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Haïti : une agriculture toujours à la traîne !

samedi 14 février 2015

Trois (3) ministres de l’Agriculture pour un petit mandat de cinq (5) ans. Et Dieu seul sait comment cela finira, car on n’est pas au bout de nos peines. Comme dans un match de basket-ball où tout peut se passer en 1 minute 30 secondes, tout peut se passer en 1 an et demi dans l’exercice du pouvoir par un chef de l’exécutif livré à lui-même tel un enfant dans un champ de mines antipersonnel.

Beaucoup diront que le Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) n’a pas encore de ministre effectif, étant donné que ce dernier n’arrive toujours pas à occuper son bureau depuis son installation, à Damien. Cependant, je me demande, au regard de la situation du secteur agricole en Haïti, si ce ministère avait un ministre de l’Agriculture effectif durant ces dix (10) dernières années.

J’ai toujours eu ce souci des résultats en lieu et place du discours qui a tendance à tourner au propagandisme. Et c’est pourquoi je vous invite à regarder les chiffres avec moi en posant les bonnes questions.

D’abord, pourquoi un ministère de l’Agriculture ? À quoi cela devrait-il servir ?

Je conçois un ministère comme un outil étatique, avant tout politique, qui souhaite, grâce à la mise en place de politiques publiques, résoudre un problème national dans un secteur d’activités (agriculture par exemple), dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie de la population, par la création et la distribution plus ou moins juste de la richesse, en utilisant la création d’emplois comme levier.

Ainsi, un ministère de l’Agriculture devrait pouvoir favoriser la création de richesse par l’emploi. Dans le cas d’Haïti, cette structure étatique politique devrait être en mesure de mettre en place des mécanismes pour le développement rural, comme son nom l’indique. Ce dernier objectif rend encore plus difficile la tâche de ce ministère, car le développement du monde rural fait intervenir d’autres secteurs d’activités comme le commerce, l’énergie, l’industrie, le tourisme, la santé, l’éducation, les infrastructures routières, les aéroportuaires, les portuaires, les télécommunications, etc.

Dans l’état actuel des choses, comment ce ministère peut-il créer de la richesse, quand on sait que toutes les politiques publiques mises en œuvre depuis les trois (3) dernières années sont plutôt favorables à l’importation ?

Les experts de la Banque mondiale pensent que c’est la position géographique d’Haïti qui empêche à ce pays de recouvrer sa souveraineté alimentaire. On peut lire sur leur site Internet[i] que « du fait de son emplacement dans le bassin des Caraïbes, le secteur agricole d’Haïti est exposé aux ouragans et aux tempêtes tropicales. En outre, la détérioration de l’environnement a contribué à aggraver les risques naturels ainsi que les inondations et la sécheresse. Les cultures haïtiennes ont été gravement endommagées en 2008 par quatre tempêtes qui ont causé des dégâts directs estimés à environ 200 millions de dollars. Le séisme de magnitude 7.3 de janvier 2010 a surtout frappé des zones urbaines, mais il a aussi causé des pertes agricoles à hauteur d’environ 31 millions de dollars. De plus, le niveau très bas de l’investissement public et privé dans l’infrastructure agricole rend pratiquement impossible la mise en œuvre de stratégies qui permettraient de prévenir les risques de catastrophe naturelle ou d’en réduire l’impact. Par exemple, l’absence de protection des bassins hydrographiques et les déficiences des systèmes d’irrigation sont des facteurs d’inondation et de sécheresse majeurs. Enfin, la position budgétaire médiocre de l’État restreint le financement de la préparation et de la réponse aux catastrophes naturelles ». On peut voir à partir de ce texte que tout le problème de l’agriculture haïtienne tourne autour de catastrophes naturelles. Cependant, est-ce vraiment le cas ? La Banque mondiale ne dit rien sur les plans d’ajustement structurel qui ont complètement appauvri le pays sur lesquels tous les économistes sont unanimes, aujourd’hui, qu’il faut retravailler. Par ailleurs, je n’arrive pas à comprendre pourquoi un tremblement de terre qui a dévasté la zone métropolitaine de Port-au-Prince et une partie de Petit-Gôave puisse causer autant de tort à une agriculture qui devrait se pratiquer dans des villes de province qui n’ont pas été touchées par ce phénomène géologique. Quand un expert dit qu’on est mort, même lorsqu’on respire, il faut accepter son sort !

Ensuite, quels sont les résultats obtenus à partir des politiques appliquées pour développer le secteur agricole ?

Il faut se rappeler que, jusqu’en 1800, le secteur agricole représentait plus de 90% du PIB du pays. En 2014, ce secteur ne représente que 25% du PIB. Des recherches montrent que le grand responsable est le processus éclair de la tertiarisation de l’économie haïtienne. Cela est un élément de la réponse. Mais je crois aussi que les politiques publiques sont les outils par lesquels ce déclin a commencé. Il s’en suit l’envahissement des marchés par des produits importés, puis l’appauvrissement du monde rural haïtien. Quand les structures étatiques n’arrivent pas à prendre en main la destinée d’un pays, il se trouve que la nature développe une forme d’économie populaire qui gère le statu quo.

