienne Marcel sauve la vie du futur roi de France. Mais quel mauvais calcul ! La prochaine occasion ne se présentera que dans 435 ans, quand Louis XVI sera raccourci par la guillotine.

Depuis 1354, Étienne Marcel est le prévôt des marchands de Paris, concentrant le pouvoir économique de la capitale française, la plus grande ville d’Occident. Lorsqu’il épargne le dauphin, il a entre 48 et 56 ans. Sa date de naissance exacte est inconnue. Ce riche drapier s’est fait le champion de la petite bourgeoisie parisienne qui gagne en puissance depuis plusieurs décennies. Celle-ci veut sa part du gâteau, confisquée jusque-là par la noblesse et le clergé. C’est Marcel qui décide de déménager la Maison aux Piliers, siège de la prévôté, sur la place de la Grève, l’actuelle place de l’Hôtel-de-Ville. En 1358, la France est en pleine chienlit car son ringard de souverain, Jean II, a voulu faire la guerre aux Anglais à l’ancienne. Selon les principes de la chevalerie. Bilan : les Anglais lui mettent la pâtée à la bataille de Poitiers, en 1356, et, depuis, il moisit dans une geôle outre-Manche.

Armés de pics, de pioches, de fourches, d’épées et de haches

Son jeune fils Charles est devenu le régent d’une France dévastée par une crise morale, politique et économique. Il lui faut de l’argent pour engager des mercenaires afin de ramener le calme dans le pays, en proie à des bandes de pillards. Inutile de dire que son autorité est plus que faible. Étienne Marcel veut en profiter pour imposer une monarchie constitutionnelle, laissant la bride sur le cou aux grandes villes du royaume. Il revendique pour elles un nouveau statut copié sur celui des cités flamandes, italiennes ou de la Hanse. Lors de la réunion des états généraux, le prévôt des marchands accorde au régent le droit de lever des impôts en échange de la "grande ordonnance". Le roi accepte une monarchie contrôlée et un vaste plan de réorganisation administrative le mettant sous tutelle. Bien joué, Marcel ! Sauf que le dauphin traîne les pieds pour l’appliquer, obligeant ainsi Étienne Marcel à agir par la force.

Désireux d’impressionner le dauphin, le maître de Paris convoque ses troupes. Le 22 février, il rassemble sur la place Saint-Éloi (île de la Cité) 3 000 artisans armés de pics, de pioches, de fourches, d’épées et de haches. Certains ont trouvé un casque pour se protéger la tête, d’autres ont enfilé une vieille cuirasse rongée par la rouille. Direction le palais royal. Pour se donner du courage, les hommes entonnent des chants de guerre, crient des menaces contre le dauphin et les aristos. Au fil de la marche, la foule grossit. Devant l’église Saint-Landry, aujourd’hui disparue, le cortège tombe sur Renaud d’Acy, l’officier du roi qui a négocié le traité de paix avec les Anglais. On le reconnaît. Le voilà pris à partie. Il veut s’expliquer, mais déjà on l’agrippe. Il s’arrache aux émeutiers, trouve refuge dans une boulangerie. Il n’a pas le temps de se cacher que plusieurs épées le percent à la poitrine, au ventre. Il s’écroule dans une mare de sang. Des partisans qui l’accompagnent sont tués avec lui.

Grossière erreur

La foule surexcitée poursuit sa route vers le palais de la Cité. Ce premier meurtre enivre les émeutiers qui forcent la porte du palais avant de se répandre dans les cours, dans les bâtiments. Le prévôt des marchands pénètre dans la salle où se trouve le dauphin, fort apeuré. Il lui dit : "Seigneur, mon duc, ne vous effrayez pas ; nous avons une exécution à faire ici ; car il est ordonné, et il convient qu’il soit fait." Puis, se tournant vers les hommes armés qui l’entourent, il leur ordonne de faire leur devoir. Les émeutiers se jettent sur le seigneur de Conflans, maréchal de Champagne, pour l’assassiner sauvagement sous les yeux du dauphin, dont la tunique juponnée est éclaboussée de sang. Le maréchal de Normandie, Robert de Clermont, qui tente de se planquer dans une chambre voisine, est égorgé aussi sec.

