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Archéologie : les traces d’une épidémie antique découvertes en Egypte

jeudi 26 juin 2014

Ils travaillaient dans une nécropole mais ne s’attendaient pas à trouver ces morts-là. Dirigée par Francesco Tiradritti, l’équipe de la Mission archéologique italienne à Louxor (MAIL), s’intéresse depuis 1996 au complexe funéraire de deux dignitaires religieux du VIIe siècle av. J.-C., Haroua et Akhimenrou, un vaste édifice de plusieurs pièces ayant des allures de temple. Cependant, au fil de leurs recherches et des années, ces archéologues sont tombés sur plusieurs éléments nettement plus récents, comme autant de pièces d’un puzzle racontant une histoire dramatique. C’est ce puzzle que Francesco Tiradritti vient d’assembler à l’occasion d’un article publié dans le dernier numéro de la revue Egyptian Archaeology.

Il y a eu ces morceaux de squelettes humains découverts en 1997 dans une des salles du complexe funéraire, au sein d’une épaisse couche de chaux. Il y a eu, en 2005, ces fragments de cercueils en bois, dont les plus récents datent du II siècle ap. J.-C., trouvés dans le portique d’entrée. Il y a eu les traces, mises au jour en 2009-2010, d’un énorme bûcher de près de dix mètres de diamètre contenant des restes humains. Et, enfin, il y a eu, plus récemment, la découverte d’un premier four à chaux, puis d’un deuxième, puis d’un troisième, alignés contre un même mur et accompagnés de tessons de poteries et de lampes à huile du IIIe siècle après Jésus-Christ. Neuf cents ans après la mort d’Haroua, qu’avait-on bien pu faire dans son tombeau ?

La date du IIIe siècle de notre ère est l’indice déterminant pour reconstituer l’histoire. A cette époque, l’Egypte appartient à l’Empire romain et, entre 250 et 271, celui-ci est ravagé par une terrible épidémie. Dans son article, Francesco Tiradritti rappelle que, selon certaines sources, au plus fort de cette épidémie, il mourait à Rome jusqu’à 5 000 personnes par jour. Deux empereurs y ont d’ailleurs laissé la vie, Hostilien en 251 après seulement un mois de règne et Claude II le Gothique en 270. Cet épisode historique porte le nom de "peste de Cyprien". Ici le mot "peste" décrit plus le fait épidémique que la maladie en elle-même, l’hypothèse privilégiée aujourd’hui étant celle d’une épidémie de variole. Et pour ce qui est de Cyprien, il s’agit de Saint Cyprien, l’évêque de Carthage (mort en 258), qui combattit le fléau dans sa ville et le décrivit.

Un des ses compagnons carthaginois, le diacre Ponce, parle ainsi de l’épidémie dans sa biographie de Cyprien : « Bientôt éclata un effroyable fléau, un mal abominable qui dévastait tout. Il emportait chaque jour d’innombrables victimes, et attaquait brusquement chacun dans son logis. L’une après l’autre, à la suite, il envahissait les maisons du vulgaire tremblant. Alors, pris d’horreur, tous de s’enfuir, d’éviter la contagion, de jeter indignement à la voirie leurs parents : comme si, avec le moribond atteint de la peste, on pouvait aussi mettre à la porte la mort elle-même. Et par toute la ville, dans les rues, gisaient, non plus des corps, mais des cadavres innombrables de malheureux, qui imploraient la pitié des passants en contemplant mutuellement leur infortune. Personne ne se retournait, si ce n’est pour s’enrichir par la cruauté. Personne ne s’empressait, a la pensée qu’un malheur semblable le menaçait. Personne ne faisait pour autrui ce qu’il eût voulu qu’on fît pour lui. » C’en est au point que l’on croit la fin du monde arrivée.
Un seul mot décrit le sentiment de ceux qui, d’un bout à l’autre de l’Empire, veulent agir contre l’épidémie : l’urgence. C’est cette même urgence que l’on voit à l’œuvre dans le tombeau d’Haroua. On choisit de se débarrasser des cadavres au plus vite pour réduire la propagation de la maladie. On construit à la hâte trois fours à chaux en reprenant les briques du mur d’enceinte d’un tombeau voisin. Pour fabriquer de la chaux vive, que l’on répandra comme désinfectant sur les cadavres des "pestiférés", il faut calciner du calcaire dans un four à très haute température. On ne s’embarrasse pas de fioritures et le combustible provient du bois des cercueils de la nécropole voisine (d’où les fragments retrouvés). Les lampes à huile découvertes sur le site (voir photo ci-dessus) sont probablement celles des chaufourniers qui travaillent y compris la nuit pour mettre du bois dans leurs fours, car la réaction chimique recherchée ne se fait qu’à des températures d’au moins 900°C : il faut que, pendant plusieurs jours d’affilée, jamais le feu ne baisse. Et pour tous les morts que l’on n’aura pas pu enfouir sous la chaux vive (sans trace d’aucun rite funéraire), il reste le bûcher...

Dans la conclusion de son article, Francesco Tiradritti explique que "l’utilisation du complexe funéraire d’Haroua et d’Akhimenrou pour le traitement de cadavres contaminés a donné au monument une mauvaise réputation durable. Cela l’a condamné à l’oubli pendant des siècles, jusqu’à ce que des pilleurs de tombes pénètrent dans le complexe au début du dix-neuvième siècle." Dans le "folklore" égyptologique, on parle souvent des malédictions liées à des sépultures. En voici une qui a duré un millénaire et demi...


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