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10 novembre 1978. L’odyssée des 2 499 boat people viets du cargo Hai Hong fait la une des journaux

lundi 10 novembre 2014

Le gouvernement vietnamien organise lui-même le trafic de réfugiés, qui lui rapporte des centaines de millions de dollars.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le petit Tranh, 9 ans, est blotti contre sa mère. Il a faim, il a soif, son corps est couvert d’eczéma. Le petit garçon n’a même plus la force de se plaindre. Sa petite soeur est dans le même état que lui. Ils sont ainsi des centaines d’enfants, mais aussi des femmes, des vieillards et des hommes, entassés sur ce vieux rafiot baptisé Hai Hong. Voilà seize jours que, depuis leur embarquement à Hô Chi Minh-Ville (Saïgon), 2 449 Vietnamiens fuyant le communisme vivent un effroyable calvaire. On leur avait affirmé que la traversée ne prendrait que quelques jours, mais elle s’éternise. Les provisions apportées par la mère de Tranh ont vite disparu. Depuis, c’est l’enfer. La chaleur, la pisse et la merde répandues partout, les pleurs, le bruit, les maux de ventre. Le cargo est devenu un immense barbecue chauffé par un soleil de plomb. Dans un coin, Leonarda se demande si elle a bien fait de choisir ce moyen pour revenir en France... L’odyssée du Hai Hong, qui fait forcément penser à celle de l’Exodus, occupe la une de tous les journaux du monde le 10 novembre 1978.

Immédiatement, le Hai Hong devient le symbole des millions de boat people fuyant le Vietnam communiste. Ces pauvres hères, surtout d’origine chinoise, utilisent n’importe quel type d’embarcation pour s’enfuir. De la jonque de pêcheur au vieux cargo à peine en état de naviguer. La mer de Chine est couverte de milliers de boat people qui tentent de rallier la Malaisie, Hong Kong, l’Indonésie. Avec un peu de chance, ils aboutissent dans un camp de réfugiés. Avec un peu moins de chance, ils nourrissent les requins. Et, avec pas du tout de chance, Angelina Jolie adopte un de leurs enfants... Ce qu’il y a d’incroyable dans cette affaire, c’est que cet exode est organisé avec la complicité des autorités vietnamiennes qui taxent les candidats au départ. Elles se mettent ainsi dans la poche plusieurs centaines de millions de dollars. C’est la première fois qu’un État se livre au trafic de chair humaine avec ses propres citoyens.

Une combine magnifique

Ce trafic humain débute en 1978, quand un Chinois de Singapour nommé Tay Kheng Hong passe un accord avec les autorités vietnamiennes pour créer une filière d’"exportation" de réfugiés. Il achète un cargo promis à la casse, le Southern Cross, qu’il envoie à Hô Chi Minh-Ville, en août, pour embarquer un maximum de candidats à l’exil. Le tarif de la croisière est fixé à dix taels (400 grammes) d’or par passager. Une somme que Tay partage avec le gouvernement viet. Chargé de 1 250 passagers, le Southern Cross lève l’ancre, direction une île déserte de Malaisie. Les passagers y sont abandonnés. Le cargo poursuit sa route jusqu’à un chantier de démolition, comme prévu. La combine est magnifique et rapporte des millions de dollars. À la Malaisie de se débrouiller avec les réfugiés.

En octobre, avec l’accord de ses partenaires vietnamiens, Tay décide de remettre le couvert. Il acquiert pour 125 000 dollars un vieux caboteur de 30 ans ancré à Singapour, le Golden Hill, rebaptisé Hai Hong. Le 15 octobre, le "palace des mers" met officiellement le cap sur Hong Kong pour être revendu à un ferrailleur. En fait, il jette l’ancre au cap Vũng Tàu, à proximité de Saïgon. Comme convenu, le commandant fait embarquer 1 200 Vietnamiens désireux de fuir leur pays. Mais au moment de lever l’ancre, des officiels montent à bord pour expliquer que le Hai Hong doit encore accepter 1 249 passagers gratuits faute de quoi le bateau sera confisqué ! Stupeur de Tay, qui est contraint d’accepter. Les autorités se font ainsi un petit bonus de quatre millions de dollars sur le dos de leurs concitoyens.

1 260 enfants à bord

Le 24 octobre, le Hai Hong quitte enfin le Vietnam avec 2 449 passagers à bord et leurs ballots. Il n’y a plus un centimètre carré de libre sur le pont. À peine la place pour s’allonger. Il y a des bébés de quelques mois, des vieillards misérables. Pris d’assaut, les sanitaires débordent. Le désespoir étreint les familles, qui se demandent ce que le destin leur réserve. Elles prient de ne pas être débarquées en Bretagne à feu et à sang... Tranh fait partie des 1 260 enfants présents à bord. Les conditions de vie se détériorent chaque jour. Le commandant commence par faire route vers Hong Kong, où il prévoit de débarquer ses réfugiés. Mais un typhon qui se lève dans le sud de la mer de Chine l’oblige à changer de cap. Le Hai Hong se dirige maintenant vers l’Indonésie. À bout de souffle, les machines tombent régulièrement en panne. Rapidement, la nourriture et l’eau viennent à manquer.

Enfin, le commandant jette l’ancre devant la première île indonésienne qui se présente. La procédure habituelle voudrait qu’il contacte par radio les autorités locales pour demander l’autorisation de débarquer ses passagers. Mais comment expliquer la présence à bord de milliers de réfugiés alors que le Hai Hong est censé aller à la casse ? Aussi, le commandant préfère contacter le Haut Comité des Nations unies (UNHCR) pour les réfugiés de Kuala Lumpur (Malaisie) et leur sert une jolie fable : le Hai Hong aurait été pris d’assaut par des milliers de boat people en pleine mer. Qui peut croire à de telles sornettes ? Comme si autant de réfugiés pouvaient se retrouver au même endroit et surtout prendre d’assaut un cargo !

