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16 novembre 1793. L’infâme Carrier fait noyer 90 prêtres réfractaires dans la Loire

dimanche 16 novembre 2014

Envoyé à Nantes par la Convention pour briser la révolte vendéenne par tous les moyens, Jean-Baptiste Carrier invente la noyade de masse.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Certains ont inventé la chambre à gaz, Jean-Baptiste Carrier, lui, a mis au point la "déportation verticale". La noyade de masse... L’objectif est toujours le même : éliminer rapidement et à moindres frais des gêneurs devenus trop nombreux. Envoyé par Paris afin de mettre fin à la révolte vendéenne par tous les moyens, Carrier expérimente sa nouvelle méthode à la mi-novembre 1793 avec 90 prêtres réfractaires emprisonnés à Nantes. Si elle se révèle efficace, il est bien décidé à la généraliser à tous les Bonnets rouges de Bretagne... Il charge son bras armé, l’adjudant général Guillaume Lamberty et ses hommes de la compagnie Marat de les noyer dans la Loire, le "fleuve républicain".

C’est ainsi que, le 16 novembre 1793, à la nuit tombée, la femme Pichot voit débarquer, dans son auberge de la Sécherie, Lamberty et son adjoint Fouquet accompagnés de plusieurs individus à la mine patibulaire. Ce n’est pas la première fois que les deux hommes traînent par là. Voilà quelques jours, ils ont ordonné aux menuisiers de Baudet d’installer des trappes au fond de plusieurs gabares, des péniches à fond plat. Bizarre ! Mais la femme Pichot n’est pas née de la dernière pluie. Elle se doute que cette activité a un rapport avec les prêtres réfractaires enfermés dans la galiote ancrée à proximité, La Gloire. Ne serait-ce pas pour les noyer ? Mais elle se garde d’en parler, ne voulant pas subir les foudres révolutionnaires, comme on dit.

Machiavélisme

La plupart de ces prêtres sont emprisonnés depuis plusieurs mois pour avoir refusé de prêter le serment de la constitution civile du clergé. Depuis le 25 octobre, ils moisissent dans les cales de La Gloire transformé en prison flottante et ancré devant la Sécherie. Lamberty projette, effectivement, de les transférer sur les gabares percées, destinées à être coulées au milieu du fleuve. La veille, le 15 novembre, il a demandé au commandant chargé de la surveillance des prêtres de supprimer toute garde cette nuit-là afin qu’il n’y ait pas de témoin de la noyade. Il fait même preuve d’un machiavélisme admirable en laissant croire aux prisonniers qu’ils seront transférés dans la nuit au château de la Musse. Il leur recommande de déposer entre les mains du commandant tous leurs objets précieux qui leur seront rendus une fois arrivés dans leur nouvelle prison. Dans un coin, le père Georges Vandenbeusch murmure à son voisin qu’il aurait préféré avoir été enlevé par des islamistes....

Après avoir bu un coup chez la femme Pichot, Lamberty et sa clique montent à bord de la gabare trafiquée pour rejoindre la galiote-prison. S’attendant à être transférés, les prêtres ne s’alarment pas outre mesure en les voyant arriver. Ils obéissent sagement quand on leur demande de monter deux par deux sur le pont où ils sont fouillés, dépouillés des objets de valeur dont certains n’ont pas voulu se séparer. On leur demande même de retirer leurs vêtements et leurs chaussures. Ils sont alors liés deux par deux, puis jetés à l’intérieur de la gabare. Le transfert se fait dans le calme. Les prêtres ne se doutent pas du sort funeste qui les attend. Il n’y a que le curé de Machecoul qui s’inquiète en voyant sur le fond du bateau des pierres plates et blanches cachant des trous. Apercevant de l’eau s’infiltrer, il conseille à ses voisins de se donner l’absolution l’un à l’autre. Ainsi font-ils.

Témoignage accablant

Une fois le transfert achevé, Lamberty et ses hommes embarquent sur un bachot (un canot) puis coupent les amarres de la gabare que la marée descendante entraîne. Quand l’étrange convoi passe devant la batterie flottante de la Samaritaine, le canonnier Vailly, en faction, leur fait signe de s’arrêter. Voici son témoignage accablant : "Environ minuit et demi, huit particuliers de moi inconnus se sont approchés du bord dudit ponton montés sur un canot ; je les ai hélés et, au mot de qui vive, il m’a été répondu : Commandant, nous allons à bord. En effet, ils se sont approchés et m’ont demandé la liberté de passer avec un gabareau, qu’ils me dirent être chargé de 90 brigands, que j’ai su depuis être 90 prêtres. Je leur ai répondu que la consigne qui m’était donnée était de ne laisser passer aucun bâtiment, que l’on ne m’apparaisse d’ordre supérieur. Sur ma réponse, l’un de ces individus, nommé Fouquet, me menaça de me couper en morceaux, parce que, ajouta-t-il, lui et sa troupe étaient autorisés à passer partout sans qu’on pût les arrêter. Je leur demandai à voir leurs pouvoirs, ils obéirent et me présentèrent un ordre conçu à peu près en ces termes, et signé Carrier, représentant du peuple : Permis aux citoyens Fouquet et Lamberty de passer partout où besoin sera avec un gabareau chargé de brigands, sans que personne puisse les interrompre ni troubler dans ce transport."

Puis le canonnier Vailly poursuit : "Muni de l’ordre du représentant Carrier que Fouquet et Lamberty venaient de me présenter, je ne crus pas devoir insister davantage ; en conséquence, les particuliers montant le canot et le gabareau contenant les individus passèrent sous la batterie du ponton où j’étais en faction, et un quart d’heure après, j’entendis les plus grands cris partir du côté des bateaux qui venaient de se séparer de moi et, à la faveur du silence de la nuit, j’entendis parfaitement que les cris de ceux que j’avais entendus auparavant étaient ceux des individus renfermés dans le gabareau, que l’on faisait périr de la façon la plus féroce. Je réveillai mes camarades du poste, lesquels, étant sur le pont, ont entendu les mêmes cris, jusqu’à l’instant où tout fut englouti."

Trois prêtres s’échappent

Le canonnier a tout entendu, mais n’a rien vu. Pareil pour les experts envoyés par l’ONU... Effectivement, la gabare poursuit sa descente du fleuve, dépasse les villages de Trentemoult et Chantenay. Lamberty attend l’endroit idoine pour agir. Le convoi atteint l’île Cheviré. La profondeur est suffisante pour engloutir la péniche. Il fait signe à ses hommes de défoncer ses sabords à coups de marteau. L’eau envahit la cale, où les prêtres, commençant à se rendre compte qu’ils vont bientôt rencontrer le Créateur, se mettent à hurler de désespoir, à supplier pour qu’on leur porte secours. Un des bourreaux a l’idée de leur faire une bonne blague, il grimpe sur le chaland en train de couler pour faire semblant de vider l’eau au moyen d’une poêle à châtaignes percée de trous. Que c’est amusant ! Mais les prêtres, qui ont déjà de l’eau à mi-cuisse, ne goûtent pas la plaisanterie. L’affreux plaisantin rejoint ses compagnons dans la barque qui s’éloigne aussitôt pour éviter d’être entraînée par le remous du chaland. Bientôt, les cris s’évanouissent. Le calme est revenu sur la Loire. Dieu accueille les siens avec de grandes serviettes de bain...

Lamberty demande alors à ses hommes de ramer jusqu’à l’endroit où la gabare a coulé pour vérifier l’absence de survivants. Il a raison, car plusieurs malheureux, encore liés deux par deux, luttent désespérément pour éviter la noyade. Mais quelques coups de rame bien placés les amènent vite à la raison. Bientôt, les flots du fleuve ont retrouvé leur calme. Lamberty ricane, content de son oeuvre de mort. Les noyeurs regagnent la rive, où chacun rentre à son domicile satisfait du devoir accompli. Ce soir, il y a L’amour est dans le pré, à la télé... Peut-être qu’on y verra Karine Le Marchand avec un coquard... Voilà quatre-vingt-dix corbeaux, ennemis de la République, qui ne coûteront plus cher à nourrir. Quant à Lamberty, il file confirmer à Carrier l’efficacité de la méthode.

Pourtant, le lendemain, on apprend que trois prêtres ont réussi à filer dans le noir après s’être détachés. L’un a été repêché et les deux autres ont atteint la rive. Tous trois ont trouvé refuge sur un navire, ancré à proximité, L’Imposant. Aussitôt, Carrier les réclame au capitaine pour les faire noyer le soir même. Les malheureux n’ont gagné qu’un jour de vie. Pourtant, un prêtre a survécu au massacre, il s’agit de l’abbé Julien Landeau, curé de Saint-Lyphard. Mal ficelé, il avait réussi à détacher ses liens l’unissant à un vieux moine. Échappant aux coups de rame, ils s’étaient éclipsés dans la nuit.

Un unique survivant

Mais le moine est vieux et gras. Bientôt, il est à bout de forces. Malgré ses efforts, le curé est incapable de le sauver de la noyade. Le voilà seul. Il est sur le point, à son tour, de se noyer quand il parvient à attirer l’attention d’une barque. Les bateliers le hissent à bord, mais le déposent aussitôt sur la rive de peur d’être dénoncés à Carrier. Un envoyé de TF1 lui demande s’il veut participer à la prochaine saison de Splash... Défaillant de froid, de faim et de fatigue, Landeau trouve refuge dans une chaumière compatissante. Avant l’aube, il lui faut partir pour ne pas mettre en danger ses hôtes. Déguisé en maraîcher, équipé d’un panier plein de légumes, il rallie Nantes en sabots. Une femme de son pays lui offre l’asile le temps que son frère, paludier à Guérande, vienne le chercher. C’est le seul survivant du massacre.

Durant plusieurs jours, des cadavres sont repêchés sur les berges de la Loire. Ils ont pu s’échapper par les sabords trop grands ouverts, ou bien le chaland s’est brisé contre un banc de sable. C’est embêtant, car la rumeur de l’affreuse noyade se répand dans Nantes. Mais Carrier peut se rassurer, car nul n’ose s’en insurger de peur des conséquences. Il reste une dernière chose à faire à Lamberty et à ses hommes : récupérer les biens des prêtres restés à bord de leur prison et qu’ils n’ont pas pu emporter la nuit du crime.

Le lendemain, ils vont chercher La Gloire pour l’amarrer au quai d’un nommé Sourisseau et entreprennent de la vider dans son entrepôt. Ils décident de se partager le trésor arraché aux prêtres quelques jours plus tard. Mais l’un d’entre eux, le nommé Foucaud, revient en catimini pour tout embarquer sur des charrettes et... disparaître. Prévenu, Lamberty est fou de rage de voir ainsi le butin lui échapper. Environ 40 000 francs, dit-on. Une fortune à l’époque. En guise de dédommagement, Carrier lui donne la galiote, sur laquelle il organisera quelques jours plus tard un grand dîner pour fêter la mort des prêtres. Certains invités n’hésitant pas à enfiler des soutanes et perruques oubliées dans un coin. Cyril Hanouna met le feu à l’assistance en interprétant "Quand il pète", il troue son slip...
La méthode de la "déportation verticale" a prouvé, malgré quelques imperfections, son efficacité. Jean-Baptiste Carrier décide de l’appliquer à grande échelle pour se débarrasser des milliers de Vendéens qui encombrent la prison de la ville. Entre les derniers jours de 1793 et février 1794, entre 1 800 et 4 800 victimes disparaissent dans la Loire.
C’est également arrivé un 16 novembre
1988 - Premier mandat de Benazir Bhutto comme Premier ministre du Pakistan.

1977 - Rencontre du troisième type de Steven Spielberg sort aux États-Unis.

1960 - Clark Gable décède à 59 ans d’une crise cardiaque.

1945 - Création de l’Unesco par une convention signée à Londres par 37 pays.

1938 - Première synthèse du LSD par Albert Hofmann.

1917 - Georges Clemenceau est nommé chef du gouvernement français.

1884 - Edmond de Goncourt crée, par testament, un prix littéraire qui portera son nom.

1849 - Condamnation à mort de Fiodor Dostoïevski.

1532 - L’Espagnol Pizarro capture et condamne à mort le dernier empereur inca, Atahualpa.


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