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du monde - "Nous en avons pris plein les yeux, mais il ne faut pas y attacher trop d’importance…"

vendredi 27 juin 2014

Effrayés à l’idée d’une journée sans Coupe du monde, nous avons envoyé un e-mail à quatre journalistes spécialistes de football, jeudi soir, pour prendre le pouls de la compétition après quinze jours de compétition et 48 matches. Nous ne l’avons pas regretté. Voici leurs réponses, pleines d’enthousiasme et de nuance, aux quatre questions-clefs que nous leur avons posées.


1. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé lors de ce premier tour ?


L’événement majeur, c’est la présence de huit équipes américaines en huitièmes de finale

LAURENT VERGNE : Sur le plan du jeu, l’esprit débridé et le nombre de buts, évidemment. Rien ne garantit que nous ne verrons pas un jeu plus restrictif lors des phases finales mais, pour l’heure, nous en avons pris plein les yeux. Sinon, l’évènement majeur, c’est la présence de huit équipes américaines en huitièmes de finale. La moitié du plateau, c’est du jamais vu, mais cela confirme une tendance après 2010. La Concacaf, notamment, ne se résume clairement plus au Mexique aujourd’hui. En deux Coupes du monde, l’Europe n’aura placé que 12 équipes sur 32 dans le tableau de 16. Certes, l’effet "éloignement" joue probablement. Mais il y a vingt ans, aux Etats-Unis, le Vieux Continent avait 10 équipes en huitièmes. Idem au Mexique en 1986. Le rapport de forces s’est clairement inversé.

Les buts, c’est bien ce qui compte le plus dans le football, non ?


MAURICIO SAVARESE : Des buts, des buts et encore plus de buts. Même les Suisses marquent des buts cette année, c’est dire ! Les entraîneurs qui aimaient tant leurs chers milieux défensifs lors de la Coupe du monde 2006 en Allemagne semblent maintenant devenus dingues des milieux de terrain du type "box to box". Du coup, cela a amené une meilleure qualité de passe dans les équipes et, par voie de conséquence, davantage de buts. Et c’est bien ce qui compte le plus dans le football, non ?

C’est la Copa America, pas la Coupe du monde !


ESTELLE DENIS : On a l’impression que cette Coupe du monde c’est plus la Copa America que la Coupe du monde. C’est la force de tous les pays d’Amérique latine et sud-américains. Et puis le déclin de gros pays européens qu’on attendait plus ou moins comme l’Italie, Espagne, Angleterre ou le Portugal.

Aucune globalisation, aucune standardisation du jeu… Plutôt l’inverse

PHILIPPE AUCLAIR : D’abord, le plaisir. L’incertitude. Les surprises, bonnes pour la plupart. Les équipes les plus négatives, la Russie en tête, ont payé cash leur refus de jouer. Mais au risque de jouer les rabat-joie, le fait qu’autant de buts aient été marqués lors de la phase de groupe - davantage que dans quelque autre Mondial depuis 1958 - n’est pas nécessairement le signe que le football international se soit soudain libéré en respirant l’air du Brésil. Ou pas seulement. L’organisation défensive de la grande majorité des équipes laisse sérieusement à désirer, dans le jeu comme sur les coups de pied arrêtés. Un exemple : je n’ai pas souvenir de voir autant de buts marqués directement sur corner dans une grande compétition, alors que toutes les études statistiques menées par l’UEFA (et d’autres) indiquent un déclin de l’efficacité de cette phase dans les rencontres entre clubs. La raison n’en est pas plus d’ingéniosité dans l’art et la manière de tirer ces corners, mais un manque de préparation patent. Et pile au moment où j’écris cela, l’Allemagne ouvre la marque consécutivement à un corner en deux temps sur lequel la défense américaine a oublié les consignes de marquage les plus élémentaires. Cette cascade de buts est formidable pour le spectacle. On a vu des gestes magnifiques. Mais beaucoup de bourdes, aussi, d’erreurs de placement, de boulevards laissés aux attaquants. Espagne-Pays-Bas avait donné le ton. C’est sans doute tant mieux pour les spectateurs, ça ne signifie pas que la qualité du football pratiqué au Brésil soit intrinsèquement supérieure à ce qu’on a vu en 2006 ou 2010. Et certainement pas à ce qu’on a admiré en 1970 et 1982.

