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200 ans de création/Exposition

Haïti à l’honneur au Grand Palais

samedi 25 octobre 2014

Unique, colossal, extraordinaire !!! Du 19 novembre 2014 au 15 février 2015, l’art haïtien sera à l’honneur au Grand Palais, à Paris. C’est un voyage à travers deux siècles de l’histoire de la production artistique haïtienne qui sera proposé aux visiteurs dans cet établissement prestigieux. Le Nouvelliste a rencontré Mireille Jérôme, co-commissaire de l’exposition

Emmelie Prophète : Que voudriez-vous que le grand public sache de cette exposition ?

Mireille Jérôme (M.J.) : Je dirai d’abord au public qu’on dit RMN-Grand Palais, Réunion des musées nationaux Grand Palais. Il s’agit de l’une des institutions les plus prestigieuses de France, en ce qui concerne les activités culturelles. Une exposition sur Haïti y avait été organisée, il y a plusieurs années, je crois que c’était en 1988, c’était avec les peintres dits naïfs. Mais c’est la première fois qu’on aura une exposition de si grande ampleur qui embrasse tous les aspects de l’art haïtien. C’est une exposition que nous préparons depuis deux ans et demi, c’est-à-dire depuis 2011. L’idée de ce projet est née lors du passage en Haïti du ministre français de la Culture, M. Fréderic Mitterrand. Il a dit publiquement, en présence de la ministre de la Culture d’Haïti de l’époque, madame Marie Laurence Jocelyn Lassègue, qu’il aurait aimé réaliser une exposition d’envergure avec Haïti qui embrasserait tous les aspects.

J’ai eu la chance de bénéficier d’une bourse assez spéciale, qu’on appelle bourse d’immersion dans un musée. Et j’ai eu à faire un stage pendant un mois au centre Pompidou. Au bout de ce séjour, je dois vous dire que c’est le service culturel de l’ambassade d’Haïti à Paris qui a pratiquement inventé cette bourse pour pouvoir donner un peu plus de compétences à ceux qui gèrent les galeries, les musées, les centres culturels. Et au bout de ce cycle, je devais présenter un projet, un projet d’exposition « d’envergure » pour reprendre le mot de Fréderic Mitterrand. Je l’ai donc rédigé avec Régine Cuzin et Régine Estimé qui était chargée d’affaires au service culturel de l’ambassade d’Haïti à Paris. Quand ce projet a été monté, nous l’avons pris à bras-le-corps et nous avons commencé à visiter les musées. J’ai été avec Régine Estimé jusqu’à Lille rencontrer un responsable de la mairie de cette ville, aller voir les musées là-bas, le leur proposer. À l’époque, je dois avouer, le projet n’était pas encore bien ficelé. Il a néanmoins bénéficié d’un accueil favorable, mais il faisait peur. Certains nous ont proposé de le couper en deux. Nous avons refusé. Nous voulions que ce soit une exposition qui nous présente dans notre intégralité, sans déboulé chronologique pour autant ; je reviendrai là-dessus. On a été même à Beaubourg, et comme l’exposition avait une composante historique, Beaubourg nous a dit qu’il faisait dans le moderne et dans le contemporain. Nous sommes allées à Marne-la-Vallée, et dans plusieurs autres musées. Finalement, c’est le Grand Palais qui a accepté cette exposition en disant tout de suite qu’elle se ferait à la galerie sud-est. Et immédiatement, ils ont composé une délégation qui est entrée en Haïti. C’était en 2012. Et, le premier interlocuteur qu’on a eu, c’était l’État haïtien. On a rencontré au Musée du Panthéon National madame Michèle Frish, la directrice du MUPANAH, Madame Elza Baussan qui était à l’époque secrétaire d’État au patrimoine, le directeur général du ministère de la Culture, M. Stefan Malebranche. A l’époque, un nouveau ministre de la Culture entrait en fonction, parce que entre le moment où le projet est parti et le moment où il arrive là maintenant, nous avons connu à peu près cinq ministres de la Culture. (Rires)

E.P : Cette exposition va parcourir sur une période très longue, 200 ans quand même, sur quels critères avez-vous choisis ceux qui y participeront ?

M.J : Eh bien ! Justement, il y en avait tellement ! Comme l’a si justement remarqué un membre de la communication du Grand Palais qui a parlé de la diversité vertigineuse de l’art haïtien. Et c’est vrai. Il y en a qui sont les uns aussi bons que les autres. Deux siècles, c’est énorme comme temps, enfin c’est relatif. Cependant, dès le départ, nous nous sommes rendu compte qu’on ne pouvait pas avoir un déboulé chronologique, de 1804 à 2014. Il nous fallait avoir un concept qui nous permettait de mettre ce temps dedans, mais en insistant principalement sur le temps présent qui correspond à l’art contemporain haïtien, avec un clin d’œil sur le passé, dans ce qu’il a de relation avec le présent. Il nous a fallu bâtir un concept.

E.P. : Lequel ?

