MosaikHub Magazine

Le high-tech, c’est la santé

vendredi 21 novembre 2014

Par Corine Lesnes

Un patient qui choisit son praticien en ligne, un diagnostic rendu par une machine... Un avenir pas si lointain pour la « médecine exponentielle ».

Médecin ? Sur la scène, le docteur Kraft a plutôt des allures de prestidigitateur. De ses poches, il tire toutes sortes d’instruments. Capteurs, boîtiers, senseurs, serre-tête électronique. Tout son être est quantifié : température, fréquence cardiaque, pouls, oxymétrie, glucose, ondes alpha du cerveau. Deux électrodes sont implantées dans l’étui de son téléphone portable. Son électrocardiogramme s’affiche sur l’écran : 150 pulsations par minute, le docteur est manifestement très excité par son sujet...

Bienvenue à la troisième conférence sur la « médecine exponentielle », organisée à San Diego (Californie) du 9 au 12 novembre. Exponentielle comme l’accélération des progrès de la technologie numérique. La conférence est organisée par la Singularity University, l’université du futur fondée par Google et la NASA installée sur le campus de l’agence spatiale, dans la Silicon Valley.

« PLUS BESOIN DU MÉDECIN »

Toutes les idées sont les bienvenues, même « les plus bizarres », explique en souriant Alice Rathjen, une spécialiste du génome. Les 450 participants – médecins, inventeurs, investisseurs, architectes des hôpitaux du futur – sont installés dans des fauteuils de cuir blanc, profonds comme en première classe. Un drone se charge de la photo de groupe. Entre les interventions, un moine bouddhiste (élevé en Angleterre) vient conduire une séance de méditation.

Les organisateurs sont des adeptes de la disruption (déstabilisation), le concept en vogue dans la Silicon Valley. Après avoir révolutionné l’industrie musicale (iTunes), les transports (Uber), l’hôtellerie (Airbnb), etc., les « techies » entendent perturber le secteur de la santé, ses conventions et ses rentes de situation. « Aucun domaine ne va être autant réinventé que la médecine dans la décennie qui vient, assure Peter Diamandis, cofondateur de Singularity University. Le patient va devenir le patron de sa propre santé. » Diplômé de la faculté de médecine Harvard et du MIT de Boston, où il a étudié l’ingénierie aérospatiale, Diamandis est le fondateur du XPrize, un prix doté de multimillions de dollars, qui récompense les inventeurs qui s’attaquent « aux plus grands problèmes de la planète ». Les visionnaires californiens pensent que le docteur tout-puissant a vécu.

Au lieu de « lire de vieux magazines dans les salles d’attente, le patient sera traité immédiatement : ses résultats d’analyse seront arrivés aux urgences avant lui. »

« Dans trente ans, on n’aura plus besoin du médecin pour les diagnostics », prédit Vinod Khosla, le cofondateur de Sun Microsystems, l’un des investisseurs les plus connus de la « vallée ». L’intelligence artificielle permettra de saisir des situations beaucoup plus complexes, de considérer l’entier profil génomique d’un patient avant de faire un diagnostic. « Ce qui ne veut pas dire qu’il faut éliminer les médecins, rassure-t-il. On aura besoin d’eux pour d’autres fonctions : la compassion, l’empathie. On choisira les individus les plus humains, pas les diplômés de Stanford. »

Grâce aux Big Data, la médecine sera personnalisée à l’extrême. « Il n’est pas possible que la même aspirine ait la même efficacité pour les 7 milliards d’habitants de la planète, critique l’homme d’affaires. Les Indiens ont besoin d’une double dose de statines (anticholestérol) par rapport aux Américains. » Chaque tumeur sera séquencée. « On veut pouvoir détecter le cancer dès la première cellule, pas à la centième comme actuellement », dit la professeure Cigall Kadoch, spécialiste d’oncologie pédiatrique à Harvard. Au lieu de « passer sa vie à lire de vieux magazines dans les salles d’attente, le patient sera traité immédiatement : ses résultats d’analyse seront arrivés aux urgences avant lui », assure Robin Farmanfarmaian, de la Singularity University.