Autre observation : une telle diversité de systèmes, 4-2-3-1, 4-3-3, 4-4-1-1, 3-5-2, 5-3-2, 3-4-3 est sans précédent dans un tournoi global, et aucune vérité ne s’est encore dégagée (si tant est que ce soit possible), même si les équipes qui ont opté pour un back three – le Chili, les Pays-Bas, le Mexique, Costa Rica, on oubliera l’Italie – n’ont pas eu à se plaindre de leur choix. Et cela est une excellente chose. On goûte à nouveau au piment des oppositions de style, qui avait tellement manqué lors des éditions précédentes. On n’assistera pas à une révolution comparable à celle provoquée par le 4-2-4 des Brésiliens de 1958, non, mais aucune ‘globalisation’, au sens de standardisation du jeu n’est en évidence. Ce serait plutôt l’inverse. Et là, tant mieux, tout court.


2. Quelle est selon vous la meilleure équipe du tableau des huitièmes de finale ?

Les Pays-Bas et l’Allemagne sont devant sur ce qu’ils ont montré

L. V. : Parmi les 16 rescapés, je place les Pays-Bas et l’Allemagne devant sur ce que ces deux équipes ont montré. Trois victoires, 10 buts marqués pour les Néerlandais, le tout dans un groupe assez relevé. Et les Allemands possèdent un collectif affriolant. Mais il ne faut pas attacher trop d’importance à ce que nous avons vu jusqu’ici. C’est un tout autre tournoi qui commence samedi et l’important pour ceux qui briguent le titre, c’est de tourner à plein régime à partir de ce week-end. Les cimetières du Mondial sont remplis depuis 84 ans d’équipes flamboyantes au premier tour. Surtout, aucune ne me semble au-dessus du lot. Elles ont toutes leurs carences. A mon avis, il n’y a pas d’immense équipe dans ce Mondial, de celles qui marquent durablement l’histoire. Ce sera la limite de cette édition 2014. C’est aussi ce qui la rend si ouverte, donc passionnante.

La meilleure équipe, ce sont les Pays-Bas. Pas de beaucoup


M. S. : Pour le moment, je pense que la meilleure équipe de ce Mondial, ce sont les Pays-Bas. Mais pas de beaucoup. Les Néerlandais ont dominé deux équipes de très bon niveau (l’Espagne et le Chili) et ils ont réussi à le faire en pratiquant un football offensif et agréable. Juste derrière, il y a l’Allemagne, malgré sa performance médiocre contre le Ghana lors de son deuxième match. Mais le Brésil et l’Argentine progressent. La France, aussi, s’est montrée beaucoup plus compétitive que beaucoup ne le pensaient.

Les Pays-Bas, ça fait longtemps qu’on n’avait pas vu un groupe aussi sûr de sa force

E. D. : Aujourd’hui le pays qui m’a le plus impressionné c’est les Pays-Bas, parce qu’ils ont une attaque de feu et je les ai trouvés très bien sur leur dernier match face au Chili alors qu’à la limite ils n’avaient plus rien à gagner. Je les ai trouvés impressionnant. Robben on ne l’a jamais vu aussi bon, pareil avec Van Persie. On parle toujours des problèmes au sein de la sélection néerlandaise, et là ça fait longtemps qu’on n’avait pas vu un groupe aussi sûr de sa force.

Le Chili a fait grosse impression, la Colombie aussi, l’Argentine peut offrir beaucoup plus

P. A. : Personne n’est vraiment au-dessus. De toute façon, il est rarissime qu’une équipe qui donne cette impression en phase de poule aille au bout : l’Espagne de 2006, tellement séduisante, avait été écartée par la France en huitièmes. Aucun des favoris ne convainc totalement. L’Argentine, en qui je vois toujours un vainqueur, a une moitié de défense, les Pays-Bas un tiers d’équipe (RvP, Robben, De Jong… et puis les autres), le Brésil fait peine à voir, Neymar ou pas Neymar, l’Allemagne n’est pas brillante non plus. Je réserve mon jugement sur la France et ses matches en trompe-l’œil ; idem pour la Belgique, que j’imagine bien monter en puissance. Tirer quelque conclusion que ce soit d’un mini-championnat quand on aborde la Coupe proprement dit est un exercice dangereux. Cela dit, le Chili a fait une grosse impression, la Colombie aussi, en jouant (surtout les Chiliens) un football à haut risque, qui donne l’impression d’être un tantinet loco, mais qui a été élaboré avec soin, et est exécuté avec enthousiasme et vivacité. Le seul problème est que ces deux sélections jouent déjà au maximum de leur potentiel, en faisant de grosses dépenses d’énergie. Je reviens à l’Argentine. Malgré son côté bancal et sa Messi-dépendance, elle peut montrer bien plus que ce qu’on a vu jusque-là. Tous les autres me paraissent un peu courts, à l’exception de l’Allemagne, dont je ne sais vraiment que penser.

