MosaikHub Magazine

SPORTS en parc

dimanche 16 novembre 2014

Dans les squares et les parcs parisiens, on ne trouve pas que des amoureux ou des nourrices avec leurs bambins. On y croise de plus en plus de sportifs. Pas étonnant puisque selon les derniers chiffres (pour l’année 2013) de l’Institut régional de développement du sport (IRDS), un Parisien sur deux pratiquerait un sport en dehors de toute structure institutionnelle (contre 16 % en club).

Street workout (culture physique urbaine), street fishing (pêche urbaine), slackline (funambulisme urbain) : Le Monde est allé à la rencontre de trois figures de ces disciplines en pleine vogue.

Le pêcheur noir des
Buttes-Chaumont

« Allez mon bébé, ramène-toi, mon poisson ! On n’est pas venu pour rien ! Allez, un effort, je t’en prie ! » Les incantations chamaniques, lancées par Mohamadou Niakaté, ne visent pas n’importe quel menu fretin. A 30 ans, ce Parisien, qui culmine à plus d’1 m 90, a développé une relation presque charnelle avec la Cyprinus carpio, ou plus communément la carpe.

Ce fils d’émigrés maliens, né dans le XXe arrondissement au sein d’une famille de dix enfants, écume depuis 22 ans les coins de pêche parisiens, du canal de l’Ourcq à la Seine, du lac du bois de Vincennes ou à celui des Buttes-Chaumont. A Paris, seul le bassin de l’Arsenal reste interdit aux pêcheurs. Ils sont entre 500 et 2 000, selon la température de l’eau, à pratiquer la pêche urbaine dite « street fishing » – histoire de rajeunir l’image d’un sport vieillissant.

« Le seul pêcheur noir de la capitale », comme il aime à se définir, ne passe pas inaperçu dans la cohorte de pêcheurs qui arpentent les eaux parisiennes. Casquette de chasseur, lunettes noires, barbe et écharpe enroulée comme un cache-nez, il ne décolle pas des deux cannes à pêche qu’il a lancées dans l’eau trouble d’un des plus vieux parcs parisiens. En cet après-midi automnal, à proximité des promeneurs et des enfants turbulents, il est le seul pêcheur des Buttes-Chaumont. « Ici, je suis le recordman cette année, avec 19 carpes. J’attends la vingtième. C’est un lieu magique. »

Renversé par une voiture à l’âge de 10 ans, plongé deux mois dans le coma, Mohamadou loue la tranquillité qu’il trouve au bord de l’eau. « J’oublie tous mes soucis. C’est un coin de paix », affirme-t-il, jamais avare d’une explication auprès de son public éphémère ou d’habitués. « Je veux montrer que je ne suis pas un rigolo. Au Mali, on pêche pour le village. Souvent, mes proches ne comprennent pas que je remette les poissons à l’eau. Je n’écoute pas les qu’en-dira-t-on. Dieu m’a donné la patience », raconte-t-il sous des accents mystiques.




Pour tendre ses lignes, sous le charme délicieusement désuet du temple de la Sibylle, qui domine le panorama, Mohamadou s’est acquitté d’un timbre de 74 euros, collé sur son permis de pêche. S’il déborde d’enthousiasme, le jeune homme n’a rien d’un plaisantin et connaît parfaitement les habitudes des carpes : « Sous le pont suspendu, il y a un petit muret. A partir de 21 heures, elles le sautent pour entrer dans cette partie. Elles longent les bordures, cherchent à manger sous les buissons. »

Aussi méticuleux que superstitieux, il prépare son montage avec soin, en hélicoptère sans gaine – « moins “relou’”et plus efficace » –, amorce toujours avec la même marque et vise le même buisson rouge, à chaque fois. « Tu n’es pas chez toi. Tu dois faire attention à l’environnement. Les canards, eux, respectent la ligne, ils la contournent », explique celui qui remet à l’eau chacune de ses prises. Il n’hésite pas à les soigner avec de la Betadine en gel avant de les relâcher.


Mohamadou, le pêcheur noir des Buttes-Chaumont by lemondefr
Son palmarès, il est capable de l’égrener en précisant le jour, le poids et le lieu de toutes ses prises. « Mes deux records, c’est une carpe de 26,85 kg, sortie de l’eau le 28 juin au bois de Vincennes, et un silure d’1 m 80, 45 kg, pris dans la Seine en août 2000 », s’émerveille-t-il encore.


Depuis treize ans, Mohamadou pêche avec le même matériel, qu’il a acquis pour 500 euros. « Mon détecteur de touche ne coûte que 10 euros. J’ai revendu tout le matériel trop sophistiqué que j’avais. Cela faisait trop pêcheur qui se la pète », assure-t-il. Dans les 80 cm d’eau du lac des Buttes-Chaumont, le titi parisien fait le plein de sensations : « Je suis tout de suite en contact avec la carpe. Ça part d’un coup, à 200 à l’heure ! Tu ressens les coups de tête, les démarrages. »

C’est à 8 ans et demi que Mohamadou est entré en religion. Lors d’une balade au bois de Vincennes, il rencontre « Monsieur Karim », un Kabyle de 14 ans qui pêche alors avec sa mère. « Il m’a tout appris. Et m’a transmis la patience et l’espoir permanent en me disant : “Si tu n’y crois pas, je vais t’y faire croire” », se souvient celui qui passait ses nuits, fasciné devant « Chasse et pêche » ou « Histoires naturelles », des émissions télévisées devenues cultes.

Sa passion pour la ligne, Mohamadou aimerait la faire passer dans une autre dimension en participant au championnat de France de pêche à la carpe. Un souhait pour le moment trop onéreux pour l’employé d’un supermarché de Montreuil (Seine-Saint-Denis). En attendant d’économiser, le « Black fisherman » rêve de nouveaux coins de pêche et de poissons toujours plus gros : « Le Rhône, la Saône, ce sont les paradis du pêcheur, des endroits magiques à records. »



Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie