MosaikHub Magazine

Un "Idiot" à court d’idées

dimanche 12 octobre 2014

Le nouveau trublion du théâtre français, Vincent Macaigne, adapte le roman de Dostoïevski dans le bruit, la fureur et la lourdeur...

Par Gilles Costaz

Le hall du Théâtre de la Ville gronde de musique techno et rock. Quand on entre dans la salle, même furie sonore. L’éclairage est tamisé, quelques lampes clignotent. Avec un peu de chance, on trouve sa place. La soirée démarre dans ce tohu-bohu organisé de la cave au grenier, et c’est parti pour trois heures et demie. Les acteurs ne vous laisseront pas en paix pendant l’entracte. Quelques longs discours seront proférés, micro en main. Dostoïevski est à l’origine de tout cela, mais il ne reconnaîtrait pas ses créatures. Son Idiot a été rebaptisé Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer. L’auteur et metteur en scène du spectacle, Vincent Macaigne, pratique la réécriture comme on le fait peu en France, mais beaucoup en terre flamande et en Allemagne. On prend l’esprit d’un texte et l’on en rejette la lettre, on corrige tout, en utilisant généralement le langage de la rue, les mots les plus triviaux du monde d’aujourd’hui. Vive les classiques, à condition qu’ils soient modernes, ou plutôt modernisés ! Cela donne parfois de bons résultats. Tous les irrespects sont permis depuis que Marcel Duchamp a mis des moustaches à la Joconde !

Macaigne, qui fait par ailleurs une belle carrière d’acteur au cinéma mais joue peu dans ses spectacles (on l’aperçoit courant ici ou là pour aider un interprète qu’il a placé en équilibre ou dans une situation difficile), pratique cet art du détournement tapageur depuis quelques années. Il a acquis une certaine notoriété et n’a pas toujours raté ses coups. Sa dernière mise en scène, une adaptation de Hamlet présentée au Festival d’Avignon 2012, avait divisé le public mais en déployant une vraie force inventive. Les acteurs s’y roulaient dans l’eau, la boue et l’hémoglobine. Un château gonflable occupait soudain la scène, figurant un Elseneur de tous les dangers. C’était saignant à souhait, et la soirée avait commencé dans la fièvre attisée par un chauffeur de salle excitant le public comme dans les boîtes de nuit où la participation du client est sollicitée sans ménagement.

Plus de bousculade que d’action

Pas de château gonflable dans Idiot ! C’est plutôt l’esthétique de Macaigne qui s’y dégonfle. Les spectateurs y prennent les mêmes risques. Un rideau de plastique est donné aux personnes placées dans les premiers rangs pour qu’elles puissent arrêter toute matière projetée depuis la scène - soit essentiellement de l’eau et de la terre ! Cette fois, les spectateurs intrépides ont même droit à des bouchons pour les oreilles, afin de ne pas être assourdis par les amplis (à vrai dire, ces bouchons ne sont pas utiles, le niveau du son n’est jamais insupportable). Voilà quelques éléments qui visent à faire peur. Certains amateurs croient trouver là les équivalents des frayeurs qu’on éprouve sur les montagnes russes. Mais c’est une idée fausse. Rien ne coupe vraiment l’appétit, rien ne provoque des haut-le-coeur dans ce menu faussement anthropophage.

L’Idiot, on le sait, est l’histoire d’un prince, Mychkine, qui, dans sa naïveté, dans son désir de bonté, est sans cesse humilié, malgré l’amour que lui portent certaines femmes. Cette trame transparaît dans le spectacle de Macaigne. Mais, bien que jouée par un nombre limité d’acteurs (ils sont huit), la soirée a des allures de cohue dans le métro. On y voit plus de bousculade que d’action, plus d’expression physique que de confession intime. Ici, humilier Mychkine, c’est le couvrir de saletés et de terreau ! De toute façon, l’attention est sollicitée par beaucoup d’événements périphériques : un téléviseur avec des interventions de Sarkozy et de Hollande, des graffitis, le passage répété d’un acteur toujours tout nu, l’arrivée de divers engins de chantiers, des chutes de terre (avec son odeur d’humus) et l’effondrement d’une partie du décor.

Une provocation un peu courte

Les acteurs, Pascal Reneric (Mychkine) en tête, ont, bien entendu, un mérite immense à dire ce qui reste d’un grand texte tout en partageant la condition des terrassiers oeuvrant dans la terre meuble et la gadoue. Mais, plus la provocation est massive, plus elle paraît sans profondeur, enfantine, à courte vue. L’objectif de Macaigne semble être de réaliser un tourbillon équivalent aux grands spectacles contestataires de l’Allemand Franck Castorf, maître européen du déluge d’images à rebrousse-poil. Mais les maelströms de Castorf, comme les tourbillons sacrilèges de Rodrigo García ou de Romeo Castellucci, sont philosophiques. Avec un mauvais goût assumé, ils mettent en cause les conventions du récit et de la pensée. Ils sont souvent inaboutis, mais ils démodent, ils liquident un certain académisme. Ici, chez Macaigne, l’on actionne une grosse machine qui ne raconte pas grand-chose. Et faire circuler le plus souvent possible ce comédien pensif et nu comme un ver n’est qu’un gag trop répété, qui relève plus de la gaminerie que de l’outrage aux bonnes moeurs.

Il y a peu d’idées dans cet Idiot !, où l’on a passé beaucoup de temps à allumer des pétards puérils. Une certaine tendresse se manifeste, parfois, par bonheur. Mais c’est la moindre des choses quand on se revendique fidèle à Dostoïevski et qu’on sous-titre son spectacle Parce que nous aurions dû nous aimer. Pour être vraiment dans la contestation d’un certain théâtre officiel, il faudrait donner une leçon de sobriété, d’efficacité, de refus de la facilité, être le cheval de Troie qui dérange l’art institutionnel, la catapulte qui écrase la tradition. C’était un peu le cas avec la version de Hamlet ; ce n’est pas le cas avec cet Idiot qui est, semble-t-il, la reprise appliquée, méticuleuse mais boursouflée d’un spectacle antérieur. Une petite bombe à eau alors qu’on attendait un explosif.

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer, d’après Dostoïevski, adaptation et mise en scène de Vincent Macaigne. Théâtre de la Ville, tél. : 01 42 74 22 77, jusqu’au 12 octobre, puis en tournée.


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