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22 décembre 1956. Naissance de Colo au zoo de Columbus, le premier gorille né en captivité.

lundi 22 décembre 2014

Toujours vivante, Colo a fêté ses 58 ans, ce qui fait d’elle la doyenne de son espèce.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Pour les propriétaires de zoo, les années cinquante, c’est encore le bon temps. Pas de protecteurs de l’environnement pour leur dire que c’est mal d’enfermer des animaux arrachés à leur milieu naturel. Pas de militants de la cause animale pour protester contre les conditions de vie dans les cages. Veut-on acquérir un éléphant, un tigre ou un Depardieu ? Il suffit de passer commande à un chasseur spécialisé, qui, généralement, massacre une ribambelle d’individus avant de pouvoir en capturer un vivant. La reproduction en captivité est bien trop compliquée, surtout pour des espèces comme le gorille, pudique et romantique. La naissance d’une petite fille gorille au zoo de Columbus (Ohio), le 22 décembre 1956, est donc un événement exceptionnel, aussi improbable que la naissance d’un petit Grimaldi engendré par un comique juif marocain. Et pourtant...

L’histoire de Mlle Colo commence en 1950 avec la capture de ses parents au Cameroun, alors colonie française. Un Américain se faisant appeler Gorilla Bill - l’imbécile ! - décide de capturer plusieurs jeunes gorilles pour les revendre à des zoos. Il monte son expédition, décime plusieurs familles de gorilles avant de récupérer trois jeunes animaux. Deux mâles de 5 et 2 ans, qu’il nomme Baron Macombo et Christopher, et une femelle de 2 ans, baptisée Millie. Il les embarque à bord d’un navire en partance pour New York. Les trois orphelins sont forcément ravis de connaître le pays de la liberté et des hamburgers sans avoir à passer par Lampedusa... Le 22 décembre 1950, Gorilla Bill et ses trois invités arrivent à New York au milieu d’une tempête de neige. Baron Macombo s’exclame : "Claude Allègre avait donc raison, le climat ne se réchauffe pas."

Mais quand accouchera donc Millie ?

En attendant de trouver des acheteurs pour ses trois orphelins, Gorilla Bill les confie à son ami Earl Davis, directeur du zoo de Columbus (Ohio). Ravi, celui-ci saisit l’aubaine en achetant les trois animaux pour 10 000 dollars. S’il garde pour lui Macombo et Millie, en revanche, il échange Christopher contre deux rhinocéros et deux guépards. À l’époque, aucun zoo ne se préoccupe vraiment de connaître le véritable mode de vie du gorille dans la nature. Davis improvise. Il sépare le couple dans deux cages différentes, croyant Macombo agressif. Alors qu’il n’y a rien de plus famille-famille que le gorille. Sinon Jean-Pierre Castaldi... De même, il les nourrit de viande, alors que le gorille est purement végétarien. Et ainsi de suite.

Comment, isolés dans deux cages différentes, les parents de Colo ont-ils pu faire crac-crac ? Comment le jeune Macombo a-t-il réussi à glisser son minuscule pénis dans l’orifice idoine ? Ouvrons une parenthèse éthologique : le gorille est équipé, n’en déplaise à Stéphane Bern, d’un phallus miniature, comparé à celui de l’homme. Si le gorille possède un zizi miniature, c’est que madame gorille est très fidèle. Aussi, monsieur n’a pas besoin d’un gros pour impressionner ses rivaux sous la douche. Un petit, ça rend les mêmes services. Pour en revenir à nos deux amoureux du zoo de Columbus, ils ont réussi à rallier à leur cause un jeune vétérinaire stagiaire de 25 ans nommé Warren Thomas. Au cours du printemps 1956, Warren observe qu’une fois par mois le comportement des deux pensionnaires change. Millie est complètement excitée tandis que Macombo roule des yeux enamourés. Le jeune homme prend l’initiative de les réunir durant la nuit, malgré les ordres formels du directeur de ne pas les mettre dans une même cage. Personne n’est au courant.

