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2 février 1709. Alexander Selkirk, le vrai Robinson Crusoé, est recueilli après 52 mois de solitude.

dimanche 1er février 2015

Une bible, un mousquet, un couteau, des outils et des chèvres complaisantes, c’est ce qui a permis au boucanier écossais de survivre.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Cher Daniel Defoe, il faut arrêter le rhum. Vous avez fait de Robinson Crusoé un trafiquant d’esclaves, vous le faites séjourner 28 ans sur une île déserte, survivre à une attaque de cannibales et vous le pacsez avec Vendredi. Et pourquoi ne pas leur faire adopter à tous les deux un enfant ? Comme s’il était nécessaire d’inventer toute cette salade pour rendre palpitante l’aventure du boucanier écossais Alexander Selkirk.

Le 2 février 1709, après 52 mois de solitude sur l’île de Más a Tierra appartenant à l’archipel Juan Fernández, au large du Chili, le marin écossais est secouru par le capitaine Woodes Rogers arrivé la veille à bord de la frégate le Duke. Dans un premier temps, Selkirk s’est caché, méfiant. Ami ? Ennemi ? Il ignore encore qu’il s’agit de collègues à lui, des boucaniers anglais - des pirates - qui pillent les vaisseaux et les possessions espagnols avec la bénédiction de l’Angleterre. Le capitaine Rogers envoie une pinasse faire provision d’eau à terre. Mais lorsque le soir s’abat sur l’île, les boucaniers aperçoivent des lumières derrière un promontoire. Un navire français se tient-il en embuscade ? Ou bien encore un vaisseau espagnol ? Branle-bas de combat !

Grande gueule et forte tête

Mais il apparaît bientôt que les lumières sont celles d’un feu allumé par un homme vêtu de peaux de chèvre. Les marins vont à sa rencontre. L’homme ressemble à un animal terrorisé. Il a de la peine à articuler quelques mots. Ce qui le fait prendre, dans un premier temps, pour Joey Starr. Enfin, il parvient à donner son nom : Alexander Selkirk, né en Écosse. À la stupéfaction des boucaniers, il explique avoir été débarqué sur l’île quatre ans et quatre mois auparavant par le capitaine Thomas Stradling, célèbre boucanier. Une fois nourri et vêtu d’habits chrétiens, l’homme qui inspirera Robinson Crusoé à Daniel Defoe narre par le menu son aventure. Planqué au sommet d’un cocotier, revêtu d’une peau de phoque.

L’aventure de Selkirk commence en 1703 quand il est enrôlé par le capitaine Thomas Stradling comme pilote. Il a alors 27 ans. Durant deux ans, le navire écume le Nouveau Monde, dépouillant les Espagnols de leur or. En octobre 1704, Stradling quitte la flotte des boucaniers pour faire route seul vers la côte chilienne. Comme le navire est en piteux état, Selkirk craint qu’il ne soit pas capable de franchir le cap Horn. Aussi demande-t-il au capitaine de mettre rapidement le cap sur un port pour réparer. Stradling refuse. Selkirk insiste. Le ton monte entre les deux hommes. Grande gueule et forte tête, le marin écossais menace de déserter. Il se dit prêt à débarquer sur l’île devant laquelle la frégate vient de jeter l’ancre. Elle porte le nom de Más a Tierra et appartient donc à l’archipel Juan Fernández.

Abattement

Le pilote tente d’entraîner dans sa révolte le reste de l’équipage, qui préfère finalement demeurer loyal au capitaine. Le marin écossais se retrouve donc seul sur l’île. Le naufrage de Robinson Crusoé est une invention de Defoe ! Quand le navire s’éloigne, Selkirk a beau faire des signes pour qu’on revienne le chercher, le capitaine est trop content de s’être débarrassé d’un emmerdeur capable de déclencher une mutinerie à bord. Bientôt, les voiles du Duke disparaissent à l’horizon. Ce n’est pas une blague, Selkirk a bel et bien été abandonné. Il se lamente, crie, insulte la terre entière. Rien n’y fait. Il appelle Denis Brogniart pour lui faire part de son désir d’abandonner Koh-Lanta. Rien n’y fait. Le voilà coincé. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il est doté d’une chance de cocu. Cet abandon lui sauve la vie. En effet, quelques jours plus tard, le Duke est coulé par une tempête, entraînant son équipage de forbans en enfer.