M.J. : Le concept dont je parle, c’était de partager cette exposition en ce qu’on a appelé des pôles. Nous avons à peu près sept pôles, quatre grands pôles et trois petits pôles (on va voir ce que c’est). Nous avons un pôle qu’on appelle « chèf yo » (les pôles sont titrés en créole, traduits en français) ; c’est le regard porté sur le chef, le regard du chef sur lui-même au 19e siècle, et le regard porté sur les chefs par les artistes haïtiens jusqu’au temps où nous parlons. C’est-à-dire, vous avez les grandes œuvres patrimoniales qui appartiennent au musée du panthéon, qui appartiennent aux pères du Saint-Esprit, ils ne sont pas nombreux, nous en avons trois.

Nous avons aussi la spiritualité, non pas le vaudou, non plus les religions judéo-chrétiennes, mais nous avons les esprits, on les appelle « lespri yo ». Comment la spiritualité traverse les artistes haïtiens ? Le vaudou aura sa place et vous allez le voir, les autres cultes aussi. La franc-maçonnerie par exemple, on aura même des symboles maçonniques dans cette exposition, des symboles faits au XIXe siècle et d’autres faits au XXe mais peints par des artistes naïfs, comme par exemple Sénèque Aubin. On a vu la place que la franc-maçonnerie occupait dans l’imaginaire des artistes du Cap-Haïtien, ce qu’on appelle l’école du Cap. Et tout cela sera dégagé à travers les pôles. Vous avez un pôle qui s’appelle « peyizaj yo ». Ce sont d’autres paysages, en dehors des naïfs, en dehors des peintres du vaudou, des artistes qui ont tenté d’autres voies et qui ont été discrédités à cause de cela. Je donne quelques exemples : vous avez Lucien Price, Max Pinchinnat, Roland Dorcelly […]. Vous avez le pôle qu’on appelle les tête-à-tête, autrement dit, une mise en correspondance entre deux artistes qui n’appartiennent pas au même temps.

E.P : Vous exposerez combien d’artistes ? Combien d’œuvres ?

M.J : Nous aurons environ 60 artistes. Ce sont des artistes, comme je vous l’ai dit, de la diaspora, il y a en a qui habitent l’allemagne, la France, les USA, le Canada.

E.P : Cette exposition aura lieu du 9 novembre au 15 février 2015. Après le 15 février, est-ce que cette exposition va, à un certain moment, arriver chez nous pour que certaines personnes qui ne pourront pas traverser l’Atlantique puissent en profiter aussi ?

M.J : L’idée essentielle de ce projet est présenter Haïti en gros plan en France. Mais veut rendre l’exposition itinérante. L’Europe, l’Afrique, l’Afrique du Sud s’y intéressent aussi et même l’Europe de l’Est. C’est pour cela que nous avons demandé à la ministre de la Culture française d’écrire à son homolgue haïtien pour lui demander d’accueillir cette exposition quand elle arrivera en Haïti. Parce que cette exposition doit être vue et elle est faite pour les Haïtiens. Nous devons seulement trouver un lieu qui puisse accueillir à peu près 200 œuvres.

E.P : Cela fait combien de mètres carrés d’exposition ?

M.J : Il y a plusieurs galeries au Grand Palais. La galerie sud-est a 650 mètres carrés et nous avons investi les escaliers, l’entrée. Il y a une porte au Grand Palais qui s’appelle l’entrée H. Étonnamment, cette porte H a été remise à un artiste qui va construire un grand fanal, une sorte de portique avec des lampions comme les fanaux.

E.P : Outre des tableaux, qu’est-ce qu’il y aura à cette exposition ?

M.J : Nous allons exposer tous les aspects de l’art haïtien, contemporain et non contemporain. Nous aurons des sculptures, des peintures, des vidéos, des installations, etc. Il y a des œuvres qui ont été commandées spécifiquement pour cette exposition, par exemple, ces œuvres de la porte H et des escaliers du Grand Palais. Il n’y aura pas une installation d’œuvres mais une installation « au son des lumières ». Il y a même un artiste qui a décidé de reconstituer Jalousie ; ce serait un hommage à ce quartier. Nous aurons l’art numérique ; la seule chose qu’on n’aura pas, c’est la photographie malheureusement ; mais on a pratiquement tous les aspects.

E.P : A vous entendre parler, tout est prêt, tout est installé, tout est accroché, est-ce le cas ?

M.J : Disons, tout est presque prêt, c’est-à-dire au Grand Palais la section d’éditions est en train de monter le catalogue, les textes sont prêts et les images aussi ; les restaurations sont en train d’être faites, parce que ce sont des œuvres qui vont prendre au moins trois mois pour être restaurées. Elles sont parties depuis fin juin ; elles seront prêtes. Nous avons la programmation culturelle parce qu’il n’y a pas seulement qu’une exposition, il y aura toute une programmation culturelle, la programmation culturelle avec le cinéma, avec le spectacle, avec des lectures, avec tout ce que nous proposons en termes d’activités culturelles parallèles ou connexes.

E.P : L’atelier ne se fera pas forcément dans l’enceinte de Grand Palais ?

M.J : Principalement au Grand Palais parce que le Grand Palais possède deux espaces assez importants : un auditorium de 350 places, un espace cinéma, une salle de projection, c’est un espace réservé à des activités plus intimistes : les lectures se feront là. Signalons au passage qu’on trouvera aussi la galerie cour, qui a presque la dimension de celle du sud-est. On pense déjà organiser une activité dans cette galerie cour, on a pensé à une bande de rara.

Propos recueillis par Emmelie Prophète


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