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Cette image va révolutionner les théories de formation des planètes

samedi 8 novembre 2014

par Guillaume Cannat :
Une jeune étoile entourée d’un disque de poussière contenant des exoplanètes en formation vient d’être observée avec une résolution inégalée par les antennes d’ALMA au Chili. Il va sans doute falloir réécrire les premiers chapitres des théories de formation des planètes !

Non ! Ceci n’est pas une vue d’artiste comme celles que nous sommes habitués à voir lorsque les astronomes parlent de disques protoplanétaires, ces disques de gaz et de poussière qui ceignent les jeunes étoiles et dans lesquels les grains de matière s’agglutinent pour former des corps de plus en plus massifs et, à terme, des planètes ! Ce que nous voyons ici, pour la première fois avec un tel niveau de précision, est bien l’image d’un système planétaire en cours de formation acquise à 1 millimètre de longueur d’onde par le réseau d’antennes d’ALMA.
Crédits : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)

Cette image entre magnifiquement en résonnance avec l’annonce, faite la semaine dernière, de la formation potentielle d’exoplanètes dans les systèmes stellaires doubles et multiples. Elle provient d’ailleurs de la même région du ciel, la constellation du Taureau, qui abrite, à près de 450 années-lumière de distance du Soleil, l’une des zones de formations d’étoiles les plus proches de nous. Elle se situe à moins de 2° au nord-ouest de l’étoile Aldébaran, pratiquement à la place qu’occupera le disque lunaire samedi soir (le 8/11). HL Tauri n’est pas une étoile visible à l’œil nu. Elle n’est même pas visible correctement dans les plus grands télescopes de la planète ou avec le télescope spatial Hubble parce qu’elle est voilée par l’éclat de la nébuleuse qui lui a donné naissance, il y a près d’un million d’années. Le seul moyen de détecter la matière qui l’entoure est d’avoir recours à un instrument qui permet de percer ce voile éblouissant. En cours de construction depuis plusieurs années sur le plateau de Chajnantor, à 5 000 m d’altitude dans la cordillère des Andes (Chili), ALMA est l’instrument idéal pour cela. Il observe le ciel dans les longueurs d’onde millimétriques et submillimétriques qui mettent en évidence le rayonnement des régions poussiéreuses les plus froides de l’Univers. Année après année, le nombre d’antennes mises en service augmente et, surtout, les astronomes ont la possibilité de les éloigner de plus en plus les unes des autres. Cette capacité à réaliser des observations en combinant les signaux provenant d’antennes distantes permet d’obtenir une résolution équivalente à celle d’une antenne unique de plusieurs kilomètres de diamètre.

L’Observatoire européen austral (ESO) exploite le grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama (ALMA) avec ses partenaires internationaux sur le haut plateau de Chajnantor, dans les Andes chilienne. ALMA est un télescope dédié à l’étude du rayonnement provenant des objets les plus froids de l’Univers. Ce rayonnement appelé millimétrique et submillimétrique, car possédant une longueur d’onde de l’ordre du millimètre, se situe entre le rayonnement infrarouge et les ondes radios.
Crédits : Clem & Adri Bacri-Normier (wingsforscience.com)/ESO

Au mois de septembre dernier, les équipes d’ALMA, qui réunissent des chercheurs et des ingénieurs du monde entier, ont commencé une campagne de tests avec une base de 15 km pour approcher de la résolution angulaire maximale de cet ensemble ; une résolution légèrement supérieure sera atteinte lorsque les paraboles pourront se disperser sur une base de 16 km d’envergure. À titre comparatif, les autres instruments qui opèrent dans les longueurs d’onde millimétriques disposent actuellement d’antennes qui peuvent être séparées au maximum de 2 km. ALMA est donc sur le point de révolutionner son domaine d’observation avec une résolution angulaire qui atteint d’ores et déjà 35 millisecondes d’arc, près de 2 fois mieux que le télescope spatial Hubble. Et le verbe « révolutionner » n’est pas trop fort parce que ce que révèle l’image de test d’ALMA autour de la jeune étoile HL Tauri est réellement extraordinaire. « Quand nous avons regardé cette image pour la première fois nous avons été sidéré par le niveau spectaculaire de détails. Nous étions sans voix. HL Tauri n’a pas plus d’un million d’années, et son disque apparaît déjà plein de planètes en formation. Cette seule image va révolutionner les théories de la formation planétaire » explique dans le communiqué de l’ESO Catherine Vlahakis, adjointe du programme scientifique d’ALMA et responsable du programme scientifique pour la Campagne « Grande Ligne de base » d’ALMA (ALMA Long Baseline Campaign). C’est la première fois que les astronomes voient un disque protoplanétaire avec un tel luxe de détails ce qui, en soit, est déjà exceptionnel. Pour Frédéric Gueth, chercheur au CNRS et directeur adjoint de l’IRAM qui gère les antennes installées sur le plateau de Bure (Alpes) et dont nombre de collègues sont impliqués dans le développement d’ALMA : « l’image est vraiment spectaculaire. Quand on parle de disques de formation de planètes, on voit toujours des images de synthèse, des simulations, des vues d’artistes, mais là c’est une vraie observation, c’est là l’incroyable différence. »

