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Grand déballage pour savoir qui élit nos présidents

samedi 7 février 2015

« Qu’est-ce que vous revenez faire au CEP, Opont ? », a balancé Charles Manigat à Pierre-Louis Opont, ancien directeur général du Conseil électoral des dernières élections de 2010 et depuis peu président du Conseil électoral qui organisera les prochaines élections. Sans concession, après un portrait polaroid des élections post 7 février 1986 qu’un mot résume : « brigandage », Charles Manigat a avec l’humour d’un scalpel mis la plaie à nu.
Les élections sont un brigandage. L’une des raisons à tout ça est la faim, la précarité socioéconomique des gens. « La faim n’a pas de fidélité. Point. », a souligné Charles Manigat, pragmatique, témoin de bourrage d’urnes aux élections de 1990. Parce que des élections non crédibles ont enfoncé le pays dans des crises politiques, il importe de dire cette vérité, selon lui.
Sarcastique, Charles Manigat, intellectuel, candidat malheureux aux élections de 1990, interpelle le nouveau président du CEP, Pierre-Louis Opont, l’un des panélistes à la 4e table ronde de la Chair Louis Joseph Janvier de l’Université Quisqueya dont le thème "Qui élit nos président ? " a servi de prétexte à une kyrielle d’intellectuels, d’étudiants, de professionnels du droit… pour questionner la Constitution de 1987, le régime politique et cette transition chaotique vers la démocratie depuis 29 ans.
Charles Manigat a aussi interpellé deux anciens Premiers ministres, trois ex-candidats à la présidence, deux membres du CEP ayant organisé la dernière élection présidentielle à témoigner. « Parlez, dites ce que vous avez vécu ».

Jamais trop tard pour révéler
Laconique, et non sans un certain humour, Pierre-Louis Opont a répondu qu’il est au CEP parce que Charles Manigat a décidé de voter aux prochaines élections au bout de la vague de déballages sur la communauté internationale dont les représentants sont mouillés jusqu’à l’os dans des combines et autres fraudes électorales pour imposer leurs quatre volontés. L’ex-Premier ministre Jacques Edouard Alexis, du lieu de chef de campagne de René Préval, est revenu sur la disparition de 10 % des bulletins de vote lors des élections de 2006 dans une stratégie d’acteurs de la communauté internationale, qui, à l’époque, avaient tout fait pour que se tienne un second tour entre René Préval et Leslie Manigat, a témoigné Jacques-Edouard Alexis, sous les yeux de Mirlande Manigat, coordonnatrice de la Chaire Louis-Joseph Janvier. « Ce sont des responsables de l’international qui ont envoyé les urnes remplies, non décomptées, à la décharge Truitier », a enchaîné Jacques-Edouard Alexis, qui dénonce les alliances entre des éléments de la communauté internationale parfois avec des nantis d’Haïti « pour décider qui dirige Haïti ».
« On refuse le vote populaire », a pesté Jacques-Edouard Alexis, croyant que « nous avons un devoir de maison à faire ». Ce devoir, selon l’ex-Premier ministre, ce sont les sanctions contre des chefs d’ici. L’ex-chef du gouvernement, dans la foulée, a appelé à mettre l’international à sa place. La loi haïtienne permet de déclarer des gens persona non grata. Il faut utiliser cette mesure, a conseillé Jacques-Edouard Alexis, qui a invité à cette table ronde Jude Célestin, son tombeur pendant la course à la candidature de Inite à la présidence en 2010. Jude Célestin, élégant, comme tout droit sorti d’un magazine de mode, a mis en avant la particularité de cette table ronde qui rassemble trois ex-candidats à la présidence. Sobre, disert, efficace, Jude Célestin, que la blague donnait pour muet, a prouvé qu’il peut et sait parler en public. L’ancien poulain de René Préval est dans l‘autocritique. « On accuse le CEP, nous oublions de nous accuser nous-mêmes », a-t-il dit, visiblement content que la vérité sur les dernières élections soit publique, même si c’est après plusieurs années. Evincé de la course à la présidence par des représentants de la communauté internationale au profit de Michel Martelly, Jude Célestin n’est pas revenu sur les pressions exercées sur René Préval par Edmond Mulet, entre autres représentants du Core Group.

