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Une nouvelle arme contre les superbactéries

jeudi 26 juin 2014

C’est une histoire classique de“ course aux armements : l’utilisation d’une nouvelle arme oblige l’assailli à revoir” ou à moderniser ses défenses, ce qui en retour incite l’attaquant à faire preuve d’inventivité pour redevenir efficace, etc. En l’occurrence, le champ de bataille est notre corps. L’escalade militaire se joue entre, d’un côté, les antibiotiques et, de l’autre, les bactéries qui développent de plus en plus de résistances à ces médicaments, au point qu’à l’occasion d’un rapport présenté le 30 avril l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a assuré qu’il s’agissait là d’une "menace grave d’ampleur mondiale". La menace étant celle d’un monde post-antibiotiques, un monde où ces molécules qui ont sauvé tant de vies deviendront sans effet.

Dans le communiqué de presse de l’OMS qui a accompagné ce rapport, on peut notamment lire : "La résistance au traitement de dernier recours contre les infections potentiellement mortelles causées par une bactérie intestinale courante, Klebsiella pneumoniae, – les carbapénèmes (une classe d’antibiotiques, NDLR) – s’est propagée à toutes les régions du monde. Klebsiella pneumoniae est une cause majeure d’infections nosocomiales telles que la pneumonie, les infections hématologiques ou les infections contractées par les nouveau-nés et les patients des unités de soins intensifs. Dans certains pays, du fait de la résistance, les carbapénèmes sont inefficaces chez plus de la moitié des patients traités pour des infections à Klebsiella pneumoniae."

Cette dernière, avec d’autres, fait désormais figure de superbactérie, grâce à un mécanisme de défense connu sous le nom de NDM-1, pour New Delhi (car il a été identifié pour la première fois en Inde) métallo-bêta-lactamase. Son principe est assez simple. Les antibiotiques tels que les carbapénèmes, la pénicilline et les céphalosporines, tirent leur efficacité d’une particularité de leur structure chimique, le noyau bêta-lactame : il empêche la fabrication de la paroi cellulaire d’une bactérie qui se reproduit. Mais les micro-organismes ont trouvé la parade avec la NDM-1. Grâce au zinc qu’elle contient, cette enzyme parvient à briser le noyau bêta-lactame et à rendre la molécule d’antibiotique inopérante.

Ainsi que le résume Gerry Wright, enseignant-chercheur à l’université McMaster de Hamilton (Canada), la NDM-1 "est l’ennemie publique numéro un. Elle est sortie de nulle part, elle s’est répandue partout et elle a grosso modo tué notre dernière ressource d’antibiotiques, la dernière pilule sur l’étagère, celle dont on se sert pour traiter les infections graves." Gerry Wright dirige un laboratoire spécialisé dans les résistances aux antibiotiques. Son équipe et lui annoncent, dans le numéro de Nature daté du 26 juin, avoir découvert que l’aspergillomarasmine A (AMA), une substance tirée du champignon Aspergillus versicolor, est capable de réduire la NDM-1 au silence. Pour arriver à ce résultat, ces chercheurs ont passé au crible de nombreuses molécules en en cherchant une qui soit attirée par le zinc sans toutefois être dangereuse pour l’organisme. C’est le cas de l’AMA : présentant la particularité de se coller aux ions de zinc, elle occupe ceux que porte la NDM-1 et les empêche de s’en prendre aux antibiotiques qui ont le champ libre pour agir sur la paroi des bactéries !

L’équipe canadienne a d’abord testé sa trouvaille in vitro, sur la collection de souches bactériennes qu’elle a constituée au cours de la dernière décennie, avec des échantillons venant de Russie, d’Inde, du Pakistan, d’Australie, d’Afrique du Nord et d’Amérique du Sud. Dans près de 90 % des cas, quand l’AMA était servie comme adjuvant, les bactéries redevenaient sensibles aux antibiotiques. On est donc passé à la phase suivante, l’expérimentation in vivo. Des souris ont reçu une dose mortelle de la redoutable Klebsiella pneumoniae citée dans le communiqué de l’OMS, ainsi que différents traitements : soit un antibiotique seul, soit l’AMA seule, soit un cocktail des deux. Dans les deux premiers cas, les rongeurs ont tous succombé un jour plus tard. Dans le troisième cas de figure en revanche, plus de 95 % des souris ont survécu à l’infection.

On pourrait croire qu’il s’agit là d’une victoire retentissante dans la course aux armements dont je parlais au début de ce billet. Dans le commentaire qui accompagne cette étude, Djalal Meziane-Cherif et Patrice Courvalin, chercheurs à l’Unité des agents antibactériens de l’Institut Pasteur, rappellent avec prudence que "de nombreux pathogènes abritent plus d’un mécanisme conférant une résistance à une classe donnée de médicaments. Par exemple, des pompes d’efflux dans la membrane de la cellule en retirent les produits chimiques toxiques (ce qui inclut la plupart des classes d’antibiotiques)." Une molécule unique ne pourra à elle seule triompher de tous les mécanismes de défense d’une bactérie et il faut donc concevoir des cocktails d’adjuvants pour aider les antibiotiques à faire leur travail. Toutefois, selon Djalal Meziane-Cherif et Patrice Courvalin, l’étude de Nature a le mérite de montrer que "le réservoir des produits naturels capables d’agir comme des médicaments antibactériens n’a pas encore été épuisé. Contrairement au sentiment général des compagnies pharmaceutiques, passer au crible les molécules connues à la recherche de tels produits pourrait bien avoir encore un brillant avenir."


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