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Aux origines de la pandémie de sida

samedi 4 octobre 2014

Ce ne sont plus des soupçons, mais une démonstration, preuve à l’appui. A l’heure où certains persistent à se livrer une révision de l’histoire du sida en lui attribuant une autre cause que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), une équipe internationale a reconstitué scientifiquement dans le temps et dans l’espace le début de l’épidémie de sida. Elle montre sa lente propagation à partir de l’actuelle République démocratique du Congo et de sa capitale, Kinshasa, à partir des années 1920, principalement par le biais du chemin de fer. Le travail de Nuno Faria et de ses collègues est publié vendredi 3 octobre dans la revue Science.

La première publication sur des cas de sida remonte à 1981, et l’identification du VIH de type 1 (VIH-1, le plus répandu dans le monde) à 1983. Le point de départ a été localisé en Afrique centrale, plus précisément dans l’ancien Congo belge, devenu Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo. Il ne faisait pas de doute que le VIH était une forme ayant évolué à partir d’un virus du singe, passé à l’homme, et sorti de la forêt. Cependant, des pans entiers du démarrage de l’épidémie restaient dans l’ombre.

PLUSIEURS CENTAINES D’ÉCHANTILLONS DE VIH

Pour l’éclairer, l’équipe composée de chercheurs européens et nord-américains a analysé les séquences génétiques de plusieurs centaines d’échantillons de VIH-1 prélevés dans l’ex-Congo belge, ainsi que dans des pays voisins, au cours du XXe siècle, et conservés au Laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique). Cela leur a permis de remonter le temps en suivant l’apparition des mutations du virus en même temps que sa localisation. Ils ont confronté ces résultats à l’histoire des activités humaines dans ces régions pour essayer de comprendre les circonstances ayant permis à l’épidémie de se propager.

« Nous avons rassemblé les pièces du puzzle pour établir où et quand le virus était passé de son réservoir animal pour passer à l’homme, résume Martine Peeters, virologue à l’unité multidisciplinaire UMI 233 de l’Institut de recherche pour le développement (Montpellier) et cosignataire de l’article. Ce passage du singe à l’homme s’était sans doute produit à plusieurs reprises sans qu’une épidémie se déclenche, le virus restant cantonné à la forêt, mais le virus s’est trouvé au bon endroit au bon moment, et l’épidémie a démarré. »

En l’occurrence, la souche à l’origine de la pandémie avait pour hôtes des chimpanzés vivant dans le sud-est du Cameroun. Aux alentours de 1920, un homme contaminé (par consommation de viande de brousse ou par une blessure alors qu’il chassait) a voyagé jusqu’à Kinshasa, qui allait être le berceau de l’épidémie. L’examen des archives coloniales a montré le développement intensif à cette époque des échanges commerciaux par voie fluviale entre ces deux régions, notamment pour le commerce de l’ivoire et du caoutchouc.

LE RÔLE DU CHEMIN DE FER

Puis, des années 1920 aux années 1950, l’urbanisation et les transports, en particulier ferroviaires, ont pris leur essor, en lien notamment avec l’industrie minière. Kinshasa devenait alors une plaque tournante. En 1937, l’ancêtre du VIH-1 pandémique a commencé à être retrouvé à Brazzaville, la capitale de l’ancienne colonie française du Congo, située à 6 kilomètres de Kinshasa, de l’autre côté du fleuve Congo. Vers la même époque, le virus se dissémine à d’autres grandes villes de l’actuelle République démocratique du Congo situées au sud-est de Kinshasa. D’abord Lubumbashi, pourtant plus éloignée, puis, environ deux ans plus tard, à Mbuji-Mayi, le tout suivant la voie ferroviaire. Empruntée par plus de trois cent mille personnes par an en 1922, cette ligne de chemin de fer, traversant d’ouest vers le sud-est le pays, en transportait plus d’un million en 1948. Au cours de la décennie suivante, c’est par la voie fluviale que le virus gagne Bwamanda et Kisangani, dans le nord-est du pays.

Les activités humaines, le travail migrant, le développement d’activités de prostitution et la pratique d’injections de traitements contre les infections transmises sexuellement avec du matériel non stérile (seringues et aiguilles réutilisées pour plusieurs personnes) ont constitué les facteurs d’amplification de l’épidémie naissante.

UN VIRUS QUI GAGNE LA PLANÈTE

La présence d’Haïtiens venus travailler au Congo-Kinshasa, qui venait d’accéder à l’indépendance en 1960, explique que certains d’entre eux aient importé le virus dans leur pays à leur retour, aux environs de 1964. A partir de là, le virus a gagné les Etats-Unis, tandis que dans le même temps, il se propageait à d’autres pays d’Afrique subsaharienne. La suite est connue. Le virus a infecté 75 millions d’individus à travers le monde et a causé la mort de 36 millions de personnes.

Les chercheurs ont confirmé la prédominance dans l’épidémie du VIH-1 du groupe M (majoritaire), au détriment du groupe O. « Un virus passé de l’animal à l’homme doit pouvoir s’adapter à ce nouvel hôte, explique Martine Peeters. Le VIH-1 du groupe M devait posséder des caractères qui l’ont favorisé. » Une fois adapté, le virus devait pouvoir se répliquer chez l’hôte, et il fallait que ce dernier puisse le transmettre à d’autres individus, sans quoi il ne peut y avoir d’épidémie.

La reconstitution de l’itinéraire chronologique de ce virus sorti de la forêt, passé de l’animal à l’homme et se propageant sous forme d’épidémie prend une résonance particulière au moment où l’épidémie d’Ebola sème la mort et la terreur en Afrique de l’Ouest. « Il existe un parallèle entre les deux épidémies, souligne Martine Peeters, mais personne ne s’attendait à ce que le virus Ebola sorte et se transmette aussi vite, beaucoup plus vite que le VIH. Il faut dire que les voies de transmission ne sont pas les mêmes, celle-ci étant plus facile pour Ebola, et que l’incubation est nettement plus courte que pour le VIH ».

Le VIH a mis soixante ans pour devenir épidémique, le virus Ebola à peine quarante.

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde


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