3. Pensez-vous qu’une équipe non sud-américaine peut gagner le tournoi et pourquoi ?

Comme au moment du tirage, je pense que le titre reviendra au Brésil ou à l’Argentine

L. V. : Soyons clairs, la question est : une équipe européenne peut-elle gagner ? Car je ne vois ni le Nigeria, ni l’Algérie ni les équipes de la Concacaf prêtes à le faire. Du côté européen, l’Allemagne et les Pays-Bas sont clairement les mieux armés. Si un Européen doit aller au bout, ce sera un de ces deux-là. Pourtant, je crois au poids de l’histoire. Il y a eu sept Coupes du monde sur le continent américain. Trois titres pour le Brésil, deux pour l’Argentine, deux pour l’Uruguay. Sans Luis Suarez, la Celeste n’est plus une candidate. Je pense donc la même chose qu’au moment du tirage au sort en décembre dernier : le titre reviendra au final au Brésil ou à l’Argentine même si, pour le moment, ils ne flambent pas et même si ces deux équipes affichent des carences diverses et variées. On ne peut bien sûr pas exclure une victoire européenne, mais j’ai juste du mal à y croire.

C’est une Coupe du monde offensive, l’Allemagne et les Pays-Bas marquent énormément…

M. S. : Oui, une équipe européenne peut gagner ce Mondial. L’histoire des Coupes du monde n’est pas exactement liée à l’origine géographique des vainqueurs. Il faut mettre ça dans une perspective plus générale. Cette année, c’est une Coupe du monde avec une identité offensive, avec beaucoup de buts. Or l’Allemagne et les Pays-Bas sont justement des équipes qui marquent énormément. L’équipe de France a également les moyens d’entrer dans cette catégorie. La Colombie possède également un fort potentiel. Je pense qu’elle doit encore passer un véritable test mais elle a prouvé qu’elle avait bien plus que Falcao à offrir. James Rodriguez est un des meilleurs joueurs du tournoi et on ne s’intéresse pas suffisamment à lui. La Colombie est dans une partie du tableau très compliquée, mais elle possède probablement plus de potentiel pour sortir le Brésil que le Chili ou l’Uruguay.

L’Allemagne et les Pays-Bas vont être difficiles à battre


E. D. : Oui je pense, ça serait la première fois qu’une équipe sud-américaine gagne en Amérique du Sud. Mais encore une fois il y a eu beaucoup de gros qui sont sortis, que ce soit l’Espagne, l’Angleterre, L’Italie et le Portugal hier. Mais franchement les équipes européennes qui sont encore là c’est du costaud. L’Allemagne et les Pays-Bas vont être difficiles à battre. Pour l’instant, le Brésil et l’Argentine, je ne les trouve pas formidable. Il n’y a pas intérêt à ce que Messi ou Neymar se blessent sinon on ne sait pas trop ce qu’on va voir.

L’Argentine est mon favori et le Chili mon outsider

P. A. : Comme l’Argentine est mon favori depuis un bout de temps, et que le Chili demeure mon outsider, je devrais répondre ‘non’. Mais je préfèrerais : ‘pourquoi pas’ ? L’argument climatique me parait aberrant, en ce que la diversité des conditions rencontrées, selon qu’on joue à Recife, Brasilia ou Sao Paulo, ne favorise personne. Ce n’est pas comme si on jouait à Quito ou à La Paz, en risquant l’asphyxie. L’Allemagne, par exemple, va pouvoir souffler un peu après avoir dû livrer ses trois premiers matches dans la chaleur et la moiteur du nord du pays. Des non Sud-Américains éliminés, lesquels étaient des candidats crédibles au titre ? L’Italie, c’est à peu près tout. La grande déception est celle du football asiatique, en net recul. Personne ne pense sérieusement que l’Algérie ou le Nigéria puissent aller plus loin que les quarts, idem pour les nations de la CONCACAF. Restent les six Européens, dont deux ont déjà été champions du monde, et quatre, les Pays-Bas (que je crois pourtant surcotés), la France, l’Allemagne et la Belgique, sont susceptibles d’aller en quarts, avec les moyens d’aller plus loin.

