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« Internet est dangereux pour le régime nord-coréen, ses dirigeants le savent »

mardi 23 décembre 2014

INTERVIEWL’universitaire Andreï Lankov estime que la coupure internet à Pyongyang est une vaine riposte américaine au hacking de Sony.

Après l’attaque informatique contre Sony, une panne géante a frappé les serveurs internet nord-coréens lundi. Andreï Lankov, professeur à l’université de Kookmin à Séoul et spécialiste de la Corée du Nord (1), explique les développements de cette crise.

Pensez-vous que la Corée du Nord est derrière le piratage de Sony ?

J’en suis à 90% sûr. Les Nord-Coréens en sont capables, ils ont formé des experts informatiques de très haut niveau. Ils l’ont prouvé l’an dernier en attaquant les systèmes informatiques de plusieurs banques et médias sud-coréens. D’ailleurs, dans ses déclarations officielles, le régime a salué le piratage. Ce dernier a des raisons d’être énervé. Sony n’aurait jamais osé faire un tel film sur Vladimir Poutine ou sur Xi Jinping, de peur d’être attaqué par des avocats et de subir des représailles économiques de la part de marchés très attractifs. Ils ont choisi la Corée du Nord parce qu’ils pensaient, à tort, que c’était une cible facile qui ne pourrait répliquer.

Sony a-t-il bien fait d’annuler la sortie du film ?

En cédant au chantage, Sony a créé un dangereux précédent : Pyongyang sait désormais que ses menaces peuvent avoir un impact sur les pays occidentaux. On risque de voir le chantage du régime et l’autocensure se généraliser.

Qu’auraient dû faire les Etats-Unis ?

Washington a des moyens d’action, mais je préfère ne pas en discuter dans les médias. Je dirais seulement qu’il faut briser le cercle vicieux des représailles. Moins les Américains en feront et mieux ce sera. Mon seul conseil : quand vous avez affaire à la Corée du Nord, vous feriez mieux de faire attention à votre sécurité informatique.

La coupure d’Internet en Corée est-elle une riposte américaine ?

J’en suis à 80% sûr. Washington refuse de commenter, c’est-à-dire qu’il ne dément pas non plus.

Que sait-on d’Internet en Corée du Nord ?

Internet est très dangereux pour le régime, et ses dirigeants le savent bien. Ces derniers sont conscients des avantages qu’il offre comme moyen de communication et d’information, mais ils n’ont pas trouvé comment le généraliser sans que cela constitue de sérieux risques pour leur survie. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas de la paranoïa : ils sont conscients des risques qu’ils encourent. En conséquence, les individus, ainsi que la majeure partie des agences et des institutions, n’ont pas accès à Internet. Seuls les étrangers dans les ambassades sont connectés, ainsi que les Nord-Coréens qui travaillent dans quelques agences triées sur le volet, telles que le ministère des Affaires étrangères, les services de renseignements ou encore un petit nombre de centres de recherche scientifique, notamment dans le domaine nucléaire. Et encore, l’accès est limité et surveillé. Ils seraient entre 1 400 et 1 500 utilisateurs nord-coréens, parmi lesquels une toute petite minorité de très hauts placés, à avoir un accès illimité. L’impact d’une panne de réseau est donc nul. Les Nord-Coréens le savent : contrairement aux autres pays, ils ne sont pas vulnérables aux piratages.

Doit-on s’attendre à une réponse de Pyongyang ?

Probablement pas, si ce n’est une dénonciation et les menaces habituelles. Le régime va probablement accuser Obama de cyberterrorisme. Toutefois, Kim Jong-un étant très impulsif, on ne peut exclure qu’il pirate une autre entreprise américaine. En revanche, je ne crois pas à des violences physiques. Leur dernier acte terroriste remonte à 1987, quand deux agents du Nord ont commis un attentat contre un avion de Korean Air. En 2012, le Nord avait menacé le Sud après la publication dans des journaux sud-coréens d’articles qui ne lui avaient pas plu. Il n’est jamais passé à l’action. Les Sud-Coréens sont habitués à ce genre d’agissements et de menaces, et savent que cela fait partie de la diplomatie nord-coréenne. Mais les Américains ont réagi avec plus d’effroi.

Quel est le rôle de la Chine dans toute cette affaire ?

Aucun pour l’instant ! L’administration Obama a demandé à Pékin de l’aider à contrer le cybervandalisme venu de Pyongyang. A priori, ils ne devraient pas s’impliquer. Mais, vu que les relations entre la Chine et la Corée du Nord se sont récemment tendues, je ne serais pas complètement surpris si les Chinois acceptaient d’aider les Américains.

(1) Andreï Lankov est l’auteur de « The Real North Korea, Life and Politics in the Failed Stalinist Utopia », Oxford University Press, 2013, 283 pp.
Recueilli par Eva John Correspondante à Séoul


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