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Les Etats-Unis ont ouvert une boîte de Pandore du pétrole

mercredi 31 décembre 2014

par Timothy Gardner et Jonathan Leff

WASHINGTON/NEW YORK (Reuters) - Le gouvernement américain a ouvert un nouveau front sur le marché pétrolier mondial en autorisant l’exportation de pétrole brut léger, rompant ainsi avec un embargo de 40 ans et ouvrant les vannes à un million de barils par jour (bpj) supplémentaires susceptibles de se déverser sur un marché mondial déjà saturé.

Le département du Commerce a dit mardi qu’il avait approuvé certaines requêtes en souffrance en vue d’exporter du brut ultra-léger, ou condensat, et a publié un document très attendu détaillant les types de pétrole autorisés à sortir du pays.

D’une manière générale, le brut non traité est interdit d’exportation mais ce n’était pas le cas de produits raffinés comme l’essence et le gazole. En revanche, une zone d’ombre subsistait pour le "condensat traité", un pétrole ultra-léger réchauffé par une unité de raffinage banale.

Le Bureau de l’Industrie et de la Sécurité (BIS), organisme régulant les conditions d’exportation des Etats-Unis et dépendant du département du Commerce, a autorisé mardi "certaines" sociétés à expédier du brut léger traité, sans préciser ce qu’il avait précisément autorisé.

Cette décision fera sans doute le bonheur des foreurs locaux, des partenaires commerciaux des Etats-Unis et de certains républicains qui pressaient le président Barack Obama d’assouplir une interdiction qu’ils considéraient comme l’héritage suranné de l’embargo pétrolier décrété par les pays arabes dans les années 70.

"En pratique, cette décision attendue de longue date peut ouvrir toutes grandes les vannes à une importante augmentation des exportations d’ici la fin 2015", commente Ed Morse (Citigroup).

Elle intervient surtout en un moment critique pour le marché pétrolier. Le cours du brut a chuté de moitié à moins de 60 dollars le baril depuis l’été et l’Arabie saoudite, jadis résolue à défendre pied à pied le seuil des 100 dollars le baril, se refuse à réduire la production alors même que la production des schistes américains bat son plein et que la demande mondiale est atone.

Néanmoins, la rupture de l’embargo constitue un appel d’air pour certains producteurs américains qui se plaignent de devoir vendre leur huile de schiste avec une décote pouvant atteindre 15 dollars le baril par rapport au marché international, conséquence d’une production largement supérieure aux besoins proprement locaux.

Le résultat le plus évident de cette nouvelle attitude américain sera une guerre des prix totale, de l’avis de nombreux analystes, dans la mesure où l’Arabie saoudite en particulier et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) en général ne veulent pas céder un pouce de terrain.

De l’avis d’Ed Morse, les exportations de condensats américains pourraient passer de 200.000 à 1.000.000 bpj d’ici la fin de l’année prochaine et, parmi les pays qui auraient le plus à craindre de cet afflux d’or noir américain, figurerait le Nigeria.

Ce dernier, membre de l’Opep, extrait lui aussi un brut de type léger. Il exportait auparavant plus d’un million bpj aux Etats-Unis ; à présent, le flux est tari et il doit en plus subir la concurrence américaine en Europe et en Asie.

Les producteurs asiatiques font eux aussi grise mine, alors même que le continent est le premier acheteur net de pétrole. L’arrivée massive de brut américain pourrait être synonyme là aussi d’une guerre des prix pour conserver des parts de marché.

"Des pays exportateurs comme la Malaisie pourraient subir une baisse des recettes publiques du fait de la baisse des prix de l’énergie, au risque d’une aggravation de la question de la dette", observe Daniel Ang, chez Phillip Futures à Singapour.

En tous les cas, le document du département du Commerce, qui prend la forme d’une série de questions et de réponses (FAQ), laisse une grande amplitude d’interprétation, susceptible de déboucher sur une hausse des exportations et, par contrecoup, sur un rétrécissement du différentiel entre le WTI texan, brut de référence américain, et le Brent de mer du Nord, l’étalon mondial, juge Kevin Book (ClearView Energy Partners).

Mardi, cet écart avait diminué de plus de 50 cents à 3,70 dollars le baril.

(Avec Henning Gloystein à Singapour, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Véronique Tison)


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