Inutile de dire que le jeune couple en profite. Toutes les nuits, Macombo et Millie jouent à papa-maman, au docteur et à l’infirmière, à DSK et Diallo. Une nuit, Macombo oublie de mettre un préservatif. Millie tombe enceinte. Personne ne s’en aperçoit, sinon Warren à l’automne 1956. La queue basse, il s’en va avertir le directeur Earl Davis, qui, au lieu de l’enguirlander, hurle : "Mazel tov !" Il est heureux comme un pape en apprenant qu’un bébé gorille pourrait bientôt naître dans son zoo. Mais quand accouchera donc Millie ? Ni lui ni Warren n’en ont la moindre idée. Peut-être début janvier, si le temps de gestation d’une gorille est similaire à celui de la femme.

La star du zoo

Le 22 décembre 1956, date anniversaire de leur arrivée à New York, Millie accouche seule, en pleine nuit. Du reste, n’ayant pas pu bénéficier des conseils de sa mère, elle ne comprend absolument pas ce qui lui arrive. Quand elle perd une masse sanguinolente, elle n’y fait pas attention. Par miracle, celle-ci est rapidement découverte par Warren, qui reconnaît une poche amniotique contenant un nouveau-né gorille. Celui-ci ne bouge pas. Vit-il encore ? Le jeune vétérinaire l’extrait avec délicatesse, coupe le cordon, l’éponge avec amour, le masse, lui pratique le bouche-à-bouche. Finalement, la petite chose se met à respirer. Le divin enfant est vivant ! Alléluia, c’est une petite fille qui pèse moins de deux kilos. La nouvelle fait la une de tous les journaux. Elle devient une star, le premier gorille jamais né en captivité. Il faut lui donner un nom. Un concours est lancé. Le zoo offre une récompense de 25 dollars, Clark Gable ajoute 100 dollars, car l’acteur est tombé en amour avec les gorilles depuis qu’il a tourné dans Mogambo. Finalement, le nom Colo est choisi, une combinaison de "Columbus" et "Ohio". Earl Davis se garde bien de la confier à sa mère qui est désemparée devant sa fille. Colo passe ses premiers jours à ronfler dans une boîte en carton, enveloppée dans des chiffons, près du radiateur. Plusieurs mamans humaines se relaient pour élever la petite Colo, qui devient vite une enfant pourrie, gâtée.

Elle se balade habillée, équipée de couches. Colo devient la star du zoo, un million de visiteurs se précipitent pour l’admirer la première année. À deux ans, on lui donne un compagnon de jeu de 19 mois, qui, lui, a été capturé dans la jungle. Il s’agit de Bongo. Dix ans plus tard, le 1er février 1968, Colo donne naissance à Emmy. Deux autres bébés suivront. Le couple tient 25 ans, puis monsieur commence à se lasser de madame. Il lui en faut de plus jeunes à ce macho. Il entreprend la tournée de plusieurs autres zoos. Colo ne s’embête pas non plus et s’offre quelques aventures hors mariage. En 1983, Diane Fossey lui rend visite. Effarée par ses conditions de vie, elle fait la leçon au nouveau directeur du zoo. Elle suggère de les faire vivre tous ensemble dans une même cage, les parents, les ados et les enfants, de leur donner du foin pour se confectionner des nids, de laisser pousser de grandes herbes dans leur enclos, de leur offrir une diète végétarienne, de laisser les mères élever leurs enfants, d’installer des jeux et des cordes pour les stimuler.

Aujourd’hui, Colo est toujours vivante, elle est la "matriarche" d’une grande famille s’étendant sur cinq générations. Même si beaucoup de ses descendants sont morts de maladie, elle a encore dix-huit enfants et petits-enfants. À 57 ans, elle est devenue le plus vieux gorille en captivité, et probablement du monde


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