Des décisions politiques ont fait passer les droits de douane sur le riz de 35% à 3%. Comme conséquences, (i) le pays n’est plus autosuffisant en riz depuis la fin de 1980 et (ii) les États-Unis d’Amérique ont submergé le pays de riz et de produits agricoles variés. La République dominicaine est le principal pays gagnant de l’état de délabrement du pays ! Cette situation a provoqué la décapitalisation des petits paysans agriculteurs. Depuis 2008, Haïti importe chaque année pour plus de 80% de sa consommation de riz.

Cette libéralisation des échanges ne permet pas à l’État de subventionner son agriculture, alors que les États Unis d’Amérique peuvent le faire, ainsi que l’Union européenne. Une expérience plus que suicidaire pour nos concitoyens.

La décision politique qui est à l’origine de l’établissement de la zone franche dans la plaine de Maribahoux est un exemple type de catastrophe du dirigisme gouvernemental. En effet, sur le (i) plan économique, cette structure met irrémédiablement en faillite le peu d’exploitations agricoles restantes en diminuant progressivement le rendement des cultures. Je ne veux pas oublier, non plus, les conséquences pour un secteur touristique qui se mouvemente, en risquant de polluer la côte nord-est du pays. (ii) Sur le plan environnemental, il y a possibilité de puits acides dans la zone et épuisement de la nappe phréatique, selon une étude réalisée récemment.

Toutes ces mauvaises attitudes ne font qu’écarter les investissements du secteur privé et nourrissent le découragement des paysans agriculteurs.

Les lois de finances publiques trahissent les intentions du gouvernement sur les grandes affiches qui jonchent chaque coin de rue de la capitale et des principales villes du pays. Car sur chaque 100 gourdes rentrées dans les caisses de l’État, seulement 3 gourdes en moyenne vont à l’agriculture. Les impôts et taxes servent au fonctionnement des grands fonctionnaires publics et non à de véritables investissements dans le secteur.

J’ai pris le temps de comprendre et d’apprécier le dernier rapport du ministre de l’Agriculture sortant, M. Thomas Jacques. De même que ce n’est pas seulement la qualité de la vie (augmentation de biens et de services) qui fait le bonheur d’un couple marié, car il faut de l’amour et du respect avec, il en est ainsi pour le développement agricole qui ne s’accompagne pas seulement de programmes et projets d’infrastructures, mais aussi du bien-être de la population rurale surtout. Ce bien-être doit être visible à travers la capacité de la population à se procurer les services sociaux de base (eau, électricité – je ne parle pas de lampadaires-, infrastructures éducatives, infrastructures sanitaires, infrastructures routières et télécommunications), quand ils sont accessibles via le processus de décentralisation et de déconcentration dont notre pays a tellement besoin.

Aujourd’hui, Haïti vit une période très sombre de son histoire. Tous les indicateurs (croissance, taux de chômage, insécurité alimentaire, banditisme, corruption administrative, crise de leadership, ignorance, crise des valeurs, etc.) sont dans le rouge. Les moyens mis en œuvre pour atteindre une forme de sécurité alimentaire sont inefficaces. Nous assistons, malheureusement, à des erreurs classiques de nos dirigeants. Un exemple simple est la prise de la décision de l’ancien gouvernement d’importer du riz en lieu et place de booster la production rizicole. Tout le monde sait qu’il faut investir dans sa production. Car il ne faut pas avoir une vision réductionniste du fonctionnement de l’État. L’État a une espérance de vie beaucoup plus supérieure à celle de ses fonctionnaires. Par-dessus tout, il y a la crise monétaire. L’actuel gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH) invente des tours de passe-passe pour nous assurer, mais personnellement, c’est une pilule trop difficile à avaler. Le pays va mal et c’est visible même par la petite enfance.

J’ai toujours eu du mal à identifier le pays, quand nos technocrates parlent d’Haïti. Je me demande souvent : N’est-ce pas ce petit pays en superficie, évidemment, de 27,500 Km2 que les peaux rouges, avant 1492, avaient divisé en cinq (5) caciquats, y compris la partie orientale de l’île ? À leur époque, les technologies de la communication et de l’information n’étaient pas aussi développées qu’aujourd’hui. Et pourtant, ils ne voyaient pas la nécessité de le diviser même en dix (10) régions ou départements. Je me suis dit qui d’entre nous sont les plus intelligents : eux ou nous ? On ne connaissait pas de pénurie alimentaire à leur époque.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, dans son livre « Un autre monde, contre le fanatisme du marché », parle de la difficulté pour un pays comme Haïti qui n’a pas les moyens de supporter les retournements de leurs recettes d’exportation. Il se trouve que le pays n’a pas de stabilisateurs automatiques tels que l’impôt progressif sur le revenu, l’indemnité sur le chômage et autres mécanismes qui pourraient injecter de l’argent dans l’économie réelle au moment où il s’affaiblit. Cette situation est d’autant plus précaire que la population haïtienne, plus de 80%, est tellement appauvrie, qu’elle n’a plus d’épargne. Conséquence, les banques ne trouvent plus de quoi s’alimenter ou se capitaliser. Donc, elles risquent de s’effondrer si elles veulent garder leur transparence financière. Car, dans pareilles conditions, il faut être courageux pour être honnête. On assiste ainsi à un arrêt brutal du crédit d’investissement, et plus particulièrement au sein du secteur agricole. À partir de ce moment, si rien n’est fait, on commence à assister à la mort lente mais certaine du pays.

