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Sciences - Newton-Leibniz : querelle mortelle

jeudi 6 novembre 2014

Qui a inventé le calcul infinitésimal ? Newton ou Leibniz ? Récit dans "Le Point Références", "Sciences, les textes qui ont changé le monde", d’un formidable combat.
Par Catherine Golliau (avec Daniel Vigneron

À droite, Isaac Newton ; à gauche Gottfried Wilhelm von Leibniz. Les deux plus grands intellectuels de leur temps. Ils sont philosophes, mathématiciens et physiciens. Mais Newton, président de la Royal Society de Londres, est aussi alchimiste, astronome et économiste, tandis que Leibniz, président de l’Académie des sciences de Berlin, est juriste, linguiste, historien, géographe, diplomate et théologien ! Ils se font face, mais heureusement qu’ils ne vont pas se mettre à parler : l’anglais est bègue et l’Allemand affublé d’une voix aigrelette. Pourtant, ils vont se déchirer pendant cinq ans par lettres, communications scientifiques, mémoires et écrits de leurs partisans afin de prouver qui, de l’un ou de l’autre, est le véritable inventeur du calcul intégral.

Chez Newton, c’est la théorie des fluxions mise en forme dès les années 1665-1666 mais qui n’a fait l’objet d’une véritable publication qu’en 1687. Chez Leibniz, c’est le calcul différentiel présenté en 1684 dans la revue Acta Eruditorum puis développé dans la même revue en 1686. C’est un article publié fin 1708 par un jeune professeur d’Oxford, John Keill, disciple de Newton, qui met le feu aux poudres. Il y affirme que Newton avait, "sans nul doute, inventé le premier l’arithmétique des fluxions", mais que Leibniz "avait publié ultérieurement, sous un nom différent, cette même arithmétique". Il n’en fallait pas moins pour faire réagir "au quart de tour" le pourtant placide Leibniz.

"Accusation impertinente"

Au quart de tour, à cette époque qui ne connaissait ni les mails ni le téléphone, veut évidemment dire un certain temps, soit deux ans après ! Le 4 mars 1711, Leibniz expédie à la Royal Society de Londres une protestation dans laquelle il dénonçait "l’accusation impertinente de Keill". Ainsi commence la controverse qui va obséder le grand savant anglais jusqu’à la mort de son compétiteur en 1716. Comme le démontre Olivier Souan dans Le Point Références "Sciences, les textes qui ont changé le monde", les deux auteurs ont pourtant des approches différentes. Newton raisonne en physicien, Leibniz en mathématicien algébriste.

Dans les faits, Leibniz a la priorité de la publication, mais les premières recherches de Newton sont antérieures puisqu’elles datent de 1665-1667 bien qu’il ne commence à publier qu’à partir de 1687. Mais le fiel se répand. Newton a travaillé incognito et son culte du secret permet à Leibniz d’instiller le doute sur la pertinence de la méthode newtonienne. Après tout, un illustre scientifique qui cache ses découvertes, cela prouve qu’il n’est pas bien sûr de lui, n’est-ce pas ? Leibniz, lui, joue à fond la carte de la communication. Dès 1677, dans une lettre adressée à John Collins, membre de la Royal Society de Londres, il a exposé sa méthode du calcul différentiel. Puis, en 1684, sa "Nova methodus...", suivie d’un autre mémoire deux ans plus tard portant sur le calcul intégral.

La revanche du lièvre sur la tortue

C’est ainsi que l’Europe continentale va adopter sa méthode et le considérer comme l’inventeur du fameux calcul. Parti plus tôt dans ses investigations, Newton est pourtant coiffé sur le poteau puisqu’il ne publie qu’en 1687 son ouvrage le plus célèbre : les Principia. Est-ce la revanche du lièvre sur la tortue ? Là où le bât blesse, c’est que Leibniz a omis de mentionner qu’il connaissait dès 1673, grâce à John Collins puis par une lettre de Newton lui-même, une partie des travaux de ce dernier. Mais l’Allemand reconnut seulement avoir eu vent d’une "méthode des tangentes" de Newton. Plus tard, il laissa même entendre que certaines erreurs contenues dans les Principia... ne faisaient que révéler les défauts de la méthode de son concurrent.

La guerre ira crescendo, et passera même sur le terrain religieux quand, Leibniz, grand philosophe attaquera son ennemi - par ailleurs alchimiste - sur le terrain de la métaphysique. À la mort de Leibnitz, aigri, amer, Sir Isaac continuera de ressasser ses griefs. Pourtant, c’est lui qui gagnera la partie. La notation de Leibniz aura plus de succès sur le continent, mais l’approche des Principia anticipe la notion moderne de limite, pleinement formalisée au XIXe siècle, avec Augustin Cauchy et Karl Weierstrass.
Le Point Références, "Sciences, les textes qui ont changé le monde", en kiosque jeudi 30 octobre.


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