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18 octobre 1974. Choqué par le suicide d’une groupie, le chanteur de soul Al Green devient pasteur.

jeudi 23 octobre 2014

Amoureuse de Green, Mary Woodson se fait brûler la cervelle chez lui avec le flingue de celui-ci.

Le 18 octobre 1974 à 1 h 15 du matin, Al Green est tranquillement en train de se préparer un bain dans sa maison luxueuse près de Memphis. L’auteur du formidable "Let’s Stay Together" rentre d’une séance d’enregistrement parfaite. Heureux comme Marine Le Pen observant l’implosion de l’UMP, il fredonne en tapotant la mousse. À 28 ans, la star de la soul est à l’apogée de sa gloire. Il ne pense même plus à la prise de tête qu’il vient d’avoir avec sa dernière conquête. Ce n’est pas une nana qui va lui gâcher l’existence. Si celle-ci n’est pas contente, qu’elle se tire. Il n’a pas encore mis un doigt de pied dans sa superbe baignoire que la fille en question, Mary Woodson, débarque folle furieuse dans la salle de bains. Elle tient à la main une marmite de gruau de maïs bouillant qu’elle lui balance sur la tronche avant de s’enfuir, aussi furieuse que Rachita Dati, le jour où Desseigne refuse de lui verser une pension alimentaire pour sa fille.

Hurlant comme un damné, Al Green court chercher du secours, tombe sur Carlotta Williams, une autre de ses conquêtes, qu’il héberge. Celle-ci attrape une serviette pour enlever le gruau encore brûlant, puis pousse Al sous la douche. Ça brûle ! Ça brûle ! Soudain, ils entendent un coup de feu retentir à l’étage inférieur. Fuck ! Ça doit être cette cinglée de Mary qui veut vraiment buter Green ! Avec Carlotta, le chanteur se barricade dans une chambre. Plusieurs minutes passent sans qu’ils entendent le moindre bruit. Green attrape un revolver et tous deux descendent avec précaution l’escalier. Ils aperçoivent alors Mary gisant sur le sol. La jeune femme vient de se faire sauter la cervelle avec un 38 appartenant à Green ! Stupéfaction. Les secours débarquent rapidement. Le chanteur est emmené d’urgence au Baptist Hospital de Memphis. Le gruau l’a brûlé au troisième degré sur le dos, le ventre et les bras. Au cours des mois qui suivent, il subit plusieurs greffes de peau. Al s’en sort totalement brisé, traumatisé. Il ne comprend pas le geste fou de Mary Woodson.

"T’aimer jusqu’à ma mort"

Il l’avait rencontrée quelques mois plus tôt, lors d’un concert dans l’État de New York. Aussitôt, cette fan de 29 ans s’est montrée raide dingue de lui. Elle s’est immédiatement glissée dans son lit, délaissant son mari et ses trois gosses, dont elle ne révèle pas l’existence à Green. Huit jours avant le drame, elle l’avait rejoint à Memphis pour lui demander de l’épouser, quoique déjà mariée. Complètement barrée, la nana. Forcément, Al Green refuse, pas question de renoncer à toutes ces filles qui sont folles de sa voix et de son corps. Pas question que cette fille le soûle davantage. Mais Mary devient hystérique, lui fait scène sur scène. Quand elle lui balance son bol de gruau dessus, sans doute veut-elle le punir. Ironie du sort, la même année, Green brille dans les charts avec son morceau "Let’s Get Married". Les flics retrouvent une note dans le sac à main de la défunte : "Tout ce que je voulais, c’était être avec toi et t’aimer jusqu’à ma mort. Je t’aime, Al. Je ne suis pas folle, juste malheureuse parce que je ne peux pas être avec toi."

Né en 1946 dans l’Arkansas, fils de métayer, sixième d’une fratrie de dix enfants, Albert Greene (avec un e !) commence très tôt à chanter. Vers l’âge de neuf ans, il forme avec trois de ses frères un quartette de gospel, les Greene Brothers, qui tourne pas mal dans le sud-est des États-Unis, puis dans le Nord, quand la famille déménage dans le Michigan. À 16 ans, son père le surprend en train d’écouter Jackie Wilson, "Mr Excitement", un des créateurs de la soul music. Quel sacrilège ! Son paternel le punit en lui interdisant de chanter plus longtemps avec ses frères. Qu’importe, il découvre Sam Cooke, Ray Charles et James Brown, puis forme un autre groupe avec des copains de lycée : Al Greene & the Creations, qui devient bientôt Al Greene & the Soul Mates. C’est avec cette bande qu’il enregistre son premier tube pour un label indépendant en 1967, "Back Up Train", qui se classe cinquième des ventes de rhythm and blues ! Pour le jeune prodige, c’est inouï ! Il est vite repéré par un producteur du label Hi Records, Willie Mitchell, une grande figure du rock’n’roll et du funk. Impressionné par sa voix puissante, il le lance en solo. C’est alors que Greene retire le "e" final à son nom, il devient Al Green. Ça sonne mieux...

Signe divin

En seulement deux ans et quatre albums, la machine est lancée. Al Green enregistre "You Ought to Be with Me", "I’m Still in Love with You", "Love and Happiness" et l’incontournable "Let’s Stay Together". Le voilà propulsé parmi les plus grands de la soul. Ses singles sont d’une efficacité redoutable. Le rêve ! Il arrive au top sans avoir galéré comme la plupart des chanteurs. Le voilà promis à une longue carrière. Quand survient le drame du 18 octobre 1974, au lieu de se dire qu’il a été la victime d’une désaxée et de reprendre sa vie habituelle, Al Green voit dans cet attentat un signe divin ! Comme si Dieu lui rappelait qu’il s’était bien trop éloigné de la spiritualité ! Il entame alors un processus de reconversion totale, tant religieuse que musicale. Peu importe sa carrière. Il se fait ordonner pasteur baptiste et se paie une église à Memphis. Sa musique s’amollit. Ses fans le fuient, son label l’abandonne. En 1976, son producteur arrangeur Willie Mitchell rompt son contrat avec lui. Ses ventes chutent de façon vertigineuse.

À Cincinnati, lors d’un concert, il tombe hors de la scène. Un accident qu’il prend pour un nouvel avertissement divin. Al Green abandonne carrément sa carrière, réservant désormais ses apparitions aux offices religieux. Il ne compose plus que du gospel. Monsieur, qui excitait les minettes, ne chante plus que de l’Évangile. C’est comme si Depardieu n’incarnait plus que le petit Jésus dans les crèches vivantes de Noël. Inconcevable. Cependant, ses disques gospel lui valent tout de même huit Grammy Awards. Alléluia !

Vers la fin des années 80, enfin, le révérend Al Green tente de renouer avec ses racines musicales en performant quelques duos, comme avec Annie Lennox. En 2000, il publie un ouvrage Take Me to the River, où il raconte son parcours. Enfin, en 2003, il se décide à sortir un album non religieux, le premier en 27 ans ! En 2005, le magazine Rolling Stone classe Al Green 66e meilleur artiste de tous les temps. Même Barack Obama a fredonné le début de "Let’s Stay Together" en janvier 2012 pour lui rendre hommage. Reste à savoir si les républicains approuvent le message... Bref, le coup de folie de Mary Woodson est presque oublié. Mais il aura fallu près de trente ans pour y parvenir. À 66 ans, Al Green est plus vert que jamais. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à prêcher au Full Gospel Tabernacle.
C’est également arrivé un 18 octobre


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