Bref, les autorités indonésiennes, qui sont vite mises au courant, sentent le coup fourré. Elles ordonnent au Hai Hong de quitter immédiatement leurs eaux. De son côté, l’UNHCR découvre que le navire a été vu à Saïgon le 24 octobre en train d’embarquer des passagers en présence des autorités vietnamiennes. Du coup, la convention de 1951 sur les réfugiés politiques ne peut pas s’appliquer puisque le gouvernement vietnamien est l’organisateur du trafic. Les passagers du caboteur doivent être considérés comme des immigrants illégaux.

L’errance du Hai Hong

Déjà submergée par les boat people, l’Indonésie refuse de les accueillir par crainte de voir les cargos de ce type se multiplier. Le Hai Hong est escorté jusqu’aux eaux internationales. À son tour, le gouvernement australien fait savoir au comité qu’il n’est pas question de l’accueillir. La situation sanitaire à bord devient catastrophique avec la mort d’une femme et la naissance de deux bébés. Mais, surtout, Mireille Mathieu, qui a confondu le cargo avec une croisière du troisième âge, se met à chanter "Quand tu t’en iras"... Le 8 novembre, le commandant contacte
de nouveau le Haut Comité pour lui indiquer qu’il fait route vers la Malaisie, mais refuse de donner la destination exacte et des détails sur les conditions de vie régnant à bord. Pendant ce temps, les premières images des réfugiés à bord du cargo inondent les télévisions occidentales.

Le 9 novembre, le bateau se présente devant Port Klang, qui dessert Kuala Lumpur. Le commandant demande par radio au capitaine du port l’autorisation d’accoster. Mais celui-ci lui ordonne d’attendre à l’extérieur du port. Interdiction est faite à quiconque de débarquer. Quand la police monte à bord, elle trouve de nombreux passagers déshydratés, malades, souffrant de la soif et de la faim. Tranh, comme beaucoup d’enfants, est couvert d’eczéma. À force d’être grattées, les plaies suppurent. Le gouvernement malaisien fait livrer de l’eau, de la nourriture et des médicaments, mais insiste pour que le Hai Hong quitte les eaux malaisiennes. Pas question d’accueillir cette nouvelle fournée de boat people embarqués illégalement avec la complicité des autorités vietnamiennes. Pendant ce temps, photographes et caméramans se jettent sur le Hai Hong pour faire des images. C’est bon, Coco, ça va faire pleurer dans les chaumières. Encore plus fort que Lampedusa...

L’Europe se partage les réfugiés

Le Haut Comité finit par reconnaître le statut de réfugié aux passagers du cargo pour pouvoir leur livrer de la nourriture et des médicaments. Mais les autorités malaisiennes refusent. Elles exigent, auparavant, que le navire rejoigne les eaux internationales. Si les nations occidentales désirent prendre la défense du Hai Hong, qu’elles assument leurs responsabilités en recueillant les hommes, femmes et enfants à bord. Les camps d’accueil des pays du Sud-Est asiatique sont déjà pleins. Enfin, le 18 novembre, Olivier Stirn, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, déclare que "la France est prête à accueillir tous ceux du Hai Hong qui voudraient venir dans notre pays". L’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, le Canada, la Belgique, les États-Unis et même la Suisse lui emboîtent le pas. Il s’agit maintenant de faire le partage des réfugiés. De longues tractations s’engagent. Le 21 novembre, la France s’engage à en accueillir 1 000, les Américains 750, le Canada 600, la Belgique 150... Cette fois, la Malaisie autorise les passagers du Hai Hong à débarquer à terre pour attendre leur transfert vers l’Occident dans un camp spécial ouvert à leur intention.

Ce même 21 novembre, Le Monde publie l’appel du comité "Un bateau pour le Vietnam" pour aller chercher tous les réfugiés en mer de Chine. Pas ceux du Hai Hong, mais les milliers d’autres à bord de petites embarcations tellement surchargées qu’elles sont prêtes à couler au moindre grain. L’appel est signé par Bernard Kouchner, Yves Montand, Raymond Aron, Sartre, BHL, mais aussi Brigitte Bardot... Lors d’une réunion chez le dissident soviétique Maximov, BHL propose d’attaquer l’ambassade du Vietnam à Paris. C’est à cette occasion que Kouchner quitte Médecins sans frontières pour fonder Médecins du monde. Un armateur néo-calédonien marié à une Vietnamienne propose un caboteur de 85 mètres pour aller recueillir les boat people en mer de Chine, l’Île de lumière. Le 30 mars 1979, il appareille. En neuf mois de mission, il secourt 30 000 personnes.

La supermédiatisation du Hai Hong ne décourage pas les affréteurs. Dans les mois qui suivent, encore trois autres cargos, le Sky Luck, le Huey Fong et le Tung An, déversent des milliers de réfugiés dans les camps de Hong Kong après de longs séjours en mer marqués par de nombreux morts. Fin 1978, on dénombre 62 000 boat people vietnamiens répartis dans les différents camps de l’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, le petit Tranh a 44 ans et il est citoyen américain.

REGARDEZ le journal télévisé de TF1 de 1978 sur les réfugiés vietnamiens :
C’est également arrivé un 10 novembre

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