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A Kidal, l’armée française est confrontée « aux limites de l’efficacité militaire »

mercredi 22 octobre 2014

Le général Jean-Pierre Palasset a pris au mois d’août la tête l’opération militaire française la plus ambitieuse depuis la deuxième guerre mondiale, en ce qu’elle couvre une région qui correspond à la taille de l’Europe : le Sahel, de la Mauritanie jusqu’au Tchad. Avec l’opération « Barkhane », il commande 3 000 hommes, ce qui en revanche, à cette échelle, semble une goutte d’eau. Mais dans cette opération antiterroriste, une guerre dont le nerf est la liaison satellite, le général ne reconnaît qu’une impuissance : Kidal.

La ville touareg de l’extrême nord du Mali, où il s’est rendu lundi 20 octobre, représente « un axe d’effort », admet le général. L’insécurité y règne toujours, depuis le début de l’intervention française contre Al-Qaida au Maghreb islamique et les groupes affidés, Ansar Eddine et le Mujao, qui ont manqué de prendre Bamako en janvier 2013. Paris aurait voulu que ses soldats soient partis de Kidal depuis bien longtemps.

Le 7 octobre, une attaque au mortier de 81 mm – une arme française, récupérée on ne sait où – a visé le camp militaire que se partagent, à l’écart de la ville, trente soldats de Barkhane et mille casques bleus de la force de l’ONU Minusma, tuant l’un d’eux. Des sept impacts, deux ont touché les installations du détachement français, sans gros dégâts.

Le 12 octobre, une mine belge de 6 kilos explosait à 800 mètres du camp français, coupant les deux jambes d’un cadre du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui tenait un des check points de la ville. Un règlement de compte entre groupes locaux, selon les militaires français.

Les mines arrivent du nord du Sahel, en provenance des trafics et des arsenaux pillés de Kadhafi, parmi d’autres munitions, cartouches chinoises ou roquettes russes de 122 mm. Car « tout passe par Kidal, comme l’on dit ici », rappelle le capitaine Cyrille S.. « Après cet épisode, nous avons suggéré aux mouvements touareg d’étendre le couvre-feu », explique-t-il. Depuis une semaine, sortir est donc interdit de 18 heures à 6 heures, au lieu de 23 heures précédemment. Le MNLA, le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), les trois mouvements signataires du cessez-le-feu en cours avec Bamako, arment conjointement les quatre check points de la ville. Ils sont censés contrôler le recensement des armes en circulation. Et le couvre-feu.

« CELA FAIT VINGT ANS QU’IL Y A UN PROBLÈME TOUAREG À KIDAL »

Dans la foulée de cet incident, les soldats du capitaine Cyrille S. ont participé à une importante opération en ville, au cours de la nuit du 17 au 18 octobre. Tandis qu’ils sécurisaient la zone d’intervention, les forces spéciales françaises ont arrêté trois combattants dont l’identité n’a pas encore été révélée, et saisi un très important stock d’armes.

Ces jours-ci, les cadres des « groupes signataires » se sont rendus à Alger pour un troisième round de négociations avec Bamako. Le processus piétine et la période est propice à la surenchère. « Ce n’est pas moi qui dois avoir du résultat à Kidal, ce sont les politiques », s’exclame le général Palasset. « Cela fait vingt ans qu’il y a un problème touareg à Kidal, il serait bien arrogant de ma part de prétendre vouloir le résoudre ». La principale action que mène inlassablement la force Barkhane avec la Minusma, ici, est donc d’« éviter que reprennent les hostilités entre les groupes signataires et Bamako ». Aux Tchadiens et Sénégalais de la Minusma, la ville. Aux Français, les alentours, plus dangereux, dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres.

Mais à Kidal, comme le rappelle le colonel T., un gradé tchadien de la Minusma présent ce jour-là, « on ne sait pas qui est qui ». Les groupes touaregs négociateurs circulent avec leurs armes depuis qu’à la mi-mai, après la visite du premier ministre Moussa Mara et les incidents qui en ont découlé, ils ont quitté leur cantonnement. Les accrochages avaient fait une cinquantaine de morts dans les rangs des soldats maliens. Le président mauritanien Aziz avait obtenu que les hostilités cessent au prix d’un nouveau départ sans gloire des forces maliennes et de leurs tout nouveaux bataillons formés par l’Union européenne.

Depuis, leurs soldats sont partis ; dans le nord du pays, l’armée nationale ne monte plus au-delà de al-Mustarat à une journée de route de Kidal. A Tessalit, le bataillon Sigui reste cantonné.

« TRAQUER LES TERRORISTES »

Quant aux djihadistes et criminels locaux, racontent les militaires français, ils ont trois drapeaux dans leurs poches. Quand ils sont arrêtés, tout aussi armés, ils sortent, selon l’humeur, qui celui du MNLA, qui celui du HCUA ou du MAA. Dans les petits véhicules blindés français, les soldats qui patrouillent tous les jours ont affiché des fiches techniques. « On arrive là aux limites de l’efficacité militaire », convient le général Palasset.

Cela ne veut pas dire que de nouvelles opérations « coup de poing » n’auront pas lieu dans le nord du Mali. L’état-major de Barkhane, depuis N’Djamena, est chargé de les planifier et Paris les veut nombreuses pour empêcher les groupes terroristes de reprendre racine. « L’efficacité, c’est ce que Barkhane fait : traquer les terroristes », estime le colonel tchadien. Les soldats du président Idriss Déby sont ceux sur lesquels comptent les Français. Depuis un an et demi, les combats au nord Mali ont tué 54 Tchadiens et en ont blessé 107 autres. N’Djamena a cependant décidé d’augmenter son contingent ; il comptera bientôt 1 400 soldats, répartis entre Kidal, Tessalit et Aguelhok.

Du « camp numéro 2 » dans lequel les soldats de français sont installés, un ancien bâtiment de terre rouge à étage de l’armée malienne, on a une bonne vue sur le désert et la ville. L’installation demeure très sommaire et va faire l’objet d’aménagements. Le camp de la Minusma lui va s’agrandir. Un hôpital militaire doit être installé.

Nathalie Guibert ((Kidal, envoyée spéciale))
Journaliste au Monde


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