4. Faut-il s’inquiéter pour le Brésil ?

Neymar répond présent, s’il continue, le titre ne sera pas loin

L. V. : Je ne suis ni surpris ni déçu par le Brésil. Il est tel que je l’attendais : limité au plan de la créativité et soumis à une terrible pression qui n’aide pas l’équipe à s’exprimer. C’était presque palpable lors du match d’ouverture. On la sentait tétanisée et ces trois premiers matches ne lui ont pas encore permis de s’affranchir de ce poids colossal. Si inquiétude il doit y avoir, c’est là. La Seleçao a besoin de se libérer. Pour autant, elle est sortie en tête de son groupe, comme prévu. Et si elle peut se trouver en danger contre beaucoup d’équipes, je continue de penser qu’elle sera très difficile à battre chez elle. Les Brésiliens ne vont pas se promener. Mais ils demeurent les favoris dans le haut du tableau. Puis Neymar répond présent. S’il continue à le faire, le titre ne sera pas loin.

Les huitièmes de finale constituent traditionnellement le moment qui construit une référence pour la suite

M. S. : Le Brésil a souvent eu l’habitude d’entrer doucement dans la compétition. Même en 1970 (Le Brésil avait gagné 4-1 contre la Tchécoslovaquie mais n’avait battu l’Angleterre et la Roumanie que par le plus faible des écarts). Les huitièmes de finale constituent traditionnellement le moment qui construit une référence pour la suite de la compétition et dès les quarts de finale, il peut y avoir un parfum de finale en fonction de l’adversaire. Les véritables défis de l’équipe du Brésil sont encore devant elle. Et, peut-être que son meilleur football est aussi à venir.

Pour l’instant, ce n’est pas le Brésil


E. D. : Je suis une éternelle optimiste alors je me dis que ça va monter en puissance et qu’on va enfin voir le Brésil. Moi, il m’avait vraiment enthousiasmé à la Coupe des Confédérations. Il y a un vrai problème de défense. A chaque fois qu’il y a une attaque, on ne comprend pas trop comment ils sont organisés. David Luiz depuis le depuis le début de la compétition il a de défenseur que le poste. Je reste sur le souvenir de la Coupe des Confédérations ou je les avais trouvés extraordinaires. Et j’ai envie de revoir cette équipe du Brésil d’il y a un an seulement. Je ne peux pas croire que cette équipe ait perdu toutes ses qualités en un an. Je pense Fred ressemble aujourd’hui plus au cousin germain de Fred. A un moment, il va retrouver tout son élan et j’espère qu’on va revoir le Fred de la Coupe des confédérations. C’est une nouvelle compétition qui commence pour eux, mais pour l’instant c’est décevant. Ce n’est pas le Brésil.

Le Chili a les qualités requises pour stopper net la caravane publicitaire du Brésil

P. A. : S’inquiéter, non, parce qu’il a si peu montré, justement, et que voir le Brésil tomber avant la finale n’aurait rien d’un désastre ou d’une injustice au vu de matchs de poule médiocres et de ce qui les a précédés. C’est une rengaine entendue depuis des lustres : ‘cette seleçao est la plus insignifiante de son histoire’. On l’entendait déjà en 1994. Le mythe du Jogo bonito, cultivé par l’équipementier de cette équipe, les bandes-son samba que les chaînes collent sur leurs clips de Neymar ne correspondent en rien à l’identité du Brésil de Scolari. Triste, pour citer un titre de Jobim. Le Chili a toutes les qualités requises pour stopper net la caravane publicitaire accrochée au Brésil.
r>Laurent Vergne est l’un des envoyés spéciaux d’ eurosport.fr au Brésil. Il fait partie de la rédaction depuis 2003.

Mauricio Savarese, journaliste brésilien, collabore au magazine Four Four Two. Il est également le co-auteur du livre De A à Zico, un alphabet du football brésilien

Estelle Denis est journaliste et présentatrice de télévision, spécialisée dans le football. Elle co-présente Le Mag de la Coupe du monde sur TF1.

Philippe Auclair est un journaliste et écrivain français basé en Angleterre depuis 1987. Grand spécialiste du football international, il collabore notamment à France Football, RMC, au Guardian et au Blizzard dont il est l’un des fondateurs.


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