Ricardo Seintenfus, mauvaise conscience de l’international, propose un pacte

Sans ménagement, comme il l’a fait par le passé, le professeur Ricardo Seintenfus, ex-représentant de l’OEA, témoin de combines des grands amis d’Haïti et des intrigues pendant les élections de 2010, a taclé la communauté internationale. Non seulement à cause des magouilles de leurs représentants, de véritables proconsuls, mais aussi pour son obstination à maintenir dans le dossier haïtien des erreurs qui ont montré leurs limites. « Il y a une insistance de la communauté internationale à commettre avec insistance les mêmes erreurs », a dit le Brésilien. Des représentants de la communauté internationale « se substituent souvent aux autorités haïtiennes et aux électeurs eux-mêmes », a tempêté Ricardo Seintenfus. Pour illustrer en chiffres cet assistanat, cette mise sous tutelle, l’ex-représentant de l’OEA a indiqué qu’Haïti a coûté en 30 ans quelque 30 milliards de dollars à la communauté internationale. Rien que pour le fonctionnement de la MINUSTAH depuis le déploiement de la mission en 2004, l’ardoise est de 8,6 milliards de dollars US, a expliqué cet académique, qui qualifie en passant d’illégale la présence de l’ONU et sans fondement l’immunité de la mission onusienne pour ne pas indemniser les victimes du choléra. C’est Gérard Latortue, Premier ministre, et non le président Boniface Alexandre, qui avait signé l’accord permettant à la MINUSTAH de se déployer, a insisté Ricardo Seintenfus, qui prévoit la publication en mars d’un ouvrage sur ce qu’il a vécu en Haïti. Revenir sur l’expérience douloureuse de 2010 est comme une thérapie pour l’ex-diplomate.
Pour Ricardo Seintenfus, la véritable plaie qui garantit le statu quo de la politique de l’international en Haïti, ce sont les mauvaises élections. Elections qui coûtent très cher. 44 dollars le vote valide en Haïti contre 2 dollars pour un vote valide dans un pays comme le Brésil. En cette année électorale 2015, le professeur indique avoir l’espoir que son témoignage permettra que l’on commette d’autres erreurs, pas les mêmes tout le temps dans ce pays qui n’est pas en guerre, qui n’a pas de terroristes, mais qui a une force de maintien de la paix sur son territoire.
Pour Haïti, il faut « un pacte de liberté et de garantie démocratique », a appelé le Brésilien, favorable à l’alternance au pouvoir, au respect de toutes les libertés publiques. L’éclatement des forces politiques est tel qu’il leur faut des crises pour exister, ce qui « maintient le pays dans une crise permanente », a-t-il fait savoir, assis à côté de Pierre-Louis Opont, président du nouveau CEP qui devra organiser les prochaines élections et lever le défi de faire mentir les sceptiques qui disent que les mêmes causes produisent les mêmes effets, dans les mêmes conditions.

Opont sort du silence, prend l’opinion publique à témoin

Pierre-Louis Opont, qui a reconnu l’intrusion d’éléments de la communauté internationale pour changer les résultats de la dernière élection présidentielle, a annoncé des dispositions pour fiabiliser un peu plus le processus. « Très souvent, c’est le décideur qui donne le résultat, conserve les éléments de preuves et prétexte de l’incapacité de recompter », a révélé Pierre-Louis Opont, directeur général du CEP présidé par Gaillot Dorsainvil en 2010.
Sans détour, il souligne, pour répondre à la question « Qui élit nos présidents ? », que c’est le peuple haïtien, depuis 1986 qui le fait, conformément à la Constitution de 1987. « Il l’avait fait en 2010 », a enchaîné Pierre-Louis Opont, qui croit qu’on devrait plutôt se demander « En Haïti, qui décide du choix du président élu ? ». Pour Opont, les différents acteurs impliqués dans les élections sont tous coupables avant de détailler les mesures pour mieux recruter les membres des bureaux de vote, photographier les procès-verbaux et ouvrir le contentieux électoral pour réduire l’influence de l’institution électorale à la fois juge et partie en cas de contentieux électoral. Le nouveau président du CEP a indiqué que les membres des BV, issus non des partis politiques mais des forces vives au sein des communautés, devront être connus, faciles à trouver pour répondre, le cas échéant, de fraudes électorales. Il croit qu’il faut sortir de l’incapacité du CEP à faire respecter la loi électorale.

Pour l’agronome Jean André Victor, coordonnateur du MOPOD, les questions importantes débattues pendant toute la journée par des panélistes de choix et un public de qualité sont en réalité accessoires car Haïti est un pays sous tutelle. La bataille qu’on doit mener est celle de la reconquête de la souveraineté nationale, a-t-il dit dans cette salle un peu clairsemée après le lunch où l’appel à l’insurrection civile et civique à été lancé. Comme pour dire qu’on n’a pas le choix, qu’il faut remonter du fond des abîmes en jetant une lumière crue sur le passé, ses ombres, ses démons pour tenter de l’exorciser.
Pas seulement avec des lois, mais également avec de vrais citoyens et citoyennes…

AUTEUR

Roberson Alphonse

robersonalphonse@lenouvelliste.com


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