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24 décembre 1800. Bonaparte échappe par miracle à un attentat chouan rue Saint-Nicaise

mercredi 24 décembre 2014

L’explosion de la bombe planquée dans une charrette tue 22 passants, dont une fillette chargée par les conjurés de tenir le cheval.


Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Veille de Noël 1800. Deux carrosses sortent du palais des Tuileries, remontent la rue Saint-Nicaise et s’apprêtent à tourner dans la rue Saint-Honoré. À l’intérieur du premier, le premier consul sommeille. Il tombe de fatigue, mais il a promis à Joséphine de se rendre à l’Opéra. Ce que femme veut... Dans un demi-sommeil, il fait un cauchemar quand une formidable explosion le tire de sa léthargie. Berthier, Lannes et Lauriston qui l’accompagnent se regardent, effarés. Des projectiles tombant du ciel heurtent le carrosse. Des hurlements, des hennissements. Des corps s’effondrent sur le pavé. "Nous sommes minés !" s’écrie Bonaparte, qui fait signe à son cocher César de fouetter les chevaux pour s’éloigner au plus vite. Pas une seconde le futur vainqueur d’Austerlitz ne se préoccupe du sort de Joséphine, d’Hortense et de sa soeur qui suivent dans un deuxième carrosse. Il se préoccupe seulement de savoir si Manuel Valls est sain et sauf...

Bonaparte vient d’échapper d’un cheveu à un attentat à la voiture piégée. Peut-être le premier de l’histoire. Derrière lui, il laisse sur le pavé parisien vingt-deux morts parmi les passants et une centaine de blessés. Parmi les victimes, une fillette, complètement déchiquetée, prénommée Marianne. L’un des conjurés lui avait demandé de tenir par la bride le cheval attelé à la charrette piégée, en échange de quelques piécettes.

Une machine infernale

L’attentat de la rue Saint-Nicaise n’est pas le premier à menacer la vie de Bonaparte. La police a déjà déjoué plusieurs complots. Les Jacobins veulent sa peau. Les royalistes aussi. Mais le premier consul n’hésite pas une seconde pour désigner les coupables : ce sont les Jacobins ! Il s’entête, même si son ministre de la Police, Fouché, a l’intime conviction que les chouans ont fait le coup. Sans attendre, le premier consul fait condamner et expulser de France ses opposants de gauche. C’est qu’il est malin, le petit Corse, il se sert en fait de l’attentat pour éliminer son opposition politique. "Envoyons Mélenchon en terre Adélie, cela le calmera !" lance-t-il à Fouché.

Ce dernier a pourtant entièrement raison, les organisateurs du complot sont bel et bien des chouans. Pas Georges Cadoudal comme la rumeur le prétend, mais deux Bretons nommés Édouard de La Haye-Saint-Hilaire et André Joyaux d’Assas. Lesquels ont confié la sale besogne à trois hommes de main : François-Joseph Carbon, un chouan de 44 ans qui a longtemps combattu en Vendée, Pierre Picot de Limoëlan et le comte de Saint-Réjeant. Après avoir mûrement réfléchi, les conjurés optent pour une machine infernale explosant au passage du carrosse de Bonaparte. Ils demandent conseil à Ben Laden qui leur donne l’idée d’installer un tonneau de poudre sur une charrette... C’est ce qu’il y a de plus pratique. Carbon s’empresse d’acheter une carriole et un cheval à un négociant en grains parisien nommé Lambel à qui il explique vouloir transporter du sucre brun jusqu’à Laval. Le véhicule est entreposé dans une remise au 19, rue de Paradis où les trois terroristes louent un logement. Ils prennent cinq jours pour fixer sur la charrette un grand tonneau à vin qu’ils cerclent de dix bandes en fer.

Douze sous pour la fillette

La décision est prise de placer leur engin sur le chemin qu’empruntera probablement Bonaparte pour se rendre à l’Opéra le soir du 24 décembre. On y jouera la première de l’oratorio de Joseph Haydn, Die Schöpfung. Saint-Réjeant est envoyé en éclaireur pour choisir le meilleur emplacement possible. Il se décide pour l’extrémité de la rue Saint-Nicaise (aujourd’hui disparue), juste avant le croisement avec la rue Saint-Honoré, pas très loin du Théâtre français. L’endroit est symbolique, car c’est là que Bonaparte a fait tirer au canon sur les royalistes, le 13 vendémiaire de l’an IV. Dans l’après-midi, Carbon et Limoëlan conduisent la charrette dans un immeuble abandonné au nord de Paris où ils remplissent le tonneau de poudre (certains témoignages parlent de deux tonneaux). Une bâche cache le chargement à la vue des passants. Les deux terroristes rajoutent encore du fumier, du foin, de la paille, des moellons ramassés en chemin.

Les voici en route pour la rue Saint-Nicaise. Limoëlan descend de charrette à l’angle de la place du Carrousel et de la rue Saint-Nicaise, où il se poste pour servir de guetteur. Dès que le consul sortira du palais des Tuileries, il est chargé de faire signe à ses complices pour qu’ils allument la mèche. Carbon poursuit sa route avec la machine infernale jusqu’à l’endroit choisi par Saint-Réjeant pour la faire stationner. C’est alors qu’il fait signe à une fillette d’approcher pour demander de tenir la jument quelques minutes en échange de douze sous. Fille d’une marchande de quatre saisons de la rue du Bac, elle se nomme Marianne Peusol. Le chouan la sacrifie sans aucun état d’âme. Son stage en Afghanistan lui a appris à ne pas s’inquiéter des dommages collatéraux...

