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Les pays amis prennent la place des électeurs

lundi 9 février 2015

L’ancien représentant du secrétaire général de l’OEA en Haïti, Ricardo Seintenfus, a une fois de plus pointé du doigt les dérives de la communauté internationale en Haïti. Intervenant vendredi à une table ronde organisée par la chaire Louis-Joseph Janvier sur la question électorale, Seintenfus invite les grandes ambassades et les autres missions diplomatiques à cesser l’ingérence dans les affaires du pays.

Ce ne sont pas les envoyés, spécialement les militaires qui vont apporter des solutions à des problèmes structurels en Haïti. Il faut laisser les Haïtiens respirer, il faut laisser les Haïtiens vivre leur vie », ce sont les propos de Ricardo Seintenfus, ancien représentant du secrétaire général de l’OEA en Haïti. Après avoir quitté le pays en 2011, le diplomate est à nouveau en Haïti. Cette fois pas comme envoyé du Brésil ou de l’OEA, mais comme conférencier. Celui qui est marqué au fer rouge par son passage en Haïti n’a pas manqué de dénoncer les pratiques des ambassadeurs occidentaux en Haïti.

« On n’est pas là comme lors des dernières élections pour donner des leçons de démocratie, on est là pour accompagner Haïti et ne pas se substituer à ses autorités ,à ses institutions et à ses électeurs », a martelé l’incorrigible Seintenfus. Devant le gratin du corps diplomatique, durant trente minutes de parole, le Brésilien a maintenu dans son collimateur les grandes ambassades et les missions diplomatiques, accusées de faire la loi à Port-au Prince.

Pour le docteur en relations internationales, en agissant ainsi, la communauté internationale a toujours eu tort en Haïti. « Le groupe des pays amis d’Haïti répète avec insistance les mêmes erreurs : L’intervention, l’ingérence, le changement des résultats, en se substituant lors de la dernière élection présidentielle aux électeurs eux-mêmes », a soutenu Seintenfus, qui n’a pas mis de l’eau dans sa bouche.

Pour l’ancien représentant du Brésil en Haïti, la communauté internationale est ici pour aider le peuple haïtien. Après onze années passées sous l’occupation de troupes étrangères, le moment est venu de faire en sorte que le seul pays occupé militairement en Amérique en finisse avec cette situation et s’attaque aux problèmes de fond.

A la question « Qui élit nos présidents ? », Ricardo Seintenfus a une réponse, tout au moins concernant l’actuel chef de l’Etat. « Le dernier a eu beaucoup d’électeurs, de grands électeurs. Peut-être aussi le peuple haïtien avec une participation très restreinte dans l’électorat... »

Ricardo Seintenfus affirme plus loin que la communauté internationale a beaucoup trop d’intérêts en jeu en Haïti. Il insiste sur le fait qu’il faut plutôt faut laisser le pays chercher son chemin et renforcer ses institutions. « Il ne faut pas s’immiscer d’une façon éhontée comme c’est le cas dans certains moments de la vie politique nationale et respecter le choix et les décisions des citoyens et des institutions haïtiens. La démocratie n’est pas un produit qu’on achète au supermarché ».

La présence de la MINUSTAH en Haïti est illégale

Seintenfus pointe du doigt la mission onusienne en Haïti. « Du point de vue du droit international, la présence des Nations unies en Haïti est illégale. Elle ne repose pas sur un document reconnu par le droit des traités en Haïti, par la Constitution haïtienne, ni par la Convention de Vienne », a fait savoir le diplomate. Il dénonce l’accord signé par l’ancien Premier ministre Gérard Latortue avec l’Organisation des Nations unies, autorisant le débarquement des Casques bleus dans le pays.

« Le texte qui accorde l’immunité aux Nations unies en Haïti a été signé par Gérard Latortue et non par le président Boniface Alexandre. Ce qui est contraire à la Constitution haïtienne, au droit des traités, à la convention Vienne sur le droit des traités, affirmant que seulement celui qui a la capacité de signer des traités peut donner une efficacité juridique à ces traités. »

Il cite l’article 139 de la Constitution stipulant : « Le président de la République négocie et signe les traités, conventions et accords internationaux et les soumet à la ratification de l’Assemblée nationale ». Le diplomate de carrière s’interroge aussi sur le fait que la crise haïtienne, une crise intestine, une crise longue, mais exclusivement domestique de nature constitutionnelle, électorale et politique a pu déboucher sur une intervention militaire.

L’intervention de la communauté internationale en Haïti à diffèrents niveaux a coûté trente milliards de dollars. Pour seulement le fonctionnement de la MINUSTAH, de juillet 2004 à cette date, pas moins de 8,6 milliards de dollars ont été dépensés. « Qu’est-ce qui se passe pour que tous ces gens, toute cette bonne volonté, tout cet effort extraordinaire n’accouchent finalement que d’une souris ? », se demande Seintenfus.

AUTEUR

Louis-Joseph Olivier

ljolivier@lenouvelliste.com


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