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L’interview de TV5 Monde : drame présidentiel ou faillite collective d’un peuple

mercredi 5 novembre 2014

C’est quoi ce cirque
C’est quoi ce cirque

Un défilé de va nu pieds
De Saltimbanques allumés
Qui tournent autour de vos têtes
Pauvres marionnettes

(Chanson populaire)

Que l’on soit pour ou contre, du camp Tèt kale ou de l’opposition désordonnée, du haut ou du bas, notre mémoire ne nous absoudra point du cauchemar de TV5 Monde. C’est de cette manière que la ville lumière éclairera notre lanterne pour bien des jours. La vérité, le président a trébuché, a cassé ses dents. L’opposition en rit, les cultivés aussi, mais qui de nous en est véritablement sorti vivant. Un président humilié n’est-ce pas un peuple humilié ? Après la livraison, la facture, comme d’habitude, parviendra à chaque Haïtien. Si de la honte, il nous en faut, de l’hypocrisie et de la paresse, il faut bien nous en désinfecter.

Un président sans pays, un pays sans président et un peuple avili

Pour Toussaint, ce qui restait du weekend end de la Toussaint était peu. Martelly a volé l’attention au profit de son apparition sur TV5. Vers l’autre côté de l’Atlantique, il était parti soigner la douleur de la mémoire et célébrer un ancien mort, notre Toussaint, avant de créer sa propre mort. En voulant sauver sa personne, vendre sa propagande, déjà à bon marché, notre président a laissé la peau du pays sur la table du boucher.

On peut avoir du mal à l’accepter mais il est président. Même le sénateur Moise Jean Charles, qui a boudé l’investiture, se réfère toujours à lui par l’appellation « Président ». Par faute de conviction, on a là une entente formelle. Ce n’est guère un père qui parle pour lui seul sans engager la famille. D’ailleurs, il a bien rappelé à l’international le bon papa qu’il est. Le premier en plus. Avant lui, c’est le néant !

Ensuite, il faut privilégier les idées, dit-il. Le musicien jouant au président est calme puis se perd dans ses propres idées. Moi aussi je me perds. Le président devient subitement un président sans pays. Un président qui ne parle que de lui. Entassant ses prouesses, ses lacunes, son manque de qualification, son bureau vierge de diplômes et la responsabilité à l’opposition et aux mauvaises manies anarchiques du peuple...

Quel peuple ? Le nôtre. Celui des stéréotypes que nourrissent tous les préjugés sociaux reconduits par le Chef : Le peuple qui ignore ce qu’est la quarantaine, qui confond démocratie et anarchie, qui est incapable de contrôler sa fertilité – une légèreté encore pire que le viol lui-même-, qui vit sans ressources humaines en suppliant que les vieux professeurs retraités de la France acceptent de venir l’éduquer. Ce peuple enfin d’une diaspora égoïste qui ne s’occupe que d’elle-même et des siens.

Mais peut-être nous reste-t-il encore la culture de ce peuple, Monsieur le président ? Vous avez encore Trouillot et une part de Laferrière et de Michaelle Jean à réclamer. Rien à faire, ce ne sont que des réussites personnelles, répond le président.

Et le tour est joué. C’est fini ! Mais, tout d’abord, voyons, qu’est-ce que vous êtes venu faire ici, Monsieur le président ? Venir vous dire qu’il peut encore avoir deux mondes dans un seul pays.

Deux mondes dans un seul pays

Oui, deux peuples en Haïti. Deux nationalités interchangeables : Le peuple et le pouvoir, Quand en 2004 Martelly était dans les rues avec le peuple il avait la nationalité du peuple et du pays, sitôt au pouvoir il est devenu citoyen du pouvoir. C’est pareil quand l’opposition sera au pouvoir.

L’autre monde, celui du non-renouvellement des élus, de l’intolérance démocratique, de la corruption, du machisme, du chômage, de l’impunité au service de la dictature, de l’ivresse du pouvoir et de l’indécence des promesses non tenues de la reconstruction n’existe pas. Le président l’ignore. Il est de l’autre monde, de celui du pouvoir.

Toutefois, cette Haïti bipolaire et ce monde de fous solitaires, d’analphabètes, de miséreux, de corps déchiquetés jetés aux chiens sur les routes clandestines vers la République dominicaine, le président non plus ne les a pas inventés. Il en est plutôt le produit. L’existence de ce monde malsain et répudié est pourtant l’explication suffisante de son ascension à la présidence. Un peuple a le président qui lui ressemble si ce n’est celui qu’il mérite !

Sauf quelques rares exceptions, on radote depuis 210 ans. On croit toujours valoir quelque chose et plus que son voisin. On se gonfle d’orgueil sans n’avoir rien fait pour ce pays. Toutes les élites s’évaporent et un matin, on s’étonne qu’un musicien grivois arrive à la présidence, nous étale nos linges sales et nous ridiculise en public.

Toute honte bue, dans ce cirque, il n’y a que les journalistes qui aient raison : retournez chez vous, Monsieur le président. La campagne est bel et bien finie. Restez-y au moins pour unir les deux mondes.

Entre temps, que l’on veuille ou non, avec le président, c’est Haïti qui est passé au trépas. Extradé de nouveau vers la France, Toussaint a encore crevé sur le territoire du colon, dédaigneux et arrogant.

Et bien sûr, pour vous laver les mains, vous direz que Yanick Lahens, en gagnant le prix Femina pour son roman Bain de lune, nous a vite réparé l’affront de TV5 Monde. Encore et encore, le prétexte individuel serait donc trouvé pour ne pas soigner la catastrophe collective.

Cessons d’être paresseux et hypocrites. L’interminable vacarme politique s’entend de loin, Messieurs et Dames. Et on n’en a assez. Mettons-nous enfin au travail pour sauver Haïti !

Smith Augustin, doctorant, Université Laval
Tahar Mateo, Milken Institute, George Washington University


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