"Ces coquins ont voulu me faire sauter"

Vers 18 h 30, Bonaparte, Joséphine, Hortense et quelques invités finissent de dîner aux Tuileries. Paresseux, Bonaparte se ferait bien une soirée télé. Canal+ retransmet un match du PSG avec Ibrahimovic... Mais il a promis d’accompagner Joséphine à l’Opéra. Celle-ci envoie Lannes le lui rappeler. Impossible de refuser, c’est elle qui porte la culotte à la maison. Le premier consul consulte le GIGN qui lui confirme avoir entièrement fouillé la salle de l’Opéra et qu’il n’y a aucun risque à craindre malgré les rumeurs d’attentat. Bonaparte décide donc d’y aller.

Une escorte de la Garde consulaire précède son carrosse dans lequel ont pris place avec lui, Berthier, Lannes et Lauriston. Les femmes le suivent dans un deuxième carrosse. Le cocher de Bonaparte tourne à gauche dans la rue Saint-Nicaise. Or, Limoëlan, complètement stressé, oublie d’adresser le signal convenu à Saint-Réjeant qui, du coup, allume la mèche quand il voit se pointer le chef des grenadiers de la Garde consulaire. Plus tard que prévu ! Il s’enfuit, abandonnant la fillette à son sort. Le temps que la mèche se consume, les deux carrosses sont déjà passés. L’explosion les laisse intacts. Seule Hortense a été blessée superficiellement à la main par un éclat de vitre.

L’explosion tue vingt-deux innocents, en blesse une centaine d’autres et détruit quarante-six maisons. C’est énorme. Autre chose qu’une "nuit bleue"... Pour autant, le premier consul ne renonce pas à sa soirée. Il rejoint sa loge de l’Opéra sans montrer la moindre émotion. Quand Joséphine le rejoint enfin, il lui lance : "Ces coquins ont voulu me faire sauter. Faites-moi apporter un imprimé de l’oratorio de Haydn !" C’est tout ! La nouvelle de l’attentat finit par se répandre dans la salle, et la représentation est interrompue par une énorme acclamation. Bonaparte salue l’assistance avant de donner l’ordre de regagner les Tuileries. Les télés et les radios sont aux trousses de son carrosse. Benoît Duquesne à cheval tend son micro. Bonaparte refuse de parler.

"Ce sont les Jacobins !"

Une fois aux Tuileries, le premier consul laisse libre cours à sa fureur : "Ce sont les Jacobins qui ont voulu m’assassiner ! Il n’y a là-dedans ni nobles, ni prêtre, ni chouans ! Je sais à quoi m’en tenir, et l’on ne me fera pas prendre le change. Ce sont des septembriseurs, des scélérats couverts de boue qui sont en révolte ouverte, en conspiration permanente..." Il est hors de lui. Fouché se tient à carreau, l’orage gronde au-dessus de sa tête en tant que ministre de la Police. Bonaparte l’interpelle rudement : "Eh bien ! Direz-vous encore que ce sont les royalistes ?" Fouché ne se démonte pas : "Sans doute, je le dirai, et qui plus est, je le prouverai !" Mais cela n’arrange pas les affaires du consul qui veut profiter de cet attentat pour éliminer les derniers Jacobins... En attendant que son ministre de la Police lui livre les véritables auteurs de l’attentat, Bonaparte fait arrêter 130 "anarchistes" qu’il fait condamner à la déportation aux îles Seychelles, à Cayenne et sur la côte africaine.

Pendant ce temps, le ministre de la Police mène une enquête exemplaire. Il fait reconstituer la charrette, et même le cheval par un vétérinaire de la préfecture. Le portrait-robot de la jument est affiché sur tous les murs de la capitale : "Sous-poil bai, la crinière usée, la queue en balai, nez de renard, flancs et fesses lavés, marquée en tête, ayant des traces blanches sur le dos des deux côtes, rubican fortement sous la crinière du côté droit, hors d’âge et de la taille d’un mètre cinquante centimètres, grasse et en bon état, sans aucune marque sur les cuisses ni à l’encolure qui puisse indiquer qu’elle appartient à quelque dépôt." Le 27 décembre, le marchand de grains Lambel reconnaît sa bête et se rend à la police pour donner la description de Carbon. Celle-ci permet de l’identifier et de l’arrêter le 18 janvier 1801 chez une ancienne supérieure de couvent. Le 27 janvier, c’est au tour de Saint-Réjeant d’être mis sous les verrous. Limoëlan et les deux commanditaires s’échappent. Simultanément, grâce à la promesse de récompenses, Fouché apprend que plus de quatre-vingts chefs chouans étaient arrivés clandestinement à Paris le jour et le lendemain de l’explosion. Tous attendaient un grand événement pour lancer un soulèvement. Raté.

Le 20 avril 1801, Carbon et Saint-Réjeant, vêtus de la chemise rouge des parricides, sont guillotinés devant une foule nombreuse. Avant de mourir, le premier déclare : "Mes bonnes gens, c’est pour le roi !" Devant l’échafaud, Laurent Delahousse attend que la coiffeuse finisse d’arranger sa célèbre mèche pour reprendre le cours de son reportage "Un jour, un destin".


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