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Le bras d’un pré-Néandertalien trouvé au bord de la Seine

jeudi 9 octobre 2014

Il a déjà un nom : l’homme de Tourville-la-Rivière. Une équipe de scientifiques de l’Institut national d’archéologie préventive et du CNRS a annoncé, jeudi 9 octobre, la découverte des « vestiges d’un pré-Néandertalien » : les trois os longs (humérus, radius, cubitus) du bras gauche d’un individu adulte (ou « vieil adolescent »), de sexe encore indéterminé, vieux de quelque 200 000 ans. Ces ossements ont été mis au jour de la cadre d’une campagne en bord de Seine, à 15 km en amont de Rouen, préalable à l’exploitation du site par l’industrie gravière.

La découverte est « majeure », a insisté, jeudi, Jean-Philippe Faivre, chargé de recherche au CNRS et premier signataire de l’article publié le même jour dans la revue américaine PlOS One. « Elle va permettre de faire avancer la compréhension de la dynamique du peuplement des Néandertaliens, de leur apparition, il y a quatre cent cinquante mille ans, à leur disparition, il y a environ trente mille ans », poursuit le paléontologue. C’est en effet la deuxième fois seulement que des restes humains du Pléistocène moyen (781 000-128 000) sont retrouvés en France au nord de la Loire. Jusqu’ici, la dizaine de sites recensés en Europe du Nord-Ouest se concentraient en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Le site de Tourville-la-Rivière était déjà connu. Dans ce méandre, deux précédentes campagnes avaient mis en évidence une grande variété d’animaux, carnivores (ours, loups), grands herbivores (aurochs, chevaux, cerfs, chevreuils) et plus petits mammifères (chats, lièvres, castors). Ils y avaient également retrouvé un important site de taille de silex. Et c’était jusqu’ici la grande particularité des lieux. « Les pré-Néandertaliens venaient recueillir les carcasses animales rejetées par la rivière », détaille l’archéozoologue Céline Bemilli. Ils y confectionnaient leurs lames et débitaient la viande – peut-être –, les peaux, les tendons et les os, plus probablement. Ce que les archéologues avaient nommé un « charognage actif ».

DE NOMBREUX MYSTÈRES

Lors de la dernière campagne, en septembre 2010, les scientifiques s’étaient toutefois gardés d’annoncer ce qui constituait en réalité leur perle : ce bras complet, le deuxième jamais retrouvé sur un pré-Néandertalien. Ils souhaitaient en effet l’étudier de plus près, affiner la datation, tenter d’en comprendre le parcours et les particularités. Quatre ans plus tard, ils sont désormais capables de proposer des hypothèses. Mais de sérieux mystères demeurent.

Regarder la vidéo : Une découverte exceptionnelle d’os datés de 200 000 ans en Normandie

La provenance, d’abord. L’homme de Tourville-la-Rivière n’est pas mort sur place. Comme les cadavres d’animaux, le bras est arrivé par la rivière. Comme eux, les alluvions du fleuve l’ont rapidement recouvert, permettant de le protéger. Etait-il déjà séparé du reste du corps ? « C’est très probable », estime Bruno Maureille, paléoanthropologue à l’université de Bordeaux, qui a étudié les vestiges. Les scientifiques ignorent en revanche si la main avait déjà été détachée. Ils n’ont, en tout cas, retrouvé ni phalanges ni autres petits os, malgré un tamisage systématique de la terre retirée.

Le membre supérieur avait-il été arraché du corps par un animal ? Là encore, l’examen de l’os n’a pas permis de s’en assurer. Les articulations auraient pu aider à le savoir mais elles n’ont pas été récupérées. Les scienfiques soulignent cependant l’absence de traces de morsure sur les os, malgré les nombreuses études d’imagerie réalisées en laboratoire.

ANOMALIE OSSEUSE

L’examen osseux a toutefois été particulièrement fécond. La datation, réalisée en Australie et en Espagne par deux techniques différentes (uranium 238 et electron spin resonance), a confirmé l’âge du capitaine : environ 200 000 ans. Surtout, l’étude anatomique a permis de retrouver sur l’humérus (bras) comme sur le radius (avant-bras) des caractéristiques propres à la lignée néandertalienne.

Enfin, les techniques d’imagerie et la reconstruction topographique ont mis en évidence, sur la crête de l’humérus, un relief osseux de 4 cm jusqu’ici inconnu. Du moins chez Néandertal. Dans la littérature scientifique, pareille anomalie est courante... parmi les joueurs de baseball. Les paléontologues n’en ont rien conclu sur la nationalité américaine du squelette ou son amour du sport. « Notre hypothèse est que cette anomalie est la conséquence de mouvements répétés d’extension du bras avec éloignement du reste du corps, a indiqué Bruno Maureille. Peut-être un lancer. » « Ou un trouble musculo-squelettique », envisage Jean-Philippe Faivre. D’autant que le bras avait subi au moins un arrachement ligamentaire.


L’équipe entend dorénavant poursuivre l’étude morphologique des trois os, les comparer notamment plus systématiquement aux différents vestiges de pré-Néandertaliens retrouvés en Europe et au Proche-Orient. Elle souhaite également lancer une recherche d’ADN ancien. Depuis dix ans, les techniciens sont parvenus à retrouver du matériel génétique sur des ossements encore plus anciens. Une telle découverte permettrait de situer plus précisément le squelette dans la longue lignée néandertalienne. Et de voir si, par hasard, l’homme de Tourville-la-Rivière ne serait pas une femme.


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