MosaikHub Magazine

Le naufrage des antibiotiques

dimanche 2 novembre 2014

Les bactéries sont de plus en plus résistantes et, sans les efforts des chercheurs, des prescripteurs et des patients, des maladies oubliées pourraient resurgir.

Par Anne Jeanblanc

À son tour, le Pr Antoine Andremont, spécialiste mondial de bactériologie et éminent expert dans le domaine de la résistance aux antibiotiques, tire la sonnette d’alarme*. Il n’est pas le premier, mais le concert des mises en garde devrait quand même finir par devenir audible, voire assourdissant, et aboutir à une réduction importante de la consommation de ces médicaments. En effet, si le "miracle" antibiotique a bien eu lieu, cette période est désormais révolue. Soixante-dix ans seulement après l’arrivée de ces fabuleux médicaments sur le marché, plus de 25 000 personnes décèdent chaque année en Europe, en raison des résistances développées par les bactéries.

Si nous ne faisons rien, la situation va empirer. D’ici 20 ans, des opérations bénignes pourront devenir mortelles, prédit le spécialiste. Dans un chapitre intitulé "Portrait imaginaire d’une société sans antibiotiques", il raconte l’histoire "tout à fait crédible" d’une sexagénaire en pleine santé partie faire un tour du monde pendant 6 mois. Dès son retour chez elle, elle court sous la douche, ignorant que des légionelles se sont multipliées en son absence dans les tuyaux inutilisés. Quelques jours plus tard, elle se met à tousser. Elle décide alors de finir une vieille boîte d’antibiotiques présente dans son armoire à pharmacie. Évidemment, sa situation s’aggrave, elle doit être hospitalisée et reçoit plusieurs traitements antibiotiques "vigoureux". Sa toux guérit, mais ses intestins n’ont pas supporté les thérapies administrées. Il faut l’opérer en raison d’une colite due à une bactérie très résistante qui a pu proliférer. Tout se complique et elle finit par mourir.

Optimisme

Fort heureusement, l’histoire de cette femme jalonnée de "mauvaises rencontres microbiennes" est relativement caricaturale, mais elle montre bien qu’"il est possible de mourir à cause d’une suite de circonstances somme toute assez banales", note l’auteur, qui redoute le retour de maladies oubliées. En fonction des bactéries susceptibles de devenir "hors de contrôle", il pourrait s’agir d’infections urinaires ou cutanées, de septicémies, de pneumonies, d’otites, de méningites, de la fièvre typhoïde ou encore d’infections sexuellement transmises. Le catalogue fait peur.

Même si le pire n’est jamais sûr, le Pr Andremont ne déborde pas d’optimisme. Il regrette un désengagement total de l’industrie pharmaceutique concernant la recherche de nouveaux antibiotiques. "Depuis trente ans, les médecins combattent des infections de plus en plus résistantes avec les mêmes outils, aujourd’hui en passe d’être dépassés", écrit-il. Et pourtant, tout ne semble pas perdu. La puissante Association des infectiologues américains a récemment demandé "10 nouveaux antibiotiques pour 2020". Le président Obama a signé une loi qui devrait faciliter l’arrivée sur le marché de nouvelles molécules. On sent un frémissement chez les industriels. Et des start-up tentent de relever le défi.

Il n’empêche, seule la diminution drastique de toute utilisation inappropriée des antibiotiques permettra de limiter les dégâts et, espérons-le, d’attendre l’arrivée de nouveaux traitements. On a tous en mémoire le slogan, "les antibiotiques, c’est pas automatique". Les médecins se montrent de plus en plus raisonnables. Il est indispensable que les vétérinaires et les industriels de l’agroalimentaire fassent de même.

* Antibiotiques, le naufrage par le Pr Antoine Andremont avec Stephan Muller, éditions Bayard, 200 pages.


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