L’entourage de Charles s’enfuit, terrorisé, le laissant seul au milieu de la plèbe armée et vociférante. Le jeune prince de 20 ans est pris d’étourdissement, il se voit déjà perdu. Et il aurait probablement été tué à son tour si Étienne Marcel ne l’avait pas protégé en le coiffant de son chaperon rouge et bleu aux couleurs de Paris. Le drapier commet là certainement sa plus grande erreur. Il épargne le frêle dauphin, croyant pouvoir le contrôler aisément. Erreur fatale ! Par la suite, le jeune prince se révélera un excellent politique et reconquerra le pouvoir. Les cadavres des deux maréchaux sont traînés jusqu’à la cour pour être exposés sur une table de marbre.

Ennemi héréditaire

Laissant le dauphin au palais, Étienne Marcel court à la Maison aux Piliers pour s’adresser, depuis une fenêtre, à la populace parisienne massée sur la place de Grève. "Parisiens, nous venons de faire un grand exemple, et de prendre un grand engagement. Depuis longtemps, on méprisait nos supplications, on ne tenait compte de nos sacrifices, on se riait de nos misères. Le peuple lassé s’est levé enfin contre ses oppresseurs. Le glaive du peuple vient de hâter une justice trop tardive et d’immoler à la liberté les principaux instigateurs de la tyrannie. [...] Parisiens, décidez maintenant si je mérite l’infamie ou l’estime, l’échafaud ou l’honneur de vous conduire. [...] Français, souvenez-vous que vous êtes aussi les fils et que vous portez le nom de ces guerriers francs qui ont fondé ce royaume par leur valeur. Si vos ancêtres, tous soldats, n’ont point eu, comme les aïeux de ces nobles si hautains, des domaines et des fiefs à nous transmettre, du moins ils étaient libres. Pourquoi les nobles prétendraient-ils avoir hérité du droit de vous opprimer, plutôt que vous, de la liberté ?" La foule lui fait un triomphe. Alors le prévôt, fort du soutien populaire, retourne auprès du dauphin pour lui dicter ses conditions. Celui-ci joue profil bas. Il va jusqu’à excuser le prévôt pour les meurtres de ses deux maréchaux. Il proteste de son amitié pour les Parisiens et accepte deux pièces de drap, l’une rouge et l’autre bleue, pour y tailler des chaperons destinés à ses courtisans.

Étienne Marcel croit avoir gagné la partie. Il se retire après avoir donné l’ordre de faire inhumer secrètement les deux maréchaux dans l’église Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers (aujourd’hui disparue). Mais son triomphe est de courte durée. Le dauphin finit par s’enfuir de Paris. Par peur des représailles, Étienne Marcel fait armer les Parisiens, achève les fortifications de la ville. Il fait l’erreur de faire appel au roi de Navarre, Charles le Mauvais, l’ennemi héréditaire. Les troubles s’accentuent. Jouant la carte anglaise, le prévôt se met à dos une partie des Parisiens. Le drapier est dans de sales draps. Il finit par se faire assassiner le 31 juillet 1358. Six ans plus tard, après la mort de son père à Londres, le gentil dauphin devient roi de France.

C’est également arrivé un 22 février

1997 - Le monde apprend l’existence de Dolly, le premier animal cloné.

1987 - Premier vol d’essai de l’Airbus A320 qui entrera en service l’année suivante.

1942 - Joseph Darnan crée le Service d’ordre légionnaire pour « lutter contre la démocratie et la lèpre juive ».

1940 - À 5 ans, Lhamo Dondrup est intronisé 14e dalaï-lama à Lhassa et prend le nom de Tenzin Gyatso.

1917 - Le sergent Mussolini est blessé par l’explosion accidentelle d’une bombe moutarde.

1848 - Manifestation monstre des Parisiens contre le roi Louis-Philippe. Ralliement de la Garde nationale.

1819 - L’Espagne cède la Floride aux États-Unis.

1680 - L’avorteuse empoisonneuse Catherine Deshayes, dite La Voisin, est brûlée vive en place de Grève pour sa participation à l’affaire des poisons.

1619 - Marie de Médicis rejoint le duc d’Épernon pour combattre son fils, Louis XIII.


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