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Marc Lambron : Valérie Trierweiler ou les charmes discrets de l’hypocrisie

vendredi 12 septembre 2014

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour l’écrivain Marc Lambron, l’affaire de la confession de l’ancienne compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, révèle quelques-uns des traits de notre société.

Marc Lambron est écrivain et membre de l’Académie française. Son dernier livre, « Tu n’as pas tellement changé », est paru en 2013 aux éditions Grasset.


On en parle, on en glose, on s’affole, on rigole, on lit sous cape, on déblatère, on juge, on se déjuge, on virevolte, on fronce le sourcil, on ergote, on fait le père noble, on devient commère : le livre de Valérie Trierweiler, en quelques heures, a mis le feu aux poudres. Sans l’avoir lu, chacun peut l’évoquer. Merveilleuse Trierweiler, qui permet de souligner ainsi l’un de nos doux travers sociaux, qui est de s’exprimer péremptoirement sur ce que l’on ne connaît pas - il suffit d’avoir fréquenté le café du commerce ou un déjeuner de famille pour en avoir l’expérience. Perverse, délatrice, sans vergogne, hétaïre, Messaline, Mata Hari ? Pas du tout. La merveilleuse Trierweiler est un merveilleux révélateur, un symptôme vivant, un test de Rorschach, un agent de la vérité. Il faut lui savoir gré de mettre à jour, fût-ce à son insu, quelques-uns des traits de notre société. C’est un Bourdieu en stilettos, une sociologue qui paie avec sa peau. Pour l’heure, deux corporations sont plus particulièrement concernées, les femmes abandonnées et les journalistes - elle appartient aux deux.

La sublime Valérie T. apporte ainsi une contribution utile à l’étude de la mauvaise foi féminine contemporaine, qui consiste à dénoncer le bourreau dont on aurait tellement aimé rester la compagne. Merveilleuse Trierweiler.

Les femmes abandonnées d’abord. Tout individu doté d’une ouïe fine n’aura pas manqué de remarquer, depuis quelques trimestres déjà, la montée d’une notion qui fait florès : celle de « pervers narcissique ». Toute femme plaquée a tendance à découvrir qu’elle vivait avec l’un d’entre eux. C’est, en somme, ce que répète Mme Trierweiler dans son livre. Constatons donc l’existence d’un lamento commun aux femmes trompées : elles dénoncent le monstre avec lequel elles ont vécu. Mais pourquoi l’avoir choisi ? Pourquoi avoir passé des années avec lui ? Et pourquoi souffrir quand un être déclaré aussi méprisable vous quitte ? Elles devraient au contraire s’en réjouir et chanter comme dans Don Giovanni : « Viva la liberta ». La sublime Valérie T. apporte ainsi une contribution utile à l’étude de la mauvaise foi féminine contemporaine, qui consiste à dénoncer le bourreau dont on aurait tellement aimé rester la compagne. Merveilleuse Trierweiler.

L’autre corporation, ce sont les journalistes. Avant même l’arrivée du livre en librairie, ils ont alerté l’opinion, fait le buzz, détourné le lectorat des achats de rentrée pour lui montrer du doigt le sujet du moment, le thème obligé du pia-pia national. Il est à remarquer que nombre de journalistes ont choisi le mode de l’indignation pour traiter du livre : le nez pincé, ils déplorent l’abaissement de la fonction présidentielle et vitupèrent la fauteuse de trouble. Merveilleux journalistes, qui adorent monter en épingle un sujet hypervendeur tout en s’arrogeant le bénéfice de la posture morale. Ils trouvent l’ouvrage de Mme Trierweiler répugnant, mais ne répugnent pas à y consacrer des colonnes entières et des heures d’antenne. Merveilleuse Trierweiler, qui révèle les jocrisses et les tartuffes de la bien-pensance sur cinq colonnes.

Mais ce n’est pas tout. Quand ils sont marqués à gauche, les journalistes blâment aussi la femme qui leur ôte leurs dernières illusions sur François Hollande, l’homme en qui ils ont voulu croire et faire croire. La merveilleuse Valérie leur met le nez dans leur méprise : évidemment, il n’est pas agréable de constater que l’on a promu un personnage que son ex-compagne décrit comme un leurre. Cela oblige à faire son mea culpa. À s’interroger sur les mécanismes de la crédulité unilatérale. À se souvenir qu’un journaliste n’est pas là pour croire, mais pour décrire. Sans qu’ils s’en avisent, leur surprise indignée est aussi un aveu d’insuffisance professionnelle : ce qu’ils disent apprendre de François Hollande sous la plume de Valérie Trierweiler, sa part d’ombre, il leur incombait à eux, dont le métier est d’enquêter, de le découvrir et de le publier. S’ils avaient fait correctement leur travail, ils ne seraient pas étonnés de ce que Mme Trierweiler révèle : ils l’auraient établi et décrit depuis longtemps.

L’affaire Trierweiler n’est que l’avatar d’une mauvaise habitude répandue dans la presse : la propension des journalistes féminines suivant la politique intérieure à finir dans les bras des politiciens qu’elles couvrent.

Ajoutons enfin que l’affaire Trierweiler n’est que l’avatar d’une mauvaise habitude répandue dans la presse française : la propension des journalistes féminines suivant la politique intérieure à finir dans les bras des politiciens qu’elles couvrent, si l’on ose dire. Point n’est besoin de faire une liste, elle déborderait de la courtepointe. Et alors, où est la muraille de Chine ? L’impavide vertu du journaliste qui ne doit dîner avec le diable que muni d’une longue cuiller ? Si les rédactrices des rubriques politiques avaient un peu de déontologie, elles proscriraient tout conflit d’intérêt en forme de ciel de lit. Merveilleuse Trierweiler, qui se dévoue, à son corps défendant, pour que la presse politique française soit plus morale. À tout péché miséricorde.


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