Enfin, comment s’y prendre pour rétablir la capacité du secteur agricole à créer de la richesse en Haïti ?

Je le dis à qui veut l’entendre, le pays n’a pas un problème de décideurs politiques instruits seulement à l’heure actuelle. Il y a cette incapacité pour eux de développer cette sensibilité à la culture scientifique qui devrait leur permettre de prendre des décisions rationnelles.

Durant les trois (3) dernières années (2011-2014), les ministres qui se sont succédé à la tête du Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) n’ont pas compris la nécessité d’intervenir sur des éléments socio-économiques qui conditionnent le développement du secteur, sous la direction de leur Premier ministre. Ces éléments, à mon humble avis, ne sont que les moyens de production, le foncier (réforme agraire efficace et réussie), l’accès au crédit d’investissement, et la commercialisation qui est le maître mot. C’est pourquoi il est totalement impossible d’avoir une amélioration des conditions de vie de nos ruraux, dont un indicateur est l’accroissement de leur revenu, sans un changement de modalités dans la répartition des richesses au niveau national.

Le refus du gouvernement en place à baisser le prix du carburant est un témoignage en plus qui vient corroborer la perception de la population sur son désir à travailler à appauvrir encore plus la population. Pourquoi il veut agrandir son assiette fiscale alors qu’il trouve un moyen de redonner du pouvoir d’achat au peuple ? C’est ici la question des infrastructures collectives. Celles-ci sont les seuls moyens pour les agriculteurs d’améliorer leur système de production.

Je reviens au rapport du ministre sortant. On y voit la réalisation d’ouvrages de grande dimension. Mais ces constructions qui mobilisent des capitaux énormes seront utilisés que très peu durant les deux (2) prochaines décennies. Quand seront-elles amorties ? Dans un pays où la durée de vie d’un ministre est de douze (12) mois, combien de priorités peut-il oser avoir ? N’est-ce pas une (1) ou deux (2) priorités à la limite ? Quels devraient être ces priorités ? Répondre à ces questions revient à trouver le grand mal qui empêche le développement réel du secteur.

Il est vrai que le secteur a besoin d’investissement et surtout de crédit d’investissement. Cependant, il faut chercher avant tout qui est aux manettes. Qui sont les véritables meneurs de jeux du secteur agricole en Haïti ? Qu’on ne se montre pas naïf ! Un ministère est un outil politique ! La fin de toute politique agricole favorable à la création de richesse passe obligatoirement par une politique de commercialisation efficace. Comment la commercialisation de nos produits agricoles est contrôlée ? La réponse se trouve dans les programmes d’ajustement structurels. Et qui sont les auteurs et les opérateurs de ces programmes ? Ils se trouvent que ce sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Et c’est à ce niveau que le cadre institutionnel pèse de toute son autorité.

L’incapacité de rembourser ces prêts internationaux a fait du pays un abonné, mais pas obligé, de ces institutions de Bretton Woods. Ces programmes accordent la priorité au rétablissement de l’équilibre économique et budgétaire avec redressement des finances publiques et rééquilibrage de la balance des paiements. Dans un pays où l’agriculture représente un peu plus de 23% du PIB, ces programmes d’ajustement ont une influence dévastatrice sur la définition des politiques publiques de développement agricole. On trouve à l’intérieur de ces ajustements la libéralisation progressive des prix sur le marché intérieur. Voilà le signe pathognomonique du secteur agricole haïtien auquel il faut s’attaquer.

Mesdames, Messieurs, vous êtes en train de passer à côté du problème ! Ce ne sont ni le ministre entrant, ni les secrétaires d’État entrants, ni même le problème récurrent que pose les étudiants de la Faculté d’Agronomie et de Médecine vétérinaire de l’Université d’État d’Haïti qui sont à l’origine du mal curable du secteur, mais je le rappelle encore une fois, ce sont ces plans d’ajustement qui le pilotent. Les premiers pas pour Haïti devraient d’accepter de rejeter ces programmes ou de les renégocier avec comme objectif de travailler sur des politiques agricoles cohérentes et comme mesure immédiate de protéger nos frontières des produits agricoles extérieurs.

[i] http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2013/04/03/agriculture-in-haiti-highly-vulnerable-mostly-uninsured

JEAN-FRANÇOIS Jacob Eliézer Jonas
Directeur général

Ingénieur-Agronome, Licencié
Gestionnaire de Projets, M.Sc.
Économiste de développement, M.Sc.
Doctorant en Sciences de l’Éducation - option : Biologie et Sciences de la vie.
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AUTEUR

JEAN-FRANCOIS Jacob Eliezer Jonas, Doctorant en Sciences de l’Education. Option : Biologie et Sciences de la vie Maitrisard en Economie du Développement


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