TROUVER UN SPÉCIALISTE OÙ QU’IL SOIT DANS LE MONDE

Plusieurs start-up revendiquent déjà le titre de « Uber de la médecine » (la compagnie de transport a elle-même tâté le terrain en octobre en envoyant des infirmières avec des vaccins antigrippe à domicile). L’équipe de Curely a mis au point une plate-forme où médecins et patients entrent en relation. « Nous avons voulu répondre à la frustration des médecins confrontés à la bureaucratie du système de santé », explique le cardiologue Christian Assad. Et frustrés par le cloisonnement de plus en plus grand de leurs disciplines : dans les années 1970, on comptait une vingtaine de spécialités ; aujourd’hui, la profession en recense 170.

Curely doit être lancée en janvier. Le patient-consommateur pourra trouver le spécialiste qui lui convient, où qu’il soit dans le monde, et proposer un prix pour la consultation. Les praticiens seront « évalués par le marché » et récompensés par des points. « On a travaillé avec un expert des jeux vidéo, explique Paul Lee, le cofondateur de Curely. Les médecins gagneront des points de réputation, ce qui leur donnera plus de visibilité auprès des consommateurs. »

Les adeptes de la médecine exponentielle ne cachent pas leur ambition de mettre à bas les structures existantes. « Mon but, c’est de mettre les laboratoires de troubles du sommeil sur la paille », explique Leslie Oliver Karpas, de Metamason, une start-up qui produit un masque contre l’apnée, fait sur mesure pour chaque patient grâce à une imprimante 3D, la technologie qui s’annonce comme un facteur majeur d’innovation.

Diplômée de Stanford et d’Oxford, Jessica Richman entend, elle, faire exploser le monopole des laboratoires de recherche. Porte-voix des « citoyens scientistes », elle reproche aux chercheurs patentés d’extrapoler à partir d’échantillons restreints, et généralement d’Occidentaux, riches et éduqués. « Pourquoi se contenter d’échantillons de 200 personnes alors qu’il y a 3 milliards d’inscrits sur Facebook ? » Ancienne de Google, de Lehman Brothers et de la Grameen Bank, Jessica Richman a fondé uBiome, une société de séquençage des bactéries. Pour 89 dollars, les souscripteurs peuvent obtenir une carte des microbes qu’ils transportent. Ils peuvent aussi contribuer à la recherche. Avec les millions de données qu’elle conserve, uBiome se prépare à produire des analyses beaucoup plus étoffées. C’est la science par le nombre, ou crowd science. « Sept milliards de scientifiques peuvent vraiment changer le monde », s’enflamme Jessica Richman.

CITOYENS SCIENTISTES

Cette démocratisation est l’un des phénomènes actuels dans l’industrie de la santé, pense Dan Housman, du cabinet de conseil Deloitte. En se regroupant, les malades ont réussi à influencer la recherche, à l’image de Kathy Giusti, qui, en dix ans, a révolutionné l’étude du myélome et rassemblé un consortium pour développer des traitements. « Un changement radical, dit le consultant. Normalement, ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui contactent les médecins, lesquels trouvent les patients. »

Certains s’inquiètent de voir émerger ces « citoyens scientistes » qui mettent sur le marché des équipements médicaux : l’application Nightscout, par exemple, a été développée directement par les parents d’enfants diabétiques sans attendre l’approbation de la Food and Drug Administration (l’agence des produits alimentaires et du médicament). Le docteur Eugene Chan ne pense pas que le médecin va être remplacé par l’ordinateur, « ne serait-ce que parce que les patients tiennent à la relation avec leur thérapeute ». Directeur du laboratoire DMI spécialisé dans l’étude de l’ADN, il vient de mettre au point un appareil qui va « révolutionner la pratique médicale » : il permet 22 tests sanguins avec une simple goutte de sang, soit 1 500 fois moins que pour un prélèvement classique. Lauréat du XPrize de Singularity (525 000 dollars), il espère remporter aussi la compétition de la décennie : le Qualcomm Tricorder (doté de 7 millions de dollars), qui sera décerné en juin 2015. Tricorder : du nom du scanner de poche des héros de « Star Trek ».

Corine Lesnes


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