HL Tauri se situe au cœur d’une nébulosité située à moins de 2° au nord-ouest de l’étoile Aldébaran du Taureau et à 450 années-lumière du Soleil. Image de la nébuleuse par le télescope spatial Hubble.
Crédits : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), ESA/Hubble & NASA ; Judy Schmidt

Tout cela se passe actuellement autour d’une étoile de type solaire, sans doute un peu moins massive que le Soleil. Oui, on peut écrire « actuellement », parce que 450 années-lumière c’est vraiment très proche de nous et le fait que le rayonnement mette 450 ans à nous parvenir ne change pas fondamentalement l’aspect de ce que nous observons. En ce sens, nous suivons pratiquement en direct la formation d’un système planétaire complexe. « Techniquement, précise Frédéric Gueth, HL Tauri n’est même pas encore une étoile, elle se situe dans une phase pré-séquence principale et les réactions thermonucléaires ne se sont pas encore déclenchées, donc c’est vraiment un astre très jeune. On sait depuis longtemps que toutes ces étoiles sont entourées de disques de gaz et de poussière et on sait aussi que les planètes se forment dans ces disques. Mais les grandes questions sous-jacentes sont comment et quand se forment les planètes ? »


Comparaison de la taille du Système solaire jusqu’à l’orbite de Neptune (à droite) avec le disque protoplanétaire de HL Tauri qui est près de 3 fois plus étendu.
Crédits : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)

Le disque protoplanétaire visible autour de HL Tauri mesure environ 3 fois le diamètre du Système solaire en limitant celui-ci à l’orbite de la planète Neptune, à quelque 4,5 milliards de km du Soleil. Les anneaux et les vides qui le segmentent sont très probablement la marque des planètes en cours de formation ou déjà suffisamment massives pour commencer à nettoyer leur orbite, à faire le vide autour d’elles. Il est tentant, avec un tel niveau de résolution, de faire le parallèle avec les anneaux de Saturne au sein desquels on a découvert ce que l’on appelle des satellites bergers qui maintiennent la cohésion des structures annulaires. Il est encore impossible avec les moyens disponibles aujourd’hui d’observer directement les corps qui sillonnent le disque de HL Tauri et comprendre toutes les structures mises en évidence par les observations d’ALMA va sans aucun doute demander du temps, mais la lecture des articles scientifiques à venir sera certainement passionnante.

D’autant plus que tout cela se passe autour d’une étoile très jeune, trop jeune auraient même tendance à dire les astronomes. Même si notre compréhension de la formation et de l’évolution des disques protoplanétaires a déjà beaucoup évolué en à peine plus d’une décennie, depuis que des centaines d’exoplanètes et de systèmes planétaires ont été découverts, très peu de personnes à ce jour imaginaient que l’on pourrait observer un tel degré d’avancement dans un disque ceignant une étoile aussi jeune. HL Tauri se serait formée par l’effondrement gravitationnel d’une partie de la nébuleuse qui la cache encore, il y a seulement un million d’années. Or, le processus de formation des planétoïdes par accrétion de grains de plus en plus massifs est censé durer plusieurs millions d’années ! Pour Frédéric Gueth : « on pouvait penser auparavant qu’une étoile se formait d’abord et que des planètes apparaissaient éventuellement dans un second temps à partir des matériaux qui restaient autour, mais ce que l’on voit à présent, c’est que les planètes se forment très tôt dans le processus, en même temps que l’étoile en fait. Ici, visiblement, la formation de l’étoile et des planètes se déroule simultanément, ce sont deux aspects du même phénomène. La conclusion logique c’est que toutes les étoiles sont potentiellement entourées de planètes. C’est quelque chose que tout le monde subodore, mais, là, on commence à avoir des indications très fortes. » Les premiers chapitres des théories planétaires ont manifestement besoin d’une bonne remise à niveau. Et c’est ce qui explique pourquoi ce domaine de la recherche des exoplanètes et des disques protoplanétaires est tellement passionnant. Il progresse à pas de géant avec l’amélioration des instruments de l’astronomie millimétrique et les premiers résultats d’ALMA sont extrêmement satisfaisants pour les professionnels car, comme le rappelle Stéphane Guilloteau (CNRS, Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux), qui faisait partie des concepteurs d’ALMA : « une image comme celle-ci, on en rêvait à l’époque ! C’était l’un des objectifs majeurs du projet, un objectif qui a guidé bien des choix techniques. »

Samedi soir, en regardant la Lune et Aldébaran du Taureau, songez que, juste à côté, l’étoile HL Tauri se cache dans les replis de la toile céleste avec son cortège de planètes en formation. Nous ne sommes encore qu’à l’aube de la recherche des systèmes exoplanétaires et nous commençons à peine à comprendre les processus qui en sont à l’origine, mais, partout autour de nous, le ciel doit fourmiller de systèmes planétaires anciens ou en devenir qui nous permettront un jour d’expliquer comment le nôtre s’est formé il y a 4,56 milliards d’années autour d’une nouvelle étoile de la banlieue galactique.


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