Durant les premiers jours, Alexander traverse une terrible période d’abattement. Puis, peu à peu, son tempérament de dur à cuire reprend le dessus. Si le capitaine du Duke ne lui a pas laissé de nourriture, les marins lui ont, néanmoins, jeté un fusil avec un peu de poudre, des balles, du tabac, une hache, un couteau, une bouilloire, une bible, d’autres livres et ses instruments de mathématiques pour naviguer.

Notre Robinson écossais bâtit deux huttes, confectionne des ustensiles en bois, tue des chèvres abandonnées sur l’île par de précédents visiteurs. Il mange des huîtres, de grosses langoustines. Pour se défendre des rats qui lui rongent les pieds durant son sommeil, il domestique des chats retournés à la vie sauvage. Pas grand-chose ne lui manque, finalement, sinon un compagnon. Pas de Vendredi pour lui tenir la main, seules des chèvres lui rendent aimablement service quand le manque de femmes se fait trop cruel... C’est lui qui l’avouera lors de son retour.

Journal de bord

Deux ans après son abandon, Selkirk aperçoit une voile à l’horizon. Son coeur fait un bond dans la poitrine. Sauvé, enfin ! Le navire jette l’ancre devant l’île. Malédiction, il est espagnol. Si les marins le trouvent, son compte est bon. Il sera tué ou enfermé à fond de cale pour être revendu comme esclave. Aussi se cache-t-il en grimpant au sommet d’un arbre. En voyant les cabanes, les marins espagnols comprennent qu’un naufragé habite l’île. Ils le cherchent partout avant de partir en détruisant le camp derrière eux. Les mois, les années continuent à défiler. À noter qu’aucun cannibale ne débarque dans l’île. Encore une invention de Defoe.

Enfin, le 2 février 1709, après quatre ans et quatre mois de solitude (et pas 28 ans !), le navire anglais de Woodes Rogers jette l’ancre devant l’île. Selkirk est sauvé. Au fil des semaines, Selkirk recouvre la santé, ses réflexes de boucanier. Pendant deux ans, il combat sous les ordres du capitaine Rogers. Il monte en grade, prend le commandement d’un navire capturé. En 1711, une fois fortune faite, les boucaniers regagnent l’Angleterre. L’aventure du marin écossais parvient aux oreilles d’un journaliste qui publie son histoire. À son tour, le capitaine Rogers publie son journal de bord, dans lequel il a parlé de Selkirk. Ces récits inspirent Daniel Defoe pour rédiger son Robinson Crusoé.

Alexander Selkirk, qui se morfond à terre, reprend la mer en 1720. Mais à 44 ans, il n’a plus l’âge d’être boucanier. Il est recruté comme officier à bord d’un vaisseau de guerre anglais partant combattre les pirates dans le golfe de Guinée. Il périt l’année suivante, après être tombé à l’eau lors d’une tempête, à moins qu’il n’ait été victime de la fièvre jaune. On ne le sait pas trop.
C’est également arrivé un 2 février

1990 Frederik Willem De Klerk, président d’Afrique du Sud, annonce la libération de Nelson Mandela.

1979 Le second bassiste des Sex Pistols, Sid Vicious, meurt d’une overdose d’héroïne après une soirée célébrant sa sortie de prison.

1972 Funérailles des 13 victimes du Bloody Sunday à Londonderry, en Irlande.

1935 Premier test positif sur deux criminels du détecteur de mensonge inventé par l’Américain Léonard Keeler.

1933 Madame Lancelin et sa fille sont découvertes sauvagement assassinées par leurs domestiques, les sœurs Papin.

1892 William Painter brevète la capsule de bouteille en métal.

1863 Adoption du pseudonyme de Mark Twain par Samuel Langhorne Clemens.

1852 Première de « La dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils au théâtre du Vaudeville, à Paris.

1440 Frédéric III de Habsbourg est élu empereur romain.

1194 Richard Cœur de lion est libéré après le versement d’